Un héros de la France libre

Jean Louis Crémieux Brilhac, qui vient de disparaître, fut un héros de la France Libre, dont il narré l'histoire, mais aussi un pionnier de la politique de la recherche. par Pierre-YVes Cossé, ancien commissaire au Plan (texte écrit en septembre 2006)

J'ai connu Jean Louis Crémieux Brilhac, l'auteur de "la France Libre" (près de 1000 pages), lorsque j'étais Président de l'UNEF. Ce mendésiste avait appartenu au cabinet de PMF en 1954/55 puis en 1956 durant les quelques mois où Mendès fut membre du gouvernement de Guy Mollet, en tant que Ministre d'Etat. Lors de sa démission, il le fit entrer au cabinet de René Billières, ministre de l'Education Nationale, quelque peu distant à l'égard du mendésisme parisien, comme tous les radicaux du sud Ouest.

 Un pionnier de la politique de la recherche

Crémieux Brilhac était un pionnier dans le domaine de la politique de la recherche. Il avait été un des organisateurs du Colloque de Caen (1956) animé par Mendès, puis de Grenoble en 1957 où j'avais participé en tant que président de l'UNEF. Nous nous étions entretenus de la recherche et de la place relative de l'Université et des Grandes Ecoles (déjà) Il est probable que je l'ai aussi sondé sur l'état des réflexions du «  Président » à propos de l'Algérie. Toute la politique de la recherche de la cinquième République est partie de ces travaux, beaucoup de mendésistes étant passés au gaullisme.

 Un héros de la France libre

Jeune, sémillant, très Express de JJSS, il étonnait par sa brochette impressionnante de décorations. Ce mendésiste avait été un héros de la France Libre, comme son patron mais probablement plus attaché que lui au Général. Savais je à l'époque qu'il faisait partie des 218 militaires détenus en Poméranie, qui s'étaient évadés en Union Soviétique, avaient connu des conditions de captivité plus dures qu'en Allemagne jusqu'à l'agression allemande, avant de gagner Londres comme la majorité d'entre eux ? Probablement pas. Son livre « Prisonniers de la Liberté » qui exploite des archives soviétiques brièvement ouvertes du temps d'Eltsine est paru beaucoup plus tard.

 Je l'ai revu alors qu'il était le patron de mon épouse, à la «  Documentation Française » qu'il dirigea fort longtemps. La Documentation Française est d'ailleurs le prolongement d'une institution de la France Libre qui s'inspire elle même de l'expérience britannique. Nous nous sommes retrouvés un soir dans un appartement bourgeois du cinquième arrondissement aux côtés de deux héros de la Résistance qui m'ont beaucoup impressionné, Raymond et Lucie Aubrac. C'était avant les campagnes scandaleuses dont ils ont été les victimes- comme feu Jean Moulin- tendant à les faire passer comme des agents de Moscou. Ils étaient intarissables sur leurs souvenirs de résistance. En particulier Lucie qui avait preuve d'un courage extraordinaire à la tête d'un commando arrachant son mari prisonnier de la gestapo à Lyon, expliquait qu'elle hurlait un an plus tard lors de son accouchement à Londres, au grand scandale des infirmières britanniques qui lui reprochaient son absence de self control. Et lui était passionnant sur les relations entre Jean Moulin et de Gaulle, pour autant qu'on les connaisse.

Je crois que Crémieux Brilhac était à la remise de légion d'honneur de mon épouse. En tout cas, il a envoyé un mot chaleureux après sa mort.

 La France libre de Jean-Louis Crémieux Brilhac

 La France a le génie du bricolage et le succès de la France Libre en est une illustration. Dans cette activité, les hommes jouent un grand rôle. Ils tiennent une grande place dans l'ouvrage.

Certains personnages sortent grandis.

Du côté français, Catroux. Le souvenir dominant pour moi était celui du ministre résidant de l'Algérie pendant quelques semaines en 1956, que sa démission après les « tomates «  du 6 février avait rendu ridicule. Il a ici une autre dimension. C'est le seul général « 5 étoiles » qui se soit mis aux ordres de Gaule. Il sut parfois lui tenir tête, sur le Moyen Orient qu'il connaissait parfaitement et dans les querelles avec Giraud, Churchill ou Roosevelt, plaidant le compromis. Il avait compris qu'il fallait « abolir le régime de discrimination » existant en Algérie, ce dont les pieds noirs se souvenaient en 1956. Il échoua dans sa tentative d' « élever à la souveraineté » un grand nombre de musulmans. Il eut contre lui Pleven qui redoutait « une nouvelle nation française christiano- musulmane. Pleven, un des rares patrons de la France libre et un de ses meilleurs organisateurs.

 Brossolette, socialiste laïc et antimunichois devenu un adversaire des partis, résistant de la première heure, intrépide, que l'on trouve selon les moments dans la résistance intérieure ou à Londres, dura jusqu'en 1944.

Alexandre Parodi, contribua à sauver Paris en 1944 ( la libération de Paris fut quasiment un miracle).

A sa manière, Léon Blum, qui en 1942/43 écrit : « le gouvernement intérimaire ne pourra se constituer qu'autour d'un seul homme... on sert la France démocratique en aidant le général de Gaulle à prendre dès à présent l'attitude d'un chef".

Et bien sûr, Jean Moulin, pendant une période, courte et décisive. La constitution du Conseil National de la Résistance, au printemps 1943, regroupant les partis politiques et les mouvements de résistance autour du général de Gaulle, lui donnent une forte légitimité, alors que sa disparition sous la pression de Roosevelt notamment était plausible. Et dès la fin de ce même printemps, Jean Moulin avait disparu.

Personnage secondaire et attachant, André Philip. Je l'ai connu comme professeur à la fac de droit (sur les pays en développement). Quand il entrait dans l'amphi, la bouffarde allumée et le costume fripé, il se créait une ambiance bon enfant de grande décontraction. Ce n'est pas un style qu'appréciait le Général. Ministre du gouvernement provisoire à Alger, arrivant en short au conseil des Ministres, le mot d'accueil du Président fut : "Philip, vous avez oublié votre cerceau... "

Entre les « bons » et les «  mauvais », Jean Monnet. Envoyé par Roosevelt des Etats Unis à Alger comme conseiller de Giraud, en particulier pour lui écrire ses discours, il constate la nullité de Giraud et bascule du côté de Gaulle, favorisant l'élimination du premier.

 Les défenseurs étrangers...

Du côté étranger. Anthony Eden, qui au nom de « l'équilibre européen » à établir   après la fin de la guerre veut une France relativement forte, ce qui l'amène à soutenir la France Libre contre Washington et à tenir tête à Churchill.

Eisenhower, principalement par pragmatisme. Il n'a aucune envie d'avoir à gérer la France libérée, lui, son métier est de faire la guerre. Et il compte sur l'apport de la Résistance qui ne peut être mobilisée que par des Français. « Une divine surprise », lorsque le 6 et 7 juin, il y a 486 coupures de voies ferrées et 180 déraillements, le trafic diminuant de moitié.

 ... et les "anti"

Dans le camp des « méchants » les antigaullistes éminents des Etats Unis. Jacques Maritain (une entreprise bonapartiste), mon ami Paul Vignaux (un général Boulanger) Alexis Léger (Saint John Perse), ex briandiste, ex secrétaire général du Quai d'Orsay, qui aurait voulu que dans la France libérée, les conseils généraux soient réunis et désignent un nouvel exécutif...Tout plutôt que de Gaulle. Et le trio des ambassadeurs américains à Vichy.

 Les monstres sacrés, Churchill et Roosevelt

Il faut mettre à part les monstres sacrés, Churchill et FDR.

Churchill a été un des premiers gaullistes non seulement par intérêt - les appuis étaient rares en juin 1940- mais par séduction ; les analyses du Général qui avait compris le caractère mondial de cette guerre recoupaient les siennes. Il était logique qu'il y eut des conflits, des querelles entre eux, volonté de récupérer quelques bribes de l'empire colonial français ou de faire plaisir aux Arabes sur le dos de la France, espoir d'obtenir le ralliement de l'armée de l'armistice (notamment la flotte) en contournant la France Libre. Et de Gaulle ne pouvait être qu'insupportable : il dépendait des Anglais pour ses fins de mois, pour le chiffre, la radio, le télégramme, ses voyages. Il faisait payer à son hôte le prix de sa dépendance, y compris en souhaitant que les Russes arrivent les premiers à Berlin...

Ces conflits étaient relativement solubles, du fait de l'existence d'un ennemi commun, s'il n'y avait pas eu les Etats-Unis. Car de Gaulle troublait le dialogue avec le grand allié.

Pour FD Roosevelt, la France n'était plus qu'un pays occupé, qui l'avait profondément déçu en s' effondrant en 1940 et qui ne reviendrait pas une grande puissance, à qui il fallait retirer son empire colonial. A la Libération, la France serait soumise à une occupation militaire ("quand nous entrerons en France, nous userons du droit de l'occupant" ,novembre 42) En attendant que les Français exercent leurs droits politiques, « aucun groupe ne sera reconnu comme le gouvernement de la France. » Quant à de Gaulle, il n'est «ni fiable, ni coopératif, ni loyal » Ce n'est qu'en juin 44, après l'accueil triomphal de Bayeux libéré à de Gaulle que FDR se résignera. Il faut aussi saluer le travail de l'Assemblée d'Alger et l'œuvre de quelques grands légistes dont René Cassin, futur vice président du Conseil d'Etat.

 Dans le « Vermeil et la Vie »,j'ai été injuste à l'égard de l'Inspection des Finances. Il y en a eu plus du côté de la France Libre que je ne l'ai écrit. A côté du giraudiste Couve de Murville, du fougueux « général » Chaban- Delmas et de Bloch Laïné, il y eut Guindey, Largentaye, Ardant et au Comité financier de la Résistance, Félix Gaillard.

Septembre 2006

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