Léonard, l'innovateur

Alors que l'on célèbre le 500e anniversaire de sa mort, Léonard de Vinci est l'un des personnages les plus célèbres au monde. Il fut tour à tour peintre, scientifique, inventeur, scénographe... mais avant tout un innovateur de génie. Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio (le nouveau nom de Foncière des régions).
Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio (le nouveau nom de Foncière des régions). (Crédits : DR)

Bill Gates le confesse. Lorsqu'en 1994 le milliardaire déboursa près de 31 millions de dollars pour acquérir le fameux codex Leicester(1), carnet de notes ayant appartenu à Léonard de Vinci (1452-1519), le fondateur de Microsoft avait pour ambition de plonger dans les pensées intimes de cette figure du génie universel. Rédigé en écriture inversée, à ce titre seulement lisible dans un miroir, ce petit opuscule d'environ 70 pages, contre près de 6.000 pour l'ensemble de ses écrits tout au long de sa vie, est la traduction de son insatiable curiosité et de son engagement dans une quête infinie de connaissances. Pour Bill Gates, Léonard de Vinci incarne la figure idéale de l'innovateur(2).

Du POC au MVP

Sans doute ce trait de caractère est-il d'abord à mettre en relation avec sa personnalité. Connu pour son intense activité, ce touche-à-tout (il fut peintre, scientifique, inventeur, scénographe...) n'en fut pas moins un visionnaire, prompt à créer puis tester de nombreuses innovations de rupture, telles que d'invraisemblables machines volantes et même un drôle d'appareil pouvant se déplacer sous les flots, ancêtre du sous-marin... Pour certaines de ses inventions, Léonard de Vinci alla jusqu'à réaliser de véritables POC (« Proof of concepts » « preuve de faisabilité ») en équipant un de ses serviteurs de drôles d'ailes identiques à celles des oiseaux afin de tester ses théories sur l'envol. Ce dernier se cassa les deux jambes en s'élançant d'une colline. Ce POC tourna court et n'obtint jamais le statut de MVP (« Minimum Viable Product » que l'on pourrait traduire par « minimum produit réalisable »), que tous les innovateurs connaissent bien.

Souvent rongé par le doute, se demandant si le génie qu'on lui attribuait servait véritablement à quelque chose, Léonard de Vinci était avant tout animé par un idéal : comprendre et vivre mieux. Observateur attentif de la nature et amoureux des chiffres, il savait traduire avec ses crayons le vol d'un oiseau ou d'une chauve-souris. "La mécanique est le paradis des sciences mathématiques, parce qu'avec elle, nous cueillons le fruit des mathématiques", écrit-il dans l'un de ses nombreux manuscrits(3). Cette capacité à combiner audace, esthétique, art et science reste aujourd'hui encore la recette de l'innovation(4). De nos jours, il est évident que Léonard de Vinci serait catalogué en tant qu'« innovateur-entrepreneur » agissant pour ce segment que l'on nomme « Tech for Good », c'est-à-dire la mise au point d'innovations au service du bien commun.

Un monde de ruptures

Fruit des amours illégitimes entre un notable et une jeune paysanne orpheline, Leonard, originaire du village toscan de Vinci, ne put avoir accès à certaines professions du fait de son statut de bâtard. Qu'importe ! Il se formera lui-même et en s'intéressant à ce qui le passionnait le plus le monde, à savoir l'observation de la nature sous toutes ses formes : faune, flore, optique, physique, météorologie... Tous ses biographes le témoignent - dont le premier d'entre eux, Giorgio Vasari(5), déjà au XVIe siècle -, Léonard de Vinci était animé par cette envie holistique de décloisonner tous les savoirs pour comprendre et agir pour changer le monde. Elon Musk, Jeff Bezos, Steve Jobs, Bill Gates... n'auraient pas dit mieux... Il est vrai que son génie s'épanouit dans une époque en pleine effervescence marquée par de profondes ruptures : rupture religieuse avec la Réforme, rupture économique avec la naissance du grand capitalisme, rupture scientifique avec la crise du rapport au réel et l'apparition des sciences expérimentales, rupture politique, enfin, avec le renouvellement de l'idée de démocratie. Possédant d'indéniables similitudes avec notre époque, cette Renaissance européenne du 16e siècle dans laquelle s'épanouit Léonard de Vinci dessine les contours d'un nouveau monde empreint d'humanisme, de conscience de soi, de mondialisation, de religion mais aussi de terreur. Si les uns pensaient vivre une période de déclin, d'autres espéraient un monde nouveau.

Coworking et fab-lab avant l'heure

A Florence, Léonard de Vinci est porté par cet idéal de progrès. Comme certains de ses contemporains, eux-aussi artistes et inventeurs, il est mobilisé pour imaginer et créer un grand nombre d'inventions, suivant en cela les écrits d'un moine anglais du XIIIe siècle qui écrivit un opus majeur recensant tout ce qu'il faudrait inventer pour entrer dans la modernité. Cette fièvre d'innovations est facilitée par des lieux propices à la création artistique : les bottega. Subtil mélange entre espaces de coworking et fab-lab, ces ateliers étaient des lieux de production, de commerce, de formation et surtout de partages d'idées entre tous ceux qui les fréquentaient. C'est dans ces sortes de « Lab d'innovation » avant l'heure, que Léonard de Vinci s'essaya à divers sujets sans forcément toujours achever ce qu'il avait commencé, comme pour mieux y revenir plus tard une fois acquises de nouvelles connaissances.

Le génie italien de la Renaissance mourut le 2 mai 1519 dans le château du Clos-Lucé que son protecteur, le Roi François 1er, avait mis à sa disposition. Traversant les Alpes pour rejoindre la petite ville d'Amboise, l'artiste avait apporté avec lui quelques-uns de ses derniers tableaux, devenus depuis les joyaux du Louvre. Concevant la peinture comme une science divine capable de traduire les phénomènes naturels, chaque tableau était pour l'artiste une expérimentation scientifique emprunte de beauté et de technicité. Bref, la figure idéale d'une innovation conçue comme devant à la fois s'inspirer d'éthique et d'esthétique. Il faudrait pouvoir demander à Bill Gates si c'était ce Graal-là qu'il recherchait en devenant l'heureux propriétaire du codex Leicester, sur lequel le grand Léonard de Vinci avait minutieusement reporté quelques-unes de ses idées.

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(*) A noter, l'exposition Léonard de Vinci, est à voir à partir de l'automne 2019, au Louvre à Paris. https://www.louvre.fr/leonard-de-vinci-1

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NOTES

1 "Leonardo da Vinci's Notebook: The Codex Leicester", en vidéo sur la chaîne Youtube de Bill Gates (2min12).

2 "Bill Gates: What This Legendary Artist Can Teach Us About Innovation" (in Time Magazine, février 2019)

3 "Léonard de Vinci, la biographie", de Walter Isaacson, aux Éditions Quanto (mars 2019), 590 pp, env. 30 euros.

4 "Innover comme Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs", de Alain Dupas, Jean-Christophe Messina, Cyril de Sousa Cardoso, aux Éditions Odile Jacob (février 2019), 176 pp, env. 18 euros.

5 "Leonardo da Vinci", par Giorgio Vasari (1511-1574), Penguin Classics (février 2015), format ePub.

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Philippe Boyer

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Commentaires 4
à écrit le 08/06/2021 à 17:19
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je trouve cette article très pertinant .

à écrit le 04/05/2019 à 6:04
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Pour faire ses dessins de machines volantes etc il parait qu'il s'était inspiré des croquis faits par un autre italien qui lui est resté inconnu

le 06/05/2019 à 14:30
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un reptilien à tous les coups...

à écrit le 03/05/2019 à 8:41
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"La simplicité est la sophistication suprême." Léonard De Vinci

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