Alstom et les marchands d'illusions

L'Etat ne peut pas tout mais quand même il sait commander des locomotives... Et tordre le bras de la SNCF pour acheter français. Le plan de sauvetage in extremis de l'usine d'Alstom à Belfort suffira-t-il pour donner un avenir industriel en France au fabricant du TGV ?
Philippe Mabille

Henri Poupart-Lafarge, le PDG d'Alstom, a le sens du timing. Annoncer, au lendemain du départ du ministère de l'Économie d'Emmanuel Macron - lequel assure n'avoir jamais entendu parler de cette hypothèse -, la décision du groupe de fermer l'usine emblématique de Belfort, celle d'où sont sorties les premières locomotives du TGV, a forcé le monde politique à rechercher une solution favorable au maintien de cette usine.

De Jean-Pierre Chevènement, baron de Belfort - « On a nationalisé Renault à la Libération pour moins que cela » - à Philippe Martinez, le leader de la CGT, qui n'a pas hésité à accuser, sans rire, la concurrence déloyale que font les « cars Macron » à la SNCF (et pourquoi pas Blablacar...), on a tout entendu sur ce dossier ces derniers jours... durant lesquels le fantôme de Florange a plané sur la campagne présidentielle.
Entre les attaques contre Macron, qui se serait plus occupé de sa startup En Marche que des dossiers industriels, celles contre Arnaud Montebourg, qui se serait nourri de rêves en obtenant de Bouygues qu'il cède à l'État une participation de 20 %, qui manifestement ne sert à rien, les rodomontades du nouveau sous-ministre de l'Industrie, et les convocations à Bercy, la machine démagogique a fonctionné à plein régime. Et c'est finalement du ministre des Transports qu'est venue la planche de salut. L'État ne peut pas tout, certes, mais il peut visiblement commander des trains sans se soucier de savoir si la France en a besoin.

Alain Vidalies a donc pour mission de tordre le bras aux patrons de la SNCF, de la RATP et aux présidents de Régions pour qu'ils achètent français, et regarnissent ainsi les carnets de commande d'Alstom Belfort. Les concurrents apprécieront cette entorse à la libre concurrence, dont il reste à démontrer qu'elle sera effective et suffisante. Le PDG du groupe s'est-il lancé dans un habile chantage pour profiter de la période électorale afin de mettre l'État au pied du mur ? Alstom n'en est pas à son coup d'essai. Sous Chirac, déjà, le groupe avait failli mourir, lâché par les banques (françaises) en raison d'un trou d'air dans son carnet de commande, et l'État déjà, avec Nicolas Sarkozy à Bercy, avait tordu le nez de Bruxelles pour sortir ce fleuron industriel de la mauvaise passe. Une dizaine d'années plus tard, Alstom a vu sa branche Énergie passer sous pavillon américain, rachetée par General Electric, au nez et à la barbe de l'allemand Siemens. Et sa branche transport, le nouvel Alstom, voit son avenir en France dépendre de commandes artificiellement gonflées par l'émotion politique, alors que le destin du groupe se joue surtout à l'international. À quoi servent les 20 % détenus par l'État, puisque la seule menace de fermer une usine suffit à le faire réagir ? Réponse : à rien !

Reste une réalité, qui devrait servir de leçons à tous ceux qui vont parler d'industrie et d'emplois pendant la campagne des présidentielles. Le rôle de l'État est-il de forcer une SNCF surendettée à acheter des trains chèrement payés pour sauver une usine ? Ou bien de créer les conditions pour que le transport ferroviaire se développe à des prix compétitifs avec les offres alternatives ? L'État doit-il sauver à tout prix Alstom Belfort, au risque d'empêcher un groupe industriel de réorganiser sa production, de baisser ses coûts et sauver in fine plus d'emplois pour conquérir des marchés à l'étranger ?
On l'a vu avec Florange ou avec l'usine PSA Aulnay : être un marchand d'illusions pendant les campagnes électorales est rarement de bon augure et ne pas dire aux électeurs la vérité sur les mutations économiques en cours ne prépare pas la France à être demain plus forte sur le plan industriel. Mais en effet, c'est un bon moyen pour se faire élire, ou réélire...

Philippe Mabille

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Commentaires 24
à écrit le 14/09/2016 à 22:13
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On veut transférer l'outil de travail à Reichshoffen: mais qu'y fabrique-t-on? En quoi cette usine est-elle mieux adaptée à l'avenir ferroviaire d'Alstom? bientôt il ne restera plus qu'Aytré-La Rochelle, mais pour combien de temps? A saint Ouen , il ...

le 15/09/2016 à 8:03
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usine d'un autre age ! : http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2016/09/08/alstom-a-belfort-l-adieu-a-l-usine_4994549_1656968.html

à écrit le 14/09/2016 à 16:39
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Alstom c'est le fruit de la vente des bonnes activités du groupe porteuses d'avenir et la conservation d'une production industrielle intéressante et portée haut technologiquement mais soumise à des aléas beaucoup plus importants notamment compte tenu...

le 15/09/2016 à 7:39
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Lorsque l'on voit les bâtiments qui datent du 19ieme ... je comprends mieux les choses !

à écrit le 14/09/2016 à 12:30
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Tout cela est aussi en grande partie la faute de UE qui impose depuis 30 ans une ouverture de l'Europe totale aux produits étrangers sans protection comme le font les asiatiques ou les américains et qui en plus refuse les alliances entre européens, s...

le 14/09/2016 à 15:42
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@reverjovial vous dites n'importe quoi. 1) Ce n'est pas la faute de l'UE. Il y a des protections et des barrières douanières à l'extérieure de l'UE. 2) Quant à la concurrence déloyal et le refus de méga fusion pour abus de position dominante ç...

à écrit le 14/09/2016 à 12:12
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Le délire émotionnel de la classe politique est affligeant pour tous les français. Ce n'est pas un atelier de 400 employés dans une usine de 2494 à Belfort, dans une entreprise industrielle de 60000 dans le monde qui met en danger la vie d'Alstom. L'...

à écrit le 14/09/2016 à 11:10
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L'état est totalement fautif, pour les raisons suivantes: il s'est servi de la SNCF (avec sa gestion déjà calamiteuse) comme levier électoral par le biais du TGV. Ce dernier coûtant une fortune à construire et à maintenir (pourquoi ne pas y être allé...

à écrit le 14/09/2016 à 10:35
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"les mutations économiques en cours ne prépare pas la France à être demain plus forte sur le plan industriel". L' Etat met en effet un emplâtre sur une jambe de bois, mais les entreprises sont aussi responsables. Elles n'anticipent rien et annoncent ...

le 14/09/2016 à 11:34
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dire : "on a rein en commande pour ce site das 2 ans", donc il faut prévoir une alternative pour dans 2 ans, par exemple en transférant vers un autre site" est il réellement la marque d'une gestion irresponsable , "à la hussarde " ?

à écrit le 14/09/2016 à 10:15
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La plupart des politiciens n'ont pas les compétences requises pour appréhender les problèmes de l'industrie. Beaucoup sont issus de la fonction publique et n'ont aucune idée de la concurrence féroce provoquée par la mondialisation des économies. Il...

à écrit le 14/09/2016 à 9:39
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La guéguerre entre Lauvergeon (Areva) et Proglio (EDF) nous a fait perdre des marchés et failli faire couler le nucléaire français. Faut-il recommencer avec le ferroviaire ?

à écrit le 14/09/2016 à 9:16
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La Tribune devrait s'intéresser à cette idée de réforme fiscale permettant de basculer la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique.

à écrit le 14/09/2016 à 9:12
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Alstom ne peut réorganiser sa production. Distance entre le nouveau site et Belfort 200 km . Les gens répugnent à bouger même pour rester en France et dans la même région, la force des habitudes. Ça risque encore de nous coûter un bras cette histoire...

à écrit le 14/09/2016 à 9:10
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L'état a raison, il faut sauver notre industrie, ce sont surtout les ouvriers et les non diplômés qui sont au chomage, d'ailleurs on entend jamais la droite sur le secteur industriel en France !

le 14/09/2016 à 10:41
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Politique et Économie sont antinomiques. On le vérifie une fois de plus. Les logiques qui les animent n'ont rien à voir entre elles.. L'industrie, si elle a à se sauver, ne peut le faire que par elle même. Et lorsque l'Etat s'en mêle en privilégiant ...

à écrit le 14/09/2016 à 9:00
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L'Etat doit intervenir avec les moyens à sa disposition. C'est le cas de la fiscalité. L'Etat doit basculer la fiscalité du travail sur la fiscalité énergétique. C'est urgent. La prochaine élection présidentielle est une occasion unique pour proposer...

à écrit le 14/09/2016 à 8:30
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Enfin un très bon article qui met bien le doigt la ou est la vérité. " Le rôle de l'État est-il de forcer une SNCF surendettée à acheter des trains chèrement payés pour sauver une usine ? Ou bien de créer les conditions pour que le transport ferro...

à écrit le 14/09/2016 à 6:29
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Voilà tout est dans le titre ....! pourquoi l'état obligerait les industriels à acheter plus cher du made in France....? au final s'est appauvrir graduellement le pays ...avant l'implosion finale de l'économie dirigée...! l'avenir industriel de la Fr...

à écrit le 13/09/2016 à 21:28
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va-t-on un jour choisir ! la libre entreprise ou l'économie planifiée de feu l'URSS ? Si ALSTOM n'a pas de travail pour maintenir Belfort en activité c'est qu'il n'y a pas de commande de TGV ! on a consacré toute la capacité de production de cette u...

à écrit le 13/09/2016 à 21:02
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Vous y allez un peu fort. Le rôle de l'Etat eut été de garder les conditions d'avoir un conglomérat en France et un taux de 25 % pour l'industrie. Quant à la libre concurrence, je pense que les Chinois s'en tamponnent, les Américains imposent la con...

à écrit le 13/09/2016 à 20:52
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Un pur moment de démagogie pure, un état sans argent va forcer des entreprises au bord du gouffre financier à acheter des locomotives. C'est le contribuable, l'usager qui va payer. Le rôle de l' état est de former le personnel à d'autres métiers, d'e...

à écrit le 13/09/2016 à 20:46
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Personne pour racheter ? Si , si le contribuable !

à écrit le 13/09/2016 à 20:27
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@Philippe Mabille Excellent article. Cordialement

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