La France qui tombe (pas encore) en panne

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. La France en route pour redevenir le leader mondial du nucléaire, dans les années 2030... On a le temps d'avoir froid. D'ici là, il faudra surtout payer nos dettes qui sont plus radioactives que nos centrales.
Philippe Mabille
(Crédits : Reuters)

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Publié en 2003, l'essai de Nicolas Baverez « la France qui tombe » avait marqué les esprits, dressant le constat clinique d'un pays en déclin, impuissant face au chômage de masse bien qu'il ait presque tout essayé comme disait François Mitterrand, dont les 35 heures avec Lionel Jospin. L'appel au réveil national de l'essayiste était tombé à plat : ni le 21 avril 2002 avec la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle, ni l'élection-plébiscite de Jacques Chirac grâce à la mobilisation d'une gauche groggy ne changeant la donne.

Comme le décrit parfaitement bien un autre Nicolas, Dufourcq, le patron de Bpifrance, dans son livre « La désindustrialisation de la France », le déclin de l'industrie s'est perpétué jusqu'en 1995, faisant des extrêmes de droite et de gauche la principale force politique d'un pays en ébullition, découragé par l'impuissance publique et prompt à se révolter à l'image de la crise sociale des Gilets Jaunes en 2018.

Nous sommes collectivement en train de payer très cher la désinvolture de cette période pendant laquelle les politiques français ont fait l'autruche et n'ont pas su, pas pu ou pas voulu regarder la réalité en face. Certes, on peut mettre au crédit d'Emmanuel Macron, du conseiller de François Hollande à l'Elysée, une volonté de sursaut, avec des réformes de l'offre qui ont redonné un peu d'espoir et redressé l'image du pays auprès des investisseurs étrangers.

Quelques réformes fiscales -fin de l'ISF et flat tax -, quelques changements à la marge sur le fonctionnement du marché du travail ont sans aucun doute remis la France au diapason de ses grands concurrents... Mais ces réformes ne suffisent à l'évidence pas à l'heure où la France doit affronter une décennie de transformation dans un contexte où jamais ses fragilités structurelles ne sont apparues aussi évidentes. Pendant longtemps, c'est le coût et le droit du travail, ainsi qu'une fiscalité punitive qui ont freiné le développement du pays. C'est désormais le prix de l'énergie et le retard pris par la France dans la construction d'une indépendance énergétique qui risquent de provoquer une accélération du déclin décrit par Nicolas Baverez.

Il n'est certes pas encore certain que la France connaîtra cet hiver des coupures d'électricité. EDF fait le maximum pour rallumer suffisamment de réacteurs en maintenance pour passer les vagues de froid des prochains mois d'hiver : 40 réacteurs sur 56 sont désormais en activité et le chiffre devrait continuer à remonter dans les prochaines semaines. Côté consommation, les ménages et les entreprises ont visiblement entendu les appels répétés à la sobriété en réalisant 10% d'économies sur un an.

Avec le coup de froid attendu dans les prochains jours, des tensions sont à prévoir sur le réseau électrique mais Emmanuel Macron a tenu à rassurer les Français sous respirateur artificiel après les propos d'un porte-parole d'Enedis les prévenant que « Les personnes à haut risque vital (...) sont éventuellement délestables. Ils sont non-prioritaires si je peux me permettre de leur dire ainsi ». La réplique du chef de l'Etat ne s'est pas faite attendre : « Ce débat est absurde, absurde. Le rôle des autorités publiques, des entreprises publiques, ça n'est pas de transférer la peur, ni de gouverner par la peur », a-t-il dénoncé tandis que la ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a sévèrement recadré Enedis,

La filiale d'EDF, qui a installé chez presque tous les Français les fameux compteurs Linky, n'a pourtant dit que la vérité toute crue. Une vérité certes dérangeante pour des responsables publics soumis à l'émotion populaire, mais dont la solution ne dépend pas d'Enedis, mais bien du rétablissement des capacités de production nucléaire et du bon calibrage de nos importations d'électricité en provenance de nos voisins, Allemagne ou Belgique. En visite dans la centrale de Penly, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, et le tout nouveau PDG d'EDF Luc Rémont, se sont voulus rassurants, à court terme comme à moyen et long terme. Mais en interne chez EDF, selon notre chroniqueur Marc Endeweld, un rapport d'un cabinet indépendant évoque le chiffre de 80 heures de coupures cet hiver. Qui croire et comment ne pas s'inquiéter face à ce scénario de la peur.

En creux, c'est bien le retard énergétique de la France et son insouciance  qui résonne à nos oreilles frigorifiées. Car il faudra au moins douze ans avant que le premier des six nouveaux EPR2 ne soit en service et 18 ans avant de voir fonctionner le premier mini-réacteur SMR, selon les propres dires du ministre de l'économie. Notre spécialiste énergie Juliette Raynal était sur place pour entendre Bruno Le maire entonner le chant du leader mondial du nucléaire, affirmant devant un parterre de salariés d'EDF, d'élus, d'étudiants et de journalistes et avec pour toile de fond une imposante turbine à vapeur de 75 mètres de long et de 7.000 tonnes qu'« EDF doit devenir le champion mondial de l'énergie ». Comme un air de déjà-vu.

Pendant ce temps là, la croissance française patine, selon la Banque de France qui espère un retour à la normale en 2024, et le Medef s'inquiète du risque de désindustrialisation en Europe et d'un mouvement de délocalisation vers les Etats-Unis, le pays où l'énergie est cinq fois moins chère et qui subventionne l'America First, même si il promet de faire attention à l'Europe.

Alors que les Etats-Unis attireront encore plus d'investissements étrangers en 2023la France détiendra le triste record d'Europe voire mondiale des émissions de dettes à moyen-long terme : 270 milliards d'euros avec des taux en hausse qui vont coûter un pognon de dingue et ne serviront même pas à payer des EPR, des ENR ou des RER. Cherchez l'erreur...

Philippe Mabille

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Commentaires 15
à écrit le 12/12/2022 à 18:15
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De nos jours, les routes sont dangereuses l'hiver, elles ne sont plus dégélées comme autrefois par les collectivités locales. Et pourtant la sécurité des êtres humains est primordiale. Et cette sécurité là, celle des gens qui vont travailler le matin...

le 13/12/2022 à 10:23
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En Alaska, aucune route n'est dégelée et pourtant cela ne les empêche pas de ce déplacer avec les équipements adéquat. Chacun doit prendre ses responsabilités, et ce n'est pas à la collectivité de materner les chauffards qui ne savent pas rouler sur ...

à écrit le 12/12/2022 à 9:44
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Parce qu'il n'y pas de corruption aux mondes des sovjets?

à écrit le 12/12/2022 à 9:10
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Bah, Manon Aubry ne peut pas se targuer de la moindre autorité morale. La gauche et l’extrême-gauche ont été pris tant de fois la main dans le pot de confiture… Ceux qui ont fait les malins sur le féminisme se sont tous fait arrêter. C’est peut-être ...

le 12/12/2022 à 9:44
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Merci pour cet excellent conseil de lecture !

à écrit le 12/12/2022 à 4:15
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Ces frenchies qui pensent que leur pays existe encore ! Meme la Coree du Sud vous a depasse, ( voir les contrats en cours pour la fourniture de tanks et missilles made in Korea pour le compte de la pologne) vous etes pathetiques et orgueuilleux, c'e...

à écrit le 11/12/2022 à 10:09
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Madame, pourquoi ne penser qu'à l'allaitement au sein ?! Dans certains pays (Asie) les parents donnent du lait de soja ou d'amandes à leur bébé. Et ils n'en sortent pas moins bien. Mieux peut-être qu'en on constate le nombre de jeunes délinquants che...

à écrit le 11/12/2022 à 9:59
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C'est vrai ! La France est une très grande puissance, tellement qu'elle pourrait le devenir encore plus ! Pour cela il faudrait appuyer sur l'accélérateur au lieu d'avoir le pied sur le frein. Et revenir à une boite de vitesse manuelle au lieu de l'a...

à écrit le 11/12/2022 à 9:44
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C'est vrai ! La France est une très grande puissance, tellement qu'elle pourrait le devenir encore plus ! Pour cela il faudrait appuyer sur l'accélérateur au lieu d'avoir le pied sur le frein. Et revenir à une boite de vitesse manuelle au lieu de l'a...

à écrit le 10/12/2022 à 19:01
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le probleme c est que redresser la france necessiterai de remettre les pendules a l heure et d arreter de faire du social. pas tant de supprimer le RSA (qui coute pas grand chose en %) que de taper sur les gros postes de depenses : pensions et soins ...

le 11/12/2022 à 11:43
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Les actifs voter pour le pen ? Lol …les actifs ils ont le sens des réalités que leurs procure le travail .. l électorat de le pen est la ou la gauche a failli : oubliées et employés parfois même émigré de 3 ou 4 génération … un signe au comite dir te...

à écrit le 10/12/2022 à 13:25
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Totalement d'accord avec cette lecture. Mais maintenant il faudrait passer à l'action et couper serieusement dans les depenses publiques improductives.

à écrit le 10/12/2022 à 12:01
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c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

à écrit le 10/12/2022 à 11:14
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Un mot pour qualifier ce constat: Schizophrénie

à écrit le 10/12/2022 à 10:19
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Madame, pourquoi ne penser qu'à l'allaitement au sein ?! Dans certains pays (Asie) les parents donnent du lait de soja ou d'amandes à leur bébé. Et ils n'en sortent pas moins bien. Mieux peut-être qu'en on constate le nombre de jeunes délinquants che...

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