Adblockers : la presse doit agir !

La presse ne peut perdre une grande partie de ses recettes sans réaction, non seulement technique, mais aussi juridique. Par Marc Schuler et Benjamin Znaty, Avocats à la cour, Bird&Bird

Comme beaucoup d'industries du contenu, la presse en ligne fait aujourd'hui face une grave atteinte à son modèle économique avec l'apparition d'une nouvelle technologie, le bloqueur publicitaire. Ces extensions installées sur les navigateurs internet permettent de bloquer l'apparition de tout encart publicitaire, en perturbant le fonctionnement des serveurs publicitaires du site. L'internaute dispose alors d'un accès à un contenu épuré de toute présence publicitaire. Transposé à la presse papier, cela revient peu ou prou à acheter un journal ou un magazine au sein duquel toutes les publicités auraient été pré-déchirées.

La publicité est, il est vrai, aujourd'hui omniprésente sur internet. Toutefois reconnaissons qu'il est impensable d'imaginer un modèle économique viable sans publicité, dès lors que la diffusion de l'information est fondée sur un modèle de gratuité. Le manque à gagner des éditeurs résultant de l'usage de cette technologie est colossal. Selon une étude publiée par Adobe et PageFair, outil permettant de détecter les utilisateurs ayant recours aux adblocks, il serait estimé à 41 milliards de dollars en 2016.

Faire payer aux éditeurs ce qu'on donne aux lecteurs...

Relevons, par ailleurs, si l'objectif premier était de réduire la gêne des internautes, la réalité du modèle économique de certains adblockers parmi les plus usités ,est toute autre. Ces adblockers couplent leur service à une offre commerciale de référencement payant sur une liste blanche, permettant de faire obstacle au blocage des publicités...soit, en d'autres termes, à l'utilisation de l'outil qu'ils mettent eux-mêmes gratuitement à la disposition des internautes.

Ce que la main gauche donne aux internautes, la main droite le fait payer très cher aux éditeurs...

Les éditeurs ont à ce jour pris le parti de se doter d'outils permettant aux sites de détecter la présence d'adblockers et de stopper toute navigation tant que l'internaute n'a pas désactivé son bloqueur. Selon une démarche se voulant pédagogique, le New York Times affiche ainsi le message suivant à ses lecteurs : « Les meilleures choses ne sont pas gratuites. Vous utilisez actuellement un ad-blocker. Pour continuer à profiter du Times, veuillez nous supporter en utilisant l'une des méthodes suivantes ». L'option offerte à l'utilisateur consiste à soit intégrer le titre à la liste blanche de son adblocker soit souscrire à la version payante du magazine en ligne. Cette approche a été suivie par un certain nombre d'éditeurs français tels 20 minutes, Voici, l'Equipe ou encore les Echos.

Si la riposte ne s'est pas faite attendre, constatons qu'elle n'est pas sans impact sur l'expérience consommateur, pourtant fondamentale dans le succès de tout service en ligne.

Riposte légale

Une riposte légale a pu être envisagée par le passé avec plus ou moins de succès face à certaines technologies mettant en péril les industries du contenu, comme la musique ou l'audiovisuel, au travers par exemple la lutte contre le téléchargement illégal. Une telle approche ne s'est malheureusement pas révélée à ce jour encore efficace face aux adblockers.

La riposte légale pourrait ici venir d'une intervention régalienne à l'instar des intentions exprimées dans d'autres juridictions. Dans les colonnes du Guardian, John Whittingdale, Secrétaire d'Etat à la Culture au Royaume-Uni a qualifié les adblockers de « racket moderne » et a laissé entendre l'intention du gouvernement de venir en aide aux éditeurs de presse.

Un exemple allemand?

Sur le volet judiciaire et à deux reprises en avril et mai 2015 les juridictions allemandes (Tribunaux de Hambourg et Munich), ont rejeté les prétentions des groupes de presse allemands Axel Springer et RTL tendant à faire reconnaître la non licéité d'Adblock Plus, principal adblocker disponible sur le marché. L'atteinte aux droits de propriété intellectuelle du site amputé de ses affichages publicitaires et la concurrence déloyale étaient invoquées. Au rang des arguments au soutien de la concurrence déloyale, il était reproché à Adblock Plus la mise en place de son référencement payant au sein de sa liste blanche, assorti d'engagements quant à des critères d'affichage unilatéralement fixés par Adblock Plus. Les prétentions des éditeurs allemands ont toutefois toutes été rejetées par les tribunaux sur les deux fondements. Les juges allemands ont notamment relevé que le blocage publicitaire ne portait pas directement atteinte à des éléments couverts par la propriété intellectuelle, écartant ainsi le premier fondement. Ils ont en outre estimé qu'il n'existait pas de rapport de concurrence entre les éditeurs de presse et l'éditeur du logiciel Adblock Plus, excluant par-là même l'application du second fondement.

Il n'est pas certain que l'exemple allemand face jurisprudence en France. La jurisprudence française adopte une interprétation large du parasitisme économique et n'exige pas nécessairement une concurrence directe entre les protagonistes, pour accueillir les demandes fondées sur la concurrence déloyale. Le choix d'installer l'outil relève, il est vrai, non de l'éditeur mais de l'internaute lui-même. Cela ne signifie pas pour autant que les perturbations, dès lors qu'elles impactent le bon fonctionnement du site, ne soient pas source de responsabilité pour l'éditeur de l'adblocker. Les juges ont dans certaines espèces, rappelé que les principes de loyauté et de libre concurrence imposent à une entreprise intervenante sur le marché de s'assurer que son activité ne génère pas des actes illicites au préjudice de tout autre opérateur économique et qu'à défaut elle est susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Aussi, il est plausible d'imaginer un autre tournant judiciaire en France...

Marc Schuler / Benjamin Znaty, Avocats à la cour, Bird&Bird

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