Ceci n’est pas un « choc pétrolier »

LE "CONTRARIAN" OPTIMISTE. Les attaques contre les installations d'Aramco, samedi, en Arabie saoudite, ont fait chuter la production journalière du premier exportateur de brut du monde de 60 %. Faut-il pour autant s'attendre à une catastrophe pour l'économie mondiale ? Par Robert Jules, directeur adjoint de la Rédaction.
Robert Jules
(Crédits : Handout .)

Les attaques perpétrées par des drones samedi en Arabie saoudite ont enflammé les installations pétrolières d'Abqaïq et Khurais mais aussi les esprits, prophétisant une catastrophe pour l'économie mondiale. La perte journalière de 60 % de la production du premier exportateur de brut du monde s'est traduite par une amputation passagère de 5 % de l'offre mondiale. Ce qui a fait réagir les marchés dès le lundi. En Asie, les prix du baril s'envolaient de 20 %. Sur les marchés américains et européens, l'envolée était de 10 %. Mais cette brusque hausse était davantage due au changement massif des positions des investisseurs sur les marchés à terme qu'à la disparition de pétrole physique. De fait, mardi 17 septembre, les cours des deux côtés de l'Atlantique baissaient de 6,5 %. Le baril de Brent cotait en fin de séance mardi à 64,50 dollars, revenant peu à peu à son étiage d'avant les attaques.

Car il ne s'agit pas d'un « choc pétrolier », expression qui s'est durablement installée dans les têtes depuis que l'Occident s'est trouvé à la merci de l'Opep, qui imposa un embargo sur ses exportations en octobre 1973 en réaction à la guerre du Kippour. Beaucoup de pétrole a coulé depuis dans les oléoducs, et l'industrie pétrolière s'est adaptée, ainsi que les politiques énergétiques des gouvernements.

De même, sous la houlette de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), des programmes de stocks ont été mis en place depuis le début des années 2000 dans les pays de l'OCDE mais aussi dans des pays émergents, comme la Chine, équivalents au moins à trois mois de consommation. Selon l'AIE, les stocks commerciaux dans les seuls pays de l'OCDE, avaient augmenté en juillet dernier de 1,5 millions de barils (mb) pour atteindre 2,931 milliards de barils, soit 19,7 mb au-dessus de la moyenne des cinq dernières années. De quoi voir venir.

En fait, l'impact réel des destructions de samedi reste limité sur l'approvisionnement mondial, pour répondre à une demande de 100,3 millions de barils par jour (mbj), selon l'AIE. En effet, même si l'Arabie saoudite est le seul pays a avoir une capacité de réserve de 2 mbj (3 mbj pour l'ensemble de l'Opep), le marché reste bien approvisionné.

Car le cartel a perdu une large partie de son influence. Il fournit à peine plus du quart de l'offre mondiale. L'AIE estime qu'en 2020 sa contribution à l'équilibre du marché (la demande mondiale est prévue à 101,6 mbj) sera de 28,3 mbj, soit 1,4 mbj de moins qu'en août dernier.

Et depuis presque deux ans, l'Opep convoque régulièrement ses membres pour appliquer des réductions de production afin de maintenir les prix du baril. En pompant 30,6 mbj en moyenne en 2019, un niveau supérieur aux besoins, le cartel n'en a pas moins abaissé de 1 mbj son niveau moyen d'extraction de 2018.

Cette marginalisation de l'Opep est due aux États-Unis, qui pompent déjà 12,5 mbj et, selon l'AIE, devraient extraire 13,3 mbj en 2020. Sans compter la Russie, qui produit, elle, quelque 10 mbj.

La dynamique de la production américaine n'est pas sous contrôle politique, comme c'est le cas pour l'Opep, mais guidée par le profit entrepreneurial. Le mouvement a été favorisé par Donald Trump, qui a levé toutes les restrictions sur les autorisations de prospection et d'exploitation. Le secteur pétrolier états-unien est devenu tellement efficient qu'il a réussi en moins de cinq ans à devenir bénéficiaire, avec un baril à 40 dollars contre 60 dollars. Ce boom permet au secteur pétrolier (et gazier) de peser désormais l'équivalent de 7,5 % du PIB des États-Unis.

Et c'est cette nouvelle configuration du marché pétrolier mondial qu'il faut prendre en compte.

Robert Jules

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Commentaires 2
à écrit le 19/09/2019 à 10:56
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"Faut-il pour autant s'attendre à une catastrophe pour l'économie mondiale" Si on se réfère à ce que devrait être la Loi de l'offre et de la demande avec une récession mondiale en marche non,tout juste un épiphénomène mais vu que c'est le lobby p...

à écrit le 19/09/2019 à 10:26
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Il ne s'agit que d'une péripétie (les capacités de production seront rétablies en 2 semaines) et qui en plus survient en phase de réduction de la demande due au ralentissement économique. Tout ça aura un impact très limité, bien inférieur aux effets ...

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