Comment éviter l'exclusion financière des réfugiés ukrainiens

OPINION. L'afflux en Europe de réfugiés ukrainiens fuyant la guerre dans leur pays pose des questions matérielles comme celle de l'accès à un compte en banque. L'Autorité bancaire européenne (ABE) a rappelé le cadre qui prévaut pour ce faire, et qui comprend des règles pour éviter de financier le terrorisme. Mais dans le cas de l'Ukraine, cela s'impose-t-il? Par Jean-Jacques Quisquater, Université de Louvain (Ecole Polytechnique de Louvain), Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles (Ecole Polytechnique de Bruxelles) et Gael Hachez (expert en gestion du risque technologique dans le secteur financier).
Des réfugiés ukrainiens remplissent des formulaires dans un centre d'enregistrement installé à l'hôpital Zendal de Madrid.
Des réfugiés ukrainiens remplissent des formulaires dans un centre d'enregistrement installé à l'hôpital Zendal de Madrid. (Crédits : Reuters)

Avoir un compte en banque fera partie des services de première nécessité pour les réfugiés ukrainiens. La sévérité des procédures dites de « customer due diligence », à savoir vérifier de manière sévère qui devient client serait en décalage avec la situation des Ukrainiens en fuite partout en Europe, dans le dénuement le plus complet, avec des papiers pas en règle ou pas de papiers, pas (encore) de résidence. La même question s'était posée avec l'afflux de réfugiés syriens : des terroristes s'étaient glissés parmi eux et avaient pu pénétrer en Europe. L'Ukraine n'est pas la Syrie et est encore moins un pays d'accueil du terrorisme.

A toutes fins utiles, l'Autorité bancaire européenne (ABE) a rappelé, vendredi dernier, son opinion de 2016, comment assouplir les règles d'acquisition des nouveaux clients quand on les applique aux réfugiés provenant de pays à risque plus élevé tout en n'augmentant pas les risques de blanchiment d'argent et de terrorisme. Cela manque peut-être de tact quand les autorités européennes ont activé la directive 2001/55/EC pour octroyer à tout Ukrainien qui le demande une autorisation de séjour. Les autorités auraient-elles pu accepter d'accueillir indistinctement ces réfugiés s'il y avait un risque important de laisser arriver des terroristes ?

C'est que ne pas offrir un service bancaire de base aux réfugiés augmente justement le risque de financement du terrorisme car ces derniers seraient alors obligés de se raccrocher à la finance souterraine. Il n'y a pas pire. L'inclusion financière est le meilleur remède pour la prévention du financement du terrorisme et du blanchiment d'argent. Il y a une obligation de proposer un compte de payement à tous les consommateurs qui résident légalement en Europe. Ce sera le cas des demandeurs d'asile une fois qu'ils ont une autorisation de séjour et sont dûment enregistrés. Aucune banque, rappelle l'ABE, ne peut refuser d'ouvrir un compte sur la simple base que le réfugié vient d'un pays à risque ou qu'il ne peut pas - pour de bonnes raisons - prouver son identité.

Comment résoudre ces contradictions ?

Le premier écueil est l'authenticité de ces papiers d'identité. Comment vérifier les papiers d'identité d'un demandeur si et quand il en a. La banque est tenue de vérifier l'identité sur base de documents, données ou information obtenue d'une source fiable et indépendante mais la loi européenne ne précise pas ce qu'est une source fiable. Il y a donc de la flexibilité mais à mesurer à l'aune du trafic de faux papiers ou des vrais papiers d'Etats douteux. Les terroristes des attentats de Paris avaient des passeports syriens. L'ABE se tire des flûtes en se reportant aux papiers provisoires que l'Etat membre aura donné au demandeur d'asile. Cela suffira comme preuve d'identité. Las, ces papiers provisoires diffèrent d'un Etat membre à un autre. Le réfugié ne compte pas forcément rester dans le pays qui lui a délivré le papier provisoire. Comment la banque dans le pays d'arrivée peut s'en sortir sans accès à une base de données universelle des papiers d'identité ? L'Ukraine ayant avancé à grands pas dans sa digitalisation ces dernières années, les banques se satisferont peut-être des informations d'identité contenues dans l'app DIIA (sorte de portefeuille électronique de documents officiels en Ukraine pouvant contenir les documents d'identité, le permis de conduire, le pass sanitaire). Fin 2021, elle était déjà utilisé par plus de 25% des Ukrainiens.

Le problème est aussi qu'une fois le client enregistré et actif, le risque subsiste : le papier provisoire a peut-être été donné un peu vite sur des bases légères. Il faut donc compenser pendant toute la durée de la relation commerciale avec le client. L'ABE préconise :

- la surveillance des mouvements sur le compte : les montants doivent être en ligne avec ce qu'on attend du profil du réfugié. Le niveau de surveillance doit être proportionnel aux doutes qu'on aura eu sur son identité au moment de son inscription.

- la surveillance doit s'étendre à la relation client elle-même. Il faut évaluer, dit l'ABE, le comportement qu'on attendrait d'un tel client, au niveau de la destination et de l'origine des virements depuis son compte, les montants, la nature des transactions. La banque doit pouvoir capitaliser sur son expérience avec d'autres demandeurs d'asile et même de partager cette information avec les autres banques. Et d'imaginer des seuils d'alerte sur des transferts fréquents d'argent vers les pays d'origine. Si ce sont des petits montants et même si ce pays finance le terrorisme, pourquoi pas, dit l'ABE : le réfugié y a de la famille, quoi de plus normal. Des fonds de ces Etats versés à ses citoyens ne devraient pas être automatiquement alarmants. L'ABE demande de se mettre à la place du réfugié pour imaginer ce qui est normal ou pas (pas évident !):

- la barrière de la langue doit être adressée car cela pose alors problème pour la banque pour bien comprendre à qui il a affaire pour définir ainsi le profil de risque du client. L'ABE notait qu'en 2016, l'Italie et l'Allemagne avaient mis du staff spécialisé pour tenir compte de la barrière de la langue.

Autre précaution : le caractère simplifié des services bancaires proposés avec lequel on ne peut pas faire grand-chose de mal mais l'ABE en demande plus :

- les comptes des demandeurs d'asile doivent être observés régulièrement, surtout après des événements particuliers comme des transactions inhabituelles ou inattendues qui changeraient le profil de risque établi pour ce client (lisez, il devient plus risqué)

- les comptes des clients qui ont été ouverts sur base de papiers temporaires d'identité soient identifiés comme tels afin qu'ils ne sombrent pas dans l'oubli et restent actifs pour des personnes en séjour illégal sans le savoir.

- il faut un suivi des demandeurs d'asile qui tout à coup déménageraient alors que le compte a une procuration pour un tiers... qui en abuserait.

- de limiter les crédits ou les interdire, d'imposer un montant maximum d'entrée-sortie d'argent sur les comptes, de limiter le nombre de transferts de personne à personne, de limiter le montant des transactions vers les pays tiers qui financent le terrorisme et, évidemment, d'interdire le retrait de cash dans ces pays.

Programme de surveillance et de profilage

L'ABE y va tout de même fort : c'est un vrai programme de surveillance et de profilage.  Le RGPD qui est venu après ne va pas apprécier. Mais l'Ukraine n'est pas le problème : les banques décideront très vite que ce pays n'appartient pas aux zones à risque de terrorisme ou de blanchiment et n'appliqueront qu'une petite partie de cette opinion.

C'est ce que l'on voit déjà arriver dans les faits. Certaines banques en ligne (p.e. Revolut) qui sont déjà habituées à une identification à distance autorisent déjà la création de comptes en banque dans la zone euro sur base des seuls documents d'identité ukrainiens.

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Pour en savoir plus : EBA calls on financial institutions to ensure compliance with sanctions against Russia following the invasion of Ukraine and to facilitate access to basic payment accounts for refugees, March 11, 2022

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Commentaires 4
à écrit le 23/03/2022 à 19:42
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Quand on veut remplacer une vérité par une autre , ils tordent le cou à la première. Que de manipulations en tous genres! Ce cirque est à vomir. ET Biden que croyez-vous qu'il est venu imposer aux européens? La paix ? ou l'escalade militaires et la ...

à écrit le 23/03/2022 à 19:37
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Quand on veut remplacer une vérité par une autre , ils tordent le cou à la première. Que de manipulations en tous genres!

à écrit le 23/03/2022 à 10:44
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Octobre 2021 : Le président ukrainien Volodymyr Zelensky essuie une véritable tempête médiatique et politique. Les révélations sorties dans le cadre des Pandora Papers depuis lundi le visent directement. Cette enquête, menée par plus de 600 journa...

à écrit le 23/03/2022 à 8:29
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Ben quoi les gars on assume pas la stratégie européenne imposée du dumping social ? Alors que ça a massacré la valeur travail les ahuris, encore un fléau que vous avez bien réussi, bravo les idiots, la vie est belle mais vous vous acharnerez toujours...

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