COP24 : si on payait son électricité au forfait, comme les télécoms  ?

Les centrales classiques dont le rôle est de suppléer aux intermittences du renouvelable vont devenir de moins en moins rentables et risquent de fermer. Ce qui remet en cause le fonctionnement actuel du marché de l'énergie. L'une des pistes serait de passer d'une logique de paiement à l'électricité consommée à celle d'un forfait, comme le proposent les télécoms. Par Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles, Ecole Polytechnique de Bruxelles.
(Crédits : Reuters)

En 2017, quasi tous les investissements dans la production d'électricité l'ont été dans le renouvelable. Ce serait une bonne nouvelle sans ce dopage aux subsides qui explique son succès. Il est aussi peu flexible, il dépend du vent ou de l'ensoleillement. Il peut créer un risque de pénurie d'électricité puisque les centrales classiques, qu'on ne démarrera plus que quand on en aura besoin, tournent moins. Elles sont moins rentables. On les ferme et on n'en construit plus. Et pour ne rien simplifier, photovoltaïque et éolien ont des intermittences antagonistes : le photovoltaïque ne produit que quand il y a du soleil, ce qui coïncide avec une forte consommation. Cela a un effet sur les prix mais de manière trop épisodique.

Est-ce le fonctionnement du marché de l'énergie qu'il faut revoir ? Il vient d'un monde où les centrales pouvaient se connecter sur commande au réseau au fur et à mesure de la demande. C'était alors logique d'avoir des prix à l'électricité consommée. L'alternative, c'est payer un forfait auquel les télécoms nous ont habitués et/ou de rémunérer un opérateur quand il met de la capacité de production à disposition en cas de besoin. C'est payer un opérateur à ne rien faire ! Pour en valoir la peine, cela doit apporter une meilleure réponse aux 3 objectifs clés d'une politique énergétique : des prix abordables, une sécurité d'approvisionnement et le caractère durable de cette énergie (plus de renouvelable, moins de subsides).

Rappelons-nous les télécoms : tant qu'on payait au MB (mégabyte), la data mobile ne perçait pas. Le forfait a boosté l'usage mobile. Les forfaits donnent des revenus plus prévisibles et si on ne les consomme pas, ils sont un financement de notre sécurité de connexion. Avec ces revenus, les opérateurs mobiles investissent en continu et nous offrent la 4G/5G à des prix abordables. L'énergie ne fonctionne pas comme les télécoms. Les investissements sont lourds, sont amortis en dizaines d'années. C'est aussi dur à avaler pour le consommateur de payer un forfait (cher, vu le prix de l'énergie). Par contre, on pourrait, sur les marchés de gros, rémunérer le producteur parce qu'il maintient des centrales en état de fonctionner, prêtes à injecter sur le réseau.

Energy-market

Quand les prix sont fonction de l'électricité produite, les consommateurs n'ont pas (encore) la capacité de réagir à leur variation qui se manifeste sur les marchés de l'électricité. Il faudra généraliser des compteurs intelligents qui commanderont indirectement l'électroménager au moment où les prix sont bas (avec un bémol pour les usagers faibles qui ne peuvent s'offrir une telle domotique). Aujourd'hui, en cas de risque de pénurie, les prix de gros fluctueront intensément sans être répercutés sur le consommateur. Ce serait politiquement délicat au point d'imposer des prix régulés par les autorités et les régulateurs (le 5 décembre dernier, E. Philippe n'annonçait-il pas que les tarifs régulés de l'électricité n'augmenteraient pas?). Avec des prix de gros incertains, non récupérables sur le marché de détail, les investisseurs ne vont pas se bousculer. Pis, plus il y a du renouvelable, plus les centrales classiques tourneront par intermittence. Ce renouvelable intermittent rend essentiel ces centrales d'appoint mais aussi les services ancillaires qui aident à la bonne tenue du réseau électrique (compensation de la puissance réactive, maintien de la fréquence...), un tout autre marché géré par un acteur, le gestionnaire de réseau.

L'alternative, c'est rémunérer les opérateurs pour mettre à disposition de la capacité de production. C'est une alternative que ne pousse pas encore la Commission européenne, aux commandes de la libéralisation.

Une étude du CERRE s'est penchée sur le problème : faut-il revoir radicalement le fonctionnement du marché ? Si on ne change rien, on ne pourra que difficilement mettre fin aux subsides : le coût de ces technologies renouvelables et l'investissement de départ à réaliser doivent fortement chuter. Même dans un marché où le prix du carbone et des combustibles fossiles reste élevé, il faudrait une chute de 35 % par rapport à 2016. Mais la tendance est là : l'offshore éolien est désormais attribué par des enchères plutôt que par des prix d'achat fixes (feed-in tarifs). Le prix le plus bas proposé l'emporte. Cela reste un subside mais moins lourd. Pour le CERRE, il faudrait un triplement des prix du brut et un doublement du gaz en 2025 par rapport à 2016. En fait, les prix de gros n'arriveront plus jamais à servir de signal aux investisseurs pour construire de nouvelles centrales si elles ne servent que d'appoint.

Capacity Markets

Mettre une dose de rémunération via un marché des capacités ou renforcer le marché des services ancillaires au fur et à mesure qu'on augmente le renouvelable crée des incitants pour de nouvelles capacités de production ou pour le maintien de celles qui existent. Même si elles tournent peu, leurs opérateurs gagneront de l'argent. Mais on manque de recul. Qu'est-ce que le client paie exactement ? Est-on sûr que les capacités seront opérationnelles au moment venu ? Dans les télécoms, le client n'a pas besoin d'un tiers pour utiliser les MB ou les minutes de son forfait. Ici, on doit prévoir des pénalités si rien n'est délivré. Le producteur peut préférer payer des pénalités pour faire monter le prix de l'électricité sur le marché de gros. Placer la pénalité trop haute augmenterait le coût du capital pour investir. Pour éviter des manipulations de marché par le producteur, certains ont imaginé de mettre sur le revendeur la responsabilité de prévoir suffisamment de capacité. C'est dangereux car ils sont en sandwich entre consommateurs et producteurs. Ils pourraient être tentés d'acheter trop de capacité qui détériorerait leur rentabilité. Et il y a les services ancillaires, indispensables à la bonne tenue du réseau, au fonctionnement très spécifique. Comment interagira-t-il avec un marché de capacité ?

Changer ou pas ?

Y aura-t-il à un moment donné tellement de renouvelable qu'on aura plus le choix de se tourner ou non vers une rémunération à la capacité plutôt qu'à la production ? Non, dit le CERRE. Nous devons vivre avec ce problème de financement des capacités de production et des tensions apportées par de plus en plus de renouvelable. Une meilleure interconnexion des marchés des Etats membres va lisser en partie ces problèmes. Elle lissera le renouvelable et son intermittence. Elle mutualisera les investissements, fera converger les prix de gros et surtout les stabilisera. Ce ne sera pas suffisant pour réduire les risques de marché.Pour le CERRE, seule une baisse des coûts d'investissements dans le renouvelable et/ou une forte augmentation des prix du combustible fossile et du carbone peut mettre fin aux subsides sans changer de modèle de marché. Mettre fin aux feed-in tarifs va augmenter la volatilité du marché.

Enfin, la volonté des Etats membres de vivre avec la subsidiation des nouvelles capacités de productions renouvelables entre 2005-2018 rend peu imaginable un changement radical à l'échéance 2025. Il devrait surtout être envisageable à l'échelle européenne. Las, le mix énergétique est très différent pays par pays : la capacité de chaque Etat membre à absorber plus de renouvelable est variable. Il n'y a pas de recette unique pour le passage à un marché de capacité d'autant plus que le marché des services ancillaires, indissociable du marché de l'électricité reste très local, ne passe pas bien les frontières et n'est pas vraiment libre mais géré par un acteur. Et le prix du carbone, autre variable clé de cette équation complexe, peut varier pays par pays.

Un basculement complet vers un marché des capacités n'est pas la solution. Mais en créer un pour compléter le marché tel qu'il fonctionne aujourd'hui est à creuser. Si on peut le combiner par une meilleure réponse de la demande aux signaux de prix, le caractère intermittent du renouvelable sera adressé de deux cotés, offre et demande.

Europe's Electricity Market Design, 2030 and beyond, December 2018, Michael Pollitt and Chi King Chyong

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Commentaires 4
à écrit le 18/12/2018 à 10:42
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Dans le montant de la facture annuelle d'électricité c'est 50% de taxes. ,charges ,impôts ,et abonnement.Malgré un effort considérable d'économie de consommation électrique la facture ne fait que d'augmenter Merci les gouvernements les ministres et...

à écrit le 18/12/2018 à 9:09
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Nos experts incapables de penser dans un autre sens, incroyable ce manque cruel d'imagination. "Si vous ne trouvez plus rien, cherchez autre chose" B. Fontaine. LE problème majeur de votre "idée", si on peut appeler ça une idée, c'est que le ...

à écrit le 17/12/2018 à 20:15
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Développer les compteurs intelligents, c'est quoi ça ? Linky n'est que communicant, quitte à ce que le serveur d'Enedis ou du fournisseur d'énergie lui envoie des commandes "intelligentes". "C'est aussi dur à avaler pour le consommateur de payer un ...

à écrit le 17/12/2018 à 19:53
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On a du mal à comprendre ce que veut dire l’article. Ce qui est sur c’est que la croissance des renouvelables pose des problèmes de fonctionnement du réseau électrique. A privilégier les renouvelables, on tue la rentabilité des centrales à combustibl...

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