Engie-EDF, il est temps de rebattre la donne

OPINION. Les deux grands producteurs français d'électricité, Engie et EDF sont depuis quelques années fortement déstabilisés. Par Etienne Bertier, Ancien Secrétaire Général d'EDF
(Crédits : BENOIT TESSIER)

Le marché s'interroge sur la stratégie d'Engie. Se voulant hier leader des services à l'énergie, le groupe se veut aujourd'hui leader des énergies renouvelables et de la décarbonation. Mais son importante présence dans la distribution et le transport de gaz est mal comprise par les marchés qui souhaiteraient qu'Engie se concentre sur l'objectif de sa « raison d'être », officiellement adopté en assemblée générale : la neutralité carbone et donc, si l'on est logique, abandonne ses activités gazières. Engie, et c'est naturel, se donne aujourd'hui, en France comme en Belgique (où le groupe renâcle à prolonger ses centrales nucléaires), une stratégie d'opérateur privé. La présence de l'État à hauteur de 24% de son capital, y fait obstacle et se justifie de moins en moins. L'agence des participations de l'État en convient implicitement d'ailleurs en cédant régulièrement des blocs d'actions sur le marché.

De son côté, EDF est confrontée à un marché de l'électricité qu'elle ne contrôle plus comme par le passé, subissant les coups de boutoir d'une concurrence subventionnée et donc déloyale des énergies renouvelables et souffrant de la ponction financière de l'Arenh qui la prive de 8 milliards de capacités de financement par an. C'est dans ce contexte adverse qu'EDF doit réaliser le tour de force de supporter sa dette de 60 milliards et de lever 60 milliards supplémentaires pour mener à bien le lancement du nouveau programme nucléaire en France et au Royaume-Uni.

Or, l'État a à sa main une solution toute simple qui offrirait des réponses appropriées aux problématiques des deux entreprises : apporter à EDF sa participation dans Engie sous la forme des actifs gaziers de celle-ci. Une solution qui a plusieurs avantages et très peu de défauts.

La distribution et le transport de Gaz d'Engie (GRT Gaz, dans lequel Engie parle ouvertement de réduire sa participation par une introduction en bourse), trouveraient leur place dans le groupe EDF exactement comme Enedis et RTE s'y trouvent aujourd'hui : capitaslistiquement liés mais jouissant d'une certaine indépendance managériale. Ajoutons que GRT Gaz s'affiche comme une société chargée d'un service public ce qui justifierait plus encore son rattachement à EDF s'il le fallait.Les avantages pour EDF seraient évidents.

D'abord cet apport d'actifs accroîtrait sa marge brute d'une dizaine de milliards et lui permettrait de s'endetter significativement plus et mieux qu'actuellement, ce sans en appeler à la garantie de l'État. C'est précisément pour faciliter le financement d'EDF que le gouvernement a choisi de la sortir de la bourse. D'une part en améliorant sa marge brute, on l'a dit, et d'autre part en renforçant ses fonds propres.

Accessoirement, à l'heure d'un retour nécessaire et souhaité à la rigueur budgétaire, cela dispenserait les finances publiques de nouveaux subsides à EDF qui, à défaut, seront inéluctables. En même temps, le profil d'EDF s'en trouverait rééquilibré entre le marché de l'électricité et celui du gaz ce qui stabiliserait sur le long terme le revenu d'EDF. Là encore, le financement du nouveau nucléaire serait facilité.

Enfin, cette solution aurait l'avantage de réunifier le grand corps des électriciens et gaziers français, redonnant confiance et espoir à 180 000 salariés concernés. Et qui sait, permettrait peut-être, à cette occasion, de renégocier leur régime de retraite. Voilà pour EDF. Pour Engie, les avantages de cette solution sont eux aussi réels.

Faute d'une stratégie claire et d'un actionnariat cohérent, le cours d'Engie a été divisé par deux en 8 ans, alors que l'italien Enel, le portugais EDP ou l'espagnol Iberdrola ont vu leur valorisation doubler. La faute à l'État ? Sûrement en partie. Les marchés apprécieraient le départ de l'État et la fin du « overhang », ce risque sur le cours de l'action d'un actionnaire structurellement vendeur - ici l'État - qui pèse lourdement sur la valorisation de l'entreprise. Il est raisonnable de penser que libéré de la tutelle de l'État, le cours de l'action d'Engie se rapprocherait de celui de ses pairs. Actuellement valorisé 8 ou 9 fois son résultat, Engie pourrait l'être 15 fois dans ce nouveau contexte (EDP, fort de son portefeuille de renouvelables est valorisé 17 fois son résultat !). Cette hausse de la valeur du titre faciliterait elle aussi le financement de ce champion national des énergies vertes. Par ailleurs, la fin de l'activité gazière d'Engie lui permettrait d'atteindre plus rapidement et plus sûrement son objectif de décarbonation.

On l'a dit, Engie se veut un acteur privé donc ! Fort bien, mais les services, pas plus que le développement des énergies nouvelles, par nature intermittentes, ne permettront au pays de résoudre l'équation énergétique qui lui est aujourd'hui soumise : produire une électricité plus abondante et moins chère. La justification de la présence de l'État dans son capital est donc difficile. Facilitation du financement de deux champions nationaux, allègement du budget de l'État, remobilisation des équipes, clarification des rôles, l'apport par l'État des actifs gaziers d'Engie à EDF aurait de nombreux avantages.

Certes on pourrait craindre qu'une fois le désengagement de l'État réalisé, Engie soit dans une situation opérable. Tant mieux ! Cela contraindrait le groupe à se doter d'une stratégie claire et à même de convaincre les investisseurs, ce qu'il n'a pas su faire depuis dix ans. Et surtout, il y aurait là une occasion unique pour Engie de se doter d'un tour de table composé d'actionnaires de long terme prêts à investir dans un secteur qui requiert plus que d'autres des compétences techniques et une grande solidité financière. La Commission européenne pourrait peut-être trouver des motifs de s'opposer à cette opération, alléguant d'une aide d'État ou d'un risque de position dominante.

Aide d'État : on voit mal comment prospèrerait une action de la Commission contre EDF alors que la crise énergétique actuelle est gravissime, qu'EDF est désormais une société totalement contrôlée par l'État et qu'il s'agit ici de renforcer ses fonds propres ce qui est par nature un acte de gestion sain. Enfin, au moment où le Inflation Reduction Act aux États-Unis alloue des centaines de milliards de dollars aux industriels du secteur de l'énergie, il serait peu fair-play de reprocher à la France d'apporter une dizaine de milliards d'euros en soutien à son énergéticien «incumbent» qui fut le château d'eau électrique de l'Europe et a vocation à le redevenir. Risque de position dominante : les marchés concernés, électricité et gaz, sont distincts et considérés comme tels depuis longtemps par la Commission. Il serait donc étrange de chercher à entraver une telle opération sur la base de ce motif. Mais surtout, outre le renforcement de ses fonds propres, EDF pourrait tirer de cette opération d'importantes synergies de coûts qui, enfin, pourraient bénéficier au consommateur ! Or le concept d'abus de position dominante est fondé sur la défense du consommateur. On voit bien qu'ici y avoir recours serait dénué de sens.

Le gouvernement a ici l'occasion de faire preuve de libéralisme en affranchissant Engie d'une tutelle pesante ; de vision stratégique en clarifiant les rôles de deux grands acteurs français, et de patriotisme économique en refaisant d'EDF le leader mondial de la production d'électricité et de la distribution d'énergie aux ménages et industriels.

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Commentaires 7
à écrit le 09/04/2023 à 8:43
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Et donc enlever à engie sa plus grosse source de revenus ca va renforcer cette entreprise? N importe quoi...maintenant quand on voit le parcours professionnel de l auteur on comprend aisément son biais en faveur de EDF. Moi j'ai une autre solution ...

le 10/04/2023 à 9:51
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Tout à fait d’accord avec vous. Engie n’a pas a payé les errements d’EDF. La vente de filiales d’EDF vers Engie apparaît comme la solution pour renflouer les caisses et faire d’Engie le bras armé de l’état en matière de renouvelables.

le 10/04/2023 à 9:52
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Tout à fait d’accord avec vous. Engie n’a pas a payé les errements d’EDF. La vente de filiales d’EDF vers Engie apparaît comme la solution pour renflouer les caisses et faire d’Engie le bras armé de l’état en matière de renouvelables.

à écrit le 07/04/2023 à 7:20
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J'ai le sentiment que ce discours très théorique aurait peu de chance de se réaliser en pratique.. c'est dit au début, le but avec le gaz c'est quand même d'en sortir... Alors parler d'une rente a long terme...hum... Non a long terme c'est surtout un...

à écrit le 06/04/2023 à 21:21
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Autrement dit recréer edf-gdf qui a été scindé au début des années 2000... Encore tout un symbole de la mauvaise gestion de nos fleurons, par les politiques des 20 dernières années... Aucune vision à long terme, juste faire et défaire!

à écrit le 06/04/2023 à 19:28
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Il n'est jamais venu à l'esprit de l'auteur de cette feuille de chou qu'il est tout à fait possible d'affranchir Engie de la tutelle de l'Etat sans spolier l'entreprise de ses actifs gaziers ? S'il est indispensable de subventionner l'activité d'EDF...

à écrit le 06/04/2023 à 14:44
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L'auteur ne fait pas autre chose que suggérer une magouille EDF-ENGIE

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