Fintech : réguler sans entraver l'innovation

Comment le positionnement des Fintech est-il voué à évoluer dans un contexte réglementaire qui s'intéresse de plus en plus à ce nouvel entrant dans l'industrie financière ? Par Emmanuel Dooseman, avec Catherine Deeb Ishhab, cabinet Mazars (*).
Emmanuel Dooseman.

Les Fintech ont fondé leur business model sur un positionnement très précis dans la chaîne de valeur : spécialisation et concentration sur la relation client. Le traitement des activités support d'exécution des opérations et de complétude administrative restent le pré-carré des banques, porteuses de la Licence Bancaire. Comment ce positionnement est-il voué à évoluer dans un contexte réglementaire qui s'intéresse de plus en plus à ce nouvel entrant dans l'industrie financière ?

Le facteur clé de succès - et le cœur d'expertise - des nouveaux entrants repose essentiellement sur l'expérience client. Dans ce cadre, les Fintech sont fortement dépendantes d'un partenaire, établissement bancaire principalement, pour la mise en œuvre d'un dispositif d'exécution robuste et conforme à la réglementation.

Cette dépendance est actuellement moins un inconvénient qu'une opportunité qui permet aux Fintech de préserver leur positionnement dans la chaîne et développer un modèle économique spécifique. Mais ce modèle économique est-il durable pour une industrie qui ambitionne de révolutionner son secteur d'activité et qui voit également son activité croître à une vitesse qui interroge les acteurs traditionnels, longtemps restés sans concurrence ?

Depuis 2010, de multiples nouveaux acteurs sur les différents segments du marché des services financiers ont fait leur apparition : les banques en ligne et PFM (Personal Finance Management)(1), le crédit aux particuliers(2) et aux TPE/PME(3), le crowdlending(4), les services plus spécialisés tels que la banque privée ou encore l'affacturage(6).

En février dernier, Mark Carney, président du Conseil de stabilité financière (FSB), émanation du G20, et gouverneur de la Banque d'Angleterre, officialisait l'intérêt et la préoccupation portés par les instances de régulation mondiales sur ces nouveaux acteurs, en déclarant qu'un « certain nombre d'innovations » impliquant des « transformations pour le système financier [...] font l'objet d'une attention particulière » et en précisant que « le cadre réglementaire doit assurer qu'il peut gérer n'importe quel risque systémique pouvant surgir des changements technologiques »(7).

Quelle régulation pour les Fintech ?

Au regard des avantages apportés par ces nouveaux entrants, les régulateurs adoptent une nouvelle approche : réguler en veillant à ne pas entraver l'innovation. Il s'agit de ne pas dégrader l'expérience client, améliorée par l'instauration d'une relation de confiance fondée sur la transparence, la simplicité et la fluidité des services offerts, une tarification de services plus avantageuse, une diversité de l'offre, une fluidité des financements et une meilleure adaptation de ceux-ci aux agents économiques parfois lésés par le tissu bancaire traditionnel.

Le gouverneur de la Banque de France évoquait « une certaine proportionnalité des règles, c'est-à-dire adapter nos exigences à la dimension de l'acteur à réguler » tout en assurant que « l'introduction de nouveaux acteurs ne se traduira certainement pas par un nivellement par le bas de la sécurité ».

Le cadre réglementaire sera-t-il construit dans une optique d'accompagnement de la transformation de l'industrie des Fintech, en s'adaptant à leurs évolutions ? Ou dans un contexte exclusif de sécurisation et de contrôle des volumes croissants transitant par cette nouvelle industrie ?

En Europe, les régulateurs adoptent plusieurs approches :

  • Pratique : la Sand Box au Royaume-Uni;
  • Pragmatique : le Same Risks Same Regulation en Allemagne;
  • Précautionneuse : la Tailored Regulation aux Pays-Bas par exemple.

La difficulté est de savoir comment ces approches, notamment la Tailored Regulation, innovante pour les autorités de régulation, vont être mises en pratique.

Imaginer d'autres stratégies que le partenariat

Comment les Fintech peuvent-elles composer avec ces évolutions réglementaires ? Si le cadre réglementaire se construisait jusqu'alors en accompagnant les Fintech dans leur évolution, la transformation de leur modèle économique sera davantage le résultat du jeu classique de la concurrence et des évolutions technologiques. Les Fintech seront alors en mesure d'adopter d'autres stratégies que le partenariat. Elles auront atteint un stade de maturité et de rentabilité qui leur permettra d'absorber de nouveaux centres de coûts désormais nécessaires à la stabilité de l'entreprise et du secteur en général (développer l'expertise en interne ou acquérir des expertises en externe).

Dans le cas contraire, plusieurs scénarios peuvent être envisagés :

  • Maintien du modèle économique actuel mais contournement de la réglementation en se positionnant sur un nouveau périmètre d'activité/une nouvelle technologie moins réglementé ou bien où la réglementation est encore moins établie;
  • Maintien du périmètre d'activité, mais changement du modèle économique (ex. : acquisition de la licence bancaire) pour faire face à la réglementation;
  • Absorption par un établissement traditionnel déjà réglementé.

Certes, la régulation ne doit pas être dissociée de la stratégie d'innovation à l'échelle de l'économie nationale et globale, mais, à terme, et à l'instar du secteur des services financiers traditionnels aujourd'hui, les Fintech devront également veiller à ne pas dissocier la stratégie de la conformité réglementaire.

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NOTES

1) ING Bank, Fiduceo, Simple, Moven, Fidor Bank, etc.

2)  Lending Club, Klickstarter

3)  Lendix en France, Kabbage et OneDeck aux Etats Unis, etc.

4)  Zopa au R-U et KissKissBankBank en partenariat avec la Banque Postale en France

5)  Yomoni en partenariat avec CM Arkéa en France, Personal Capital et Wealthfront aux Etats Unis

6)  Finexkap en France

7)  www.argusdelassurance.com

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(*) LES AUTEURS

Emmanuel Dooseman, associé responsable du secteur banque pour le groupe Mazars, en collaboration avec Catherine Deeb Ishhab, manager conseil banque Mazars France

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