Hard Brexit : quel impact sur le marché de l'art ?

Le marché de l'art étant soumis aux aléas politiques et financiers, quelles peuvent être les conséquences d'un hard Brexit pour les acteurs du secteur? Par Marc-Arthur Kohn, Commissaire priseur.
(Crédits : Reuters)

Habituellement synonyme de liberté d'expression et d'émancipation, le monde de l'art n'en mène pas large ces derniers mois ! En effet, de part sa nature, le marché de l'art repose en grande partie sur une logique internationale et une liberté de circulation des biens et des personnes. Les rebondissements incessants liés au Brexit ne laissent donc personne indifférent parmi les principaux protagonistes de l'écosystème artistique : artiste, collectionneur, galerie, musée, maison de ventes, commissaire-priseur... En effet, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ne sera pas sans conséquence pour le marché de l'art. Constamment soumis à la dynamique géopolitique et macroéconomique mondiale, ce dernier anticipe donc les répercussions éventuelles d'un hard Brexit au niveau financier, juridique et économique. Quelle menace représente le Brexit pour la circulation des œuvres d'art en Europe ? Quelles conséquences douanières craindre en cas de Brexit sans compromis ? Essayons donc d'évaluer l'impact du Brexit sur le marché de l'art en cas de sortie sans accord de l'UE.

Taxes à l'importation et contrôles douaniers : les changements à prévoir

Comme beaucoup semblent le craindre, un Brexit dur pourrait entraîner une nouvelle législation ainsi que des accords individuels d'import/export entre les nations. Une fois le Royaume-Uni sorti de l'UE, la taxe à l'exportation et l'importation des œuvres d'art pourrait atteindre 5,5 % en France et 10 % en Italie. Par ailleurs, la mise en place des contrôles douaniers sera susceptibles de ralentir la circulation des pièces entre l'Europe et l'Angleterre. En effet, après le Brexit, la Grande-Bretagne ne bénéficiera plus de la libre circulation des marchandises entre les différents États membres de l'Union Européenne. Or cette dernière évitait aux marchands d'être soumis aux procédures de dédouanement. En revanche, un « No deal Brexit » peut avoir plusieurs implications douanières :

  • Pour les expéditions en provenance et à destination de l'UE : elles devront être soumises à un dédouanement de la part de deux autorités distinctes, ce qui implique des retards et des coûts plus élevés.
  • Pour les exportations du Royaume-Uni : le système d'exportation de biens culturels vers un pays tiers actuellement en place sera certainement étendu à l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne.
  • Pour les exportations temporaires d'œuvres : les œuvres d'art importées de manière temporaire pour des événements culturels sont actuellement exonérées de TVA et de droits d'importation par la législation de l'UE. Lorsque le Royaume-Uni va être exclu de cette zone, on peut craindre une diminution des échanges entre les musées en raison des nouvelles implications économiques.

Enfin, les collectionneurs se doivent de justifier la provenance des œuvres d'art qu'ils ont en leur possession et de documenter leurs déplacements et leur origine. Avec un Brexit dur, toutes les lois afférentes pourraient être révisées avec chaque pays. Face à cette éventualité, certains collectionneurs envisagent même l'entreposage transfrontalier pour solutionner ce problème à court terme.

La dérégulation du marché de l'art britannique : une menace concurrentielle ?

Fort de son nouveau statut acquis après le Brexit, la Grande-Bretagne pourra utiliser ce dernier pour changer des éléments de son cadre législatif jusque-là fixé par l'Union européenne. On peut notamment envisager une modification des éléments suivants :

  • Les droits d'auteur
  • La propriété intellectuelle
  • La réglementation des biens culturels
  • Les licences d'importation
  • Les droits de succession des artistes
  • Etc.

Le système de TVA britannique ne sera par exemple plus soumis aux directives de l'Union européenne relatives au marché de l'art. Or, à l'heure actuelle, le taux de TVA du Royaume-Uni s'élève à 5 % (c'est le taux le plus bas autorisé par l'UE), bien loin de ses principaux concurrents, à savoir 0 % pour les États-Unis et 3 % pour la Chine. Une fois sorti de l'UE, la perspective que le Royaume-Uni effectue des changements pour devenir plus concurrentielle est donc bien réelle ! C'est d'ailleurs cette idée qui a amené les marchands d'art du continent à s'alarmer et à rédiger une lettre ouverte au gouvernement français. Des membres du CNMA (Conseil national du marché de l'Art), allant du négociant au commissaire-priseur, ont ainsi appelé l'Etat français à opérer des changements pouvant contrer efficacement la menace concurrentielle que représente la dérégulation du marché de l'art Britannique.

Pourtant, ce point de vue alarmiste ne fait pas l'unanimité. Certains prennent en compte le facteur isolationniste du Brexit et envisagent d'ouvrir leurs galeries sur le continent afin que ces dernières conservent une forte identité européenne. C'est le cas notamment de David Zwirner pour qui « le Brexit change la donne », comme il l'a déclaré au Financial Times. Il a donc décidé d'ouvrir une galerie à Paris, sa première en Europe continentale, afin de bénéficier d'une aura européenne aux avantages indéniables. Ainsi, avec un taux d'importation fixé à 5,5 % en France, il semble que la France est prête à devenir un point d'entrée international sur le marché de l'art européen.

On l'a compris, si la création d'une œuvre d'art échappe souvent à la raison et à ses diktats, le marché de l'art est quant à lui soumis aux aléas politiques et financiers. Le divorce entre Bruxelles et Londres ne semblent donc présager rien de bon pour nombre d'experts du monde de l'art : entrée en vigueur de droits de douanes pour l'importation d'œuvres d'art, difficultés de transfert liées aux contrôles douaniers, échanges entre les musées complexifiés... La perspective du « No deal » fait souffler un vent de panique sur le marché de l'art ! A l'approche de la date butoir, chacun réagit à sa façon, certains se précipitant pour faire rapatrier leurs œuvres en urgence, d'autres repoussant le réflexe isolationniste du Royaume-Uni pour miser sur l'ouverture européenne. Avant même qu'il ne soit finalisé, le Brexit a donc déjà un réel impact sur le marché de l'art et son fonctionnement !

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