Hausse des taux d'intérêt américains : quelles conséquences ?

Lentement mais sûrement, la banque centrale américaine prépare les marchés à une hausse des taux d'intérêt. Avec quelles conséquences? Par John Plassard, Directeur adjoint de Mirabaud Securitie

Il est actuellement fort probable que la Réserve fédérale américaine (Fed) remonte ses taux dans les six prochains mois. Cela étant dit, les marchés commencent timidement à anticiper ce mouvement, peu importe l'amplitude de sa hausse. Il convient donc de déterminer ici quel sera l'impact sur la macroéconomie et les diverses classes d'actifs.

Les leçons à tirer des expériences précédentes

Sans refaire l'histoire des précédentes politiques de taux d'intérêt directeurs aux Etats-Unis, il convient tout de même de rappeler plusieurs épisodes importants et marquants de la politique monétaire américaine.

- Paul Volcker : (1979 - 1987)

Aux Etats-Unis, tout le monde a en mémoire la politique monétaire de Paul Volcker lorsqu'il a pris la tête de la FED en 1979. Ce dernier met rapidement en place un contrôle des réserves non empruntées très proche du contrôle de la base monétaire préconisée par les monétaristes. Ceci se traduit par une hausse massive des taux d'intérêt pour passer à un régime de basse inflation. Si l'inflation est effectivement ramenée de 11% en 1979 à moins de 4% en 1982, le taux de croissance de l'économie lui est passé dans le même temps de 2,5% à -2,2% et le taux de chômage de 5,8 à presque 10%. En 1982, on parle ainsi aux Etats-Unis de la "récession Volcker".

- Alan Greenspan : (1987 - 2006)

Alan Greenspan décide, après le krach de 1987, de baisser fortement et rapidement les taux d'intérêt directeurs américains. Cette action, conjuguée à un soutien sans faille (en termes de refinancement) aux banques qui se trouvèrent alors en difficulté, permit à l'économie mondiale et aux bourses de surmonter rapidement cette crise financière.
Adepte de taux d'intérêt maintenus au plus bas, dans un objectif de soutien à l'activité économique au cours des dix-sept années qui suivirent, le président de la Réserve fédérale décide cependant de relever de manière continue et par tranche de 0.25% les taux d'intérêt directeurs américains entre 2004 et 2006.

- Ben Bernanke : (2006 - 2014)

Sa politique est simple et transparente : « Deflation : make sure it doesn't happen here », en d'autres termes, tout faire contre la déflation.
C'est assez impressionnant, mais Ben Bernanke n'a quasiment jamais monté les taux (seulement durant sa première année de mandat sous l'influence de son prédécesseur). Il a, ou baissé les taux de 2007 à 2008, ou les a laissés inchangés entre 2008 et la fin de son mandat. La déflation étant tellement à bannir de son vocabulaire qu'il lance les fameux rachats d'actifs (Qe) à partir de la crise de 2008.

- Janet Yellen (2014 - )

Finalement, l'arrivée de Janet Yellen le 31 janvier 2014 marque (c'est une forte conviction) une ère nouvelle, plus proactive et beaucoup plus dépendante des mandats de la Réserve fédérale américaine.

Quelle va être l'ampleur de la hausse ?


Janet Yellen a plusieurs obsessions. La plus importante est de ne pas répéter les erreurs de ses prédécesseurs et notamment celles d'Alan Greenspan. Cela signifie clairement, comme elle l'a confirmé le 28 mars 2015 lors d'un discours essentiel prononcé à San Francisco, que la Fed (sous son mandat) ne relèverait pas de manière systématique les taux d'intérêt directeur de 0.25% à chaque réunion, comme cela avait été le cas à partir de 2004. Et ceci pour trois raisons spécifiques :

- un coup de pouce de la Fed (entendre des taux encore relativement bas) est toujours indispensable au vu des dernières statistiques économiques américaines maussades

- relever légèrement les taux est moins risqué que de les relever trop violemment

- L'inflation pourrait bénéficier de taux (somme toute, toujours) bas ;

A cela, il convient d'ajouter que la Réserve fédérale, sous la direction de Janet Yellen, est à l'écoute des marchés (market sensitive). Il est donc probable que lorsque la Fed annoncera la hausse de taux, celle-ci sera très faible (+0.25%), de manière à tester les marchés financiers et s'assurer que le choc ne sera pas de trop grande ampleur. Plusieurs membres votants de l'institution américaine se sont d'ailleurs déjà prononcés dans ce sens.

Quand les taux vont-ils monter ?

C'est la question à laquelle tout le monde tente de répondre. Pourtant la réponse a déjà été donnée par la Réserve fédérale américaine il y a plus d'un mois et demi. En effet, dans un discours essentiel (mais passé inaperçu) le 29 mars 2015 à San Francisco, l'actuelle présidente de la Fed, Janet Yellen a clairement donné sa feuille de route en termes de timing de hausse des taux directeurs.

Tout d'abord en annonçant textuellement que la Fed « pensait désormais sérieusement commencer dans le courant de l'année à réduire la politique monétaire exceptionnellement accommodante actuellement en place », à relever ses taux directeurs en 2015 même si cette hausse pourrait freiner « légèrement » la reprise. Ce discours était nouveau car il tranchait avec la précédente « patience » prônée par Janet Yellen. C'est donc un pas supplémentaire vers la normalisation monétaire tant souhaitée après l'abandon du troisième assouplissement quantitatif.
Ensuite, un véritable travail de « désacralisation » de la hausse des taux directeurs a été effectué depuis plusieurs mois d'une main de maître par la Fed pour atténuer un potentiel choc ou effet de surprise des investisseurs : « Garder les taux trop bas pendant trop longtemps pourrait encourager des prises de risques inappropriées des investisseurs, au risque de saper la stabilité des marchés financiers », selon Janet Yellen. Finalement, en se laissant une soupape de sécurité (le fameux respect des mandats, c'est-à-dire le plein emploi et la stabilité des prix), la Fed peut ajuster son timing de quelques rendez-vous.
Ce qui importe n'est pas tant de connaître la date à laquelle les taux vont monter, mais de savoir que cette hausse aura lieu.

Quel sera l'impact sur les classes d'actifs ?

Même si une hausse de taux va de plus en plus être anticipée ces prochaines semaines/mois, elle aura une influence certaine sur plusieurs classes d'actifs.

Le dollar

Les marchés des taux d'intérêt et des devises sont directement liés (sur le moyen terme en tout cas). En effet, la hausse des taux favorise la devise sur laquelle ces taux s'appliquent. Plus globalement, si l'économie d'un pays se normalise (c'est-à-dire que l'on constate un retour de la croissance et des conditions économiques), les investissements vont se multiplier et les taux monter, ce qui est en définitive favorable à la devise d'un pays. Ben Bernanke a prouvé à travers ses actions que pour relancer l'économie des Etats-Unis, il fallait conserver des taux d'intérêt bas et une devise faible pour empêcher un ralentissement des investissements et des exportations.

Le marché actions

La relation entre hausse des taux d'intérêt directeurs et évolution des actions est assez compliquée. L'expérience récente (notamment du début des années 2000) peut cependant nous donner certaines références. Lors de la dernière série de hausse des taux de la part de la Réserve fédérale américaine en 2004 par exemple, aux Etats-Unis l'indice S&P 500 a atteint un sommet un peu moins de six mois avant la hausse des taux directeurs.

Cependant aujourd'hui la situation est différente puisqu'en termes de croissance des résultats des entreprises par exemple, le cas de figure n'est pas le même. Très logiquement, il convient d'abord d'analyser le type d'endettement des entreprises. En effet, plus l'endettement est sur le court terme, plus la hausse des taux courts l'affectera (les obligations émises par l'entreprise vont perdre une partie de leur valeur et mécaniquement la capacité d'endettement auprès des banques se réduira). La même réflexion prévaut pour les entreprises ayant un endettement sur le long terme en cas de hausse des taux longs.

En résumé, une hausse des taux signifie des coûts de financement plus élevés, ce qui n'est pas une bonne nouvelle. Statistiquement, le secteur cyclique (banques, semi-conducteurs, automobiles, biens d'équipement, matériaux de base) n'est que faiblement influencé par une hausse des taux. L'une des raisons invoquées est que ce secteur ne distribue que peu de dividendes en comparaison aux valeurs défensives et résiste mieux à l'évolution des taux. D'un autre côté, les valeurs défensives (télécoms, santé, services aux collectivités, pharmaceutique) moins corrélées aux cycles économiques sont plus sensibles à la hausse des taux.

Le marché obligataire

Historiquement, la hausse des taux d'intérêt impacte négativement le marché obligataire de la même façon que les prix des obligations augmentent quand les taux d'intérêt baissent. Cependant, la hausse des taux d'intérêt n'affecte pas les obligations de la même manière. En effet, plus la maturité d'une obligation est longue, plus elle est influencée par l'évolution des taux. Et inversement, plus le coupon d'une obligation est bas plus le prix de l'obligation tend à varier.
Pour ne pas subir les effets de la hausse des taux, il faudrait conserver l'obligation jusqu'à sa maturité, ou si possible jouer le cycle des taux.

L'or

En raisonnant en termes de logique, une hausse des taux rend moins attractif l'investissement dans l'or qui n'a aucun rendement. A cela on peut rajouter qu'étant libellé en dollar, l'or tend mécaniquement à subir de la pression en cas d'appréciation du billet vert (ce qui se montre en cas de hausse des taux).

Cependant, la logique n'a pas toujours sa place dans le cycle économique actuel. En effet, depuis le début de l'année par exemple, la variation du prix de l'or n'a été que très peu influencée par la forte volatilité du dollar. Ensuite, s'il y a bien un lien direct, et historique, entre le cours de l'or et les taux d'intérêt, il ne faut pas oublier que l'on parle de taux d'intérêt réel qui est, selon la définition, le taux d'intérêt nominal auquel une correction est nécessaire afin qu'il tienne compte du taux d'inflation et de la prime de risque (de crédit). Il y a souvent une différence entre taux directeurs et taux d'intérêt réel. Cela étant dit, il est tout à fait envisageable qu'en cas de hausse des taux d'intérêt directeurs de la part de la Fed, le prix de l'or reste sur ses niveaux ou même grimpe.

Si les effets de l'assouplissement quantitatif ont été, entre autre, positifs pour le marché des actions, pour les primes de risque et pour les taux longs, il est difficile de prévoir exactement les effets qu'aura la prochaine hausse des taux directeurs aux Etats-Unis.
Cependant il est à relever que la Réserve fédérale américaine (Fed) fait actuellement tout pour atténuer les effets indésirables et le potentiel choc qu'il pourrait y avoir sur l'économie. A ce stade du cycle économique américain, plus que l'annonce en elle-même, c'est l'habileté de la présidente Janet Yellen à bien communiquer sur le chemin du resserrement monétaire qui aura un impact sur l'évolution des marchés. Pour l'instant, l'exercice est plus que réussi.

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Commentaires 2
à écrit le 10/10/2015 à 1:47
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Article très clair, merci

à écrit le 10/10/2015 à 1:46
Signaler
Article très clair, merci

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