Les données les plus récentes publiées par l'armée et les services de renseignements américains ne laissent aucun doute sur le fait que les attaques simultanées aux missiles et drones, coordonnées par le régime des mollahs et lancées depuis le territoire iranien sur les installations pétrolières de l'Arabie saoudite, ne peuvent pas être qualifiées d'acte terroriste, mais constituent un « acte de guerre » caractérisé selon les termes du droit international.
Trois jours après, dans des déclarations diffusées par la télévision d'État, Ali Khamenei, le « guide suprême », resté silencieux jusque-là, a catégoriquement rejeté toute discussion avec les États-Unis, à quelque niveau que ce soit, à moins que les États-Unis ne se repentent !
Il a également noté :
« Certains mêlent des Européens à tout cela... [Les Européens] qui insistent sur une rencontre avec le président américain en assurant que "tous vos problèmes seront résolus". [Mais] cela revient en réalité à montrer que la pression maximale a été une politique réussie. Nous devons, au contraire, prouver que la politique de pression maximale ne vaut pas un sou. »
Le lundi 16 septembre, on pouvait lire à la une du journal Kayhan, proche de Khamenei: "L'épine dorsale de l'Arabie saoudite s'est brisée, les États-Unis et Al-Saoud [la dynastie des Saoud] sont en deuil", en référence à l'attaque aux drones et missiles contre les installations pétrolières saoudiennes.
Nombreux sont ceux qui, en Occident et surtout en Europe, se demandent pourquoi le régime théocratique continue-t-il à commettre de tels actes insensés, qu'il s'agisse d'attaques terroristes contre des pétroliers et des navires commerciaux, de faire planer la menace récurrente de la fermeture du détroit d'Ormuz ou encore ces attaques contre des installations pétrolières saoudiennes ?
Au cours des trois derniers jours, certains courants au sein du régime sont allés jusqu'à exprimer de vives inquiétudes quant aux conséquences de l'attaque contre l'industrie pétrolière saoudienne. L'expression de ces inquiétudes est surtout révélatrice d'une crainte réelle au sein du pouvoir de lourdes conséquences que ce gros pari pourrait entraîner.
Et si de tels risques réellement existent, alors pourquoi le « guide suprême » de la République islamique a fait un pari de telle ampleur à la veille de la visite du président Rohani à New York où il devrait prendre la parole devant l'Assemblée générale des Nations Unies, un moment diplomatique fort qui devrait normalement permettre à ce dernier de tenter de présenter un visage tolérant et modéré du régime dans le contexte actuel de la montée des tensions dans la région? D'autant que la France, quant à elle, avait entrepris, depuis plusieurs mois, de négocier et d'accorder à Téhéran une ligne de crédit de 15 milliards de dollars. Il y a eu en outre de nombreuses tentatives ici ou là destinées à organiser une rencontre entre Rohani et Trump en marge de l'Assemblée générale.
Mais en vérité les problèmes auxquels le régime théocratique est confronté vont bien au-delà de ce que de tels remèdes pourraient apporter. Plus que le besoin de projeter l'image d'un pouvoir modéré et raisonnable sur la scène internationale, la théocratie est face à une urgence absolue : préserver dans les rangs ses forces principales, notamment les Gardiens de la révolution (pasdaran) à l'intérieur du pays, et les milices qui lui sont inféodées et autres supplétifs à travers la région, alors qu'il est sous le poids écrasant des sanctions, d'une part, et confronté à la pression des chômeurs et des affamés du pays, de l'autre. Les mollahs iraniens ont risqué gros précisément parce qu'ils se trouvent entre le marteau et l'enclume.
Ahmad Zaidabadi, figure proche du gouvernement, estime que cette campagne et la propagande qui l'entoure sont liées aux considérations de la politique intérieure'.
"La promotion d'une telle politique vise, pour l'essentiel, 'le marché intérieur' et rassure surtout les forces qui s'inquiètent parfois pour leur avenir ", écrit-il.
De plus, un facteur essentiel sans doute central dans la décision de Khamenei pour se précipiter vers ce grand pari, insensé pour beaucoup d'observateurs, est sa crainte de la croissance considérable des unités de résistance en Iran dirigées par Maryam Radjavi, une femme politique musulmane. Seule cette femme à la personnalité forte a la particularité d'avoir été largement acceptée par les femmes et les jeunes Iraniens. Faire taire la menace de cette femme et de son mouvement pour son pouvoir à l'intérieur du pays et à l'extérieur a toujours été la préoccupation majeure du « guide suprême».
Ce dernier semble également avoir fait un calcul, également risqué, selon lequel, dans d'éventuelles négociations, il lui faudra un avantage sur le terrain pour marquer des points. Bien que Khamenei déclare rejeter toute négociation à quelque niveau que ce soit, a-t-il d'autre choix que la guerre ou les négociations? Khamenei a dit à plusieurs reprises qu'il ne veut pas la guerre.
Mais parce que le régime de Téhéran n'a pas la capacité de supporter les sanctions à long terme (jusqu'aux élections américaines de novembre 2020, par exemple), il cherche donc à forcer, coûte que coûte, les États-Unis à alléger les sanctions qui l'étranglent, tout en prenant les dessus dans d'éventuelles négociations futures qui, comme Khamenei lui-même vient de dire, "ne devraient pas être de sorte que tout ce que dit la partie américaine devait être appliqué". Pour ce faire, Khamenei compte visiblement, comme toujours, sur le soutien des tenants occidentaux de la politique de complaisance et sur l'hésitation de l'administration Trump à recourir à la force à l'approche des élections. Toutefois, les soubresauts de ces derniers jours ne nous permettent pas de donner Khamenei gagnant dans son grand pari.
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* Nader Nouri est un ancien diplomate iranien basé à Paris. Il est également le secrétaire général de la Fondation d'Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)
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