L’Union européenne face aux risques du « Halloween Brexit »

IDEE. Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept ont opté pour une extension « flexible » jusqu’au 31 octobre 2019, qui s’articule autour de deux dates et repose sur deux principes fondamentaux. Par Yves Petit, Université de Lorraine
(Crédits : YVES HERMAN)

Le 29 mars 2019, échéance théorique du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE), ne sera bientôt plus qu'une date lointaine pour le Brexit. Ce jour-là, les députés de la Chambre des Communes ont en effet refusé - pour la troisième fois - d'approuver l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'UE (par 344 voix défavorables, dont 34 députés torys, contre 286 voix).

La Commission européenne a regretté ce vote négatif. D'autant que cette même Assemblée a rejeté un Brexit sans accord, ainsi que la révocation du Brexit, ou encore émis plusieurs votes négatifs sur de multiples options de sortie de l'Union. Les institutions politiques britanniques ont atteint un tel niveau de paralysie que la première ministre Theresa May a dû mettre sa démission dans la balance pour tenter de sauver le Brexit, gangrené par l'impéritie de la classe politique britannique.

Theresa May avait pourtant sollicité, le 20 mars 2019, une première prorogation du délai de deux ans prévu à l'article 50-3 TUE jusqu'au 30 juin prochain, en vue de finaliser la ratification de l'accord de retrait. Le Conseil européen l'a acceptée le 22 mars 2019Un nouveau calendrier du Brexit en a résulté : il reposait sur une extension technique jusqu'au 22 mai 2019, si l'approbation de l'accord de retrait devenait effective. Dans le cas contraire, la prorogation devait prendre fin le 12 avril 2019 - ce qui s'est produit en raison du vote négatif du 29 mars 2019.

Face à cette situation plutôt frustrante, Theresa May a dû se résigner à solliciter le 5 avril 2019 une seconde demande de report du Brexit, à nouveau jusqu'au 30 juin 2019, sur laquelle le Conseil européen extraordinaire convoqué par son Président, Donald Tusk, a statué le 10 avril 2019.

Après une réunion relativement houleuse, en raison d'importantes divergences, les chefs d'État et de gouvernement des 27 États membres ont opté pour une extension « flexible » jusqu'au 31 octobre 2019, ce qui n'est pas sans risque pour l'Union européenne.

Pas de remake de Un jour sans fin

Afin de permettre la ratification de l'accord de retrait, le Conseil européen s'est accordé sur une nouvelle prorogation du délai prévu à l'article 50-3 TUE, qui « ne devrait durer que le temps nécessaire et, en tout état de cause, ne pas dépasser la date du 31 octobre 2019 ». La presse britannique a immédiatement forgé une nouvelle expression, celle d'« Halloween Brexit » - ce qui traduit bien le caractère effrayant du Brexit.

Les conclusions du Conseil européen envisagent également le cas d'une ratification de l'accord de retrait par les deux parties avant cette date. Dans ce cas, « le retrait interviendra le premier jour du mois suivant ».

Alors que le président du Conseil européen et la chancelière allemande Angela Merkel penchaient pour un report long - baptisé « flextension », car permettant au Royaume-Uni de quitter l'UE quand il le souhaite -, le Président français, Emmanuel Macron, tout comme le négociateur de l'UE, Michel Barnier, désireux de maintenir la pression, étaient favorables à un report plus court, de crainte « que le divorce tourne au mauvais remake du film Un jour sans fin ». Quatre heures de discussions intenses ont ainsi été nécessaires pour choisir « cette butée du 31 octobre (qui) nous protège », comme l'a expliqué le Président Macron.

Elle correspond en principe à l'entrée en fonction de la future Commission européenne qui, en bonne logique, ne devrait pas compter de commissaire britannique. En effet, suite aux élections européennes des 23-26 mai 2019, l'UE est appelée à connaître simultanément plusieurs moments politiques forts et cruciaux pour son avenir, avec la désignation de la nouvelle Commission européenne (et de son Président), et des futurs présidents du Parlement européen et du Conseil européen.

Quoi qu'il en soit, durant ces six mois additionnels, comme l'a affirmé le président du Conseil européen, Donald Tusk, la balle sera « entièrement dans les mains du Royaume-Uni ». Il sera en mesure de ratifier l'accord de retrait, de reconsidérer sa stratégie en matière de Brexit ou de révoquer l'article 50 et le BrexitLa Cour de justice de l'UE a en effet jugé que le Royaume-Uni pouvait révoquer unilatéralement, de manière non équivoque et inconditionnelle, la notification de son intention de se retirer de l'Union.

La menace d'une « contamination » de l'UE par le Brexit

Si le 31 octobre 2019 était le meilleur compromis possible, ce report d'une durée de six mois serait accepté et valable uniquement si l'organisation du scrutin des élections européennes a lieu au Royaume-Uni entre le 23 et le 26 mai 2019. Les conclusions du Conseil européensont formelles sur ce point :

« Si le Royaume-Uni est encore membre de l'UE entre le 23 et le 26 mai 2019 et qu'il n'a pas ratifié l'accord de retrait d'ici au 22 mai 2019, il sera tenu de procéder aux élections au Parlement européen conformément au droit de l'Union. »

En cas de non-respect de cette obligation légale incombant à tout État membre, « le retrait interviendra le 1er juin 2019. »

Un Brexit sans accord (« no deal ») n'est donc pas totalement exclu, bien que la loi britannique ait été modifiée pour permettre l'organisation du scrutin européen, et la date du 23 mai 2019 fixée comme jour du vote au Royaume-Uni. La première ministre britannique a exprimé sur ce point son intention de quitter l'UE avec un accord le plus rapidement possible (avec un vote durant les trois premières semaines de mai 2019), ce qui mettrait fin à l'extension prévue une fois l'accord de retrait ratifié, exclurait une participation aux élections européennes et entérinerait un retrait le 1er juin 2019.

Il est malgré tout fort probable (et paradoxal) qu'un État membre souhaitant se retirer de l'UE envoie des députés au Parlement européen et, partant, que le Brexit contamine les élections européennes. La participation britannique présente le risque de modifier l'équilibre politique du prochain Parlement européen, car

« les Britanniques risquent en effet de choisir un contingent solide d'eurodéputés eurosceptiques, au vu de la colère du public face à l'échec de concrétisation du Brexit ».

Non seulement l'intégrité du processus électoral est en jeu, la « pollution » du scrutin par les partis eurosceptiques également, mais une participation britannique contraindrait l'UE à revenir (temporairement ?) sur la répartition des 73 sièges du Royaume-Uni entre les 27 États membres. Faut-il alors estimer que « le pourrissement du Brexit contamine désormais l'Union européenne » ?.

L'option privilégiée : le maintien du Royaume-Uni dans l'union douanière

Comme Michel Barnier ou Jean‑Claude Juncker l'ont répété à de nombreuses reprises, le Conseil européen rappelle avec fermeté que

« l'accord de retrait ne saurait être rouvert, et que tout engagement, toute déclaration ou tout autre acte unilatéral devrait être compatible avec la lettre et l'esprit de l'accord de retrait et ne doit pas faire obstacle à sa mise en œuvre ».

Il n'est donc pas modifiable, bien que la Chambre des Communes l'ait déjà rejeté à trois reprises. Theresa May espère pourtant bien le faire adopter et, dans ce but, poursuivre les discussions avec l'opposition travailliste afin de tenter de réunir une majorité parlementaire pour un vote positif cette fois.

De même, la prorogation du délai inscrit à l'article 50-3 TUE « ne peut être utilisée pour entamer des négociations sur les relations futures ». La Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l'UE et le Royaume-Uni a déjà été complétée par une Déclaration commune du 20 mars 2019, dans le but de « favoriser et accélérer le processus de négociation et de mise en vigueur de leurs relations futures ».

Le Président Juncker a cependant précisé que l'Union était « prête à ajouter une dose de flexibilité à la Déclaration politique pour ouvrir la voie à un partenariat économique étroit entre l'UE et le Royaume-Uni ». Effectivement, il semble que les discussions entre Theresa May et l'opposition travailliste se concentrent sur le contenu de la relation future.

L'option privilégiée semble être celle d'un maintien du Royaume-Uni dans l'union douanière. Elle présente « deux gros avantages » :

  • l'élimination d'une frontière dure entre l'Irlande et l'Irlande du Nord ;

  • la poursuite d'échanges commerciaux nettement plus fluides et, par conséquent, un Brexit beaucoup plus doux.

Cette perspective provoque, toutefois, l'ire des hard Brexiters, qui voient s'éloigner la perspective d'un « Global Britain » et la conclusion d'accords de libre-échange avec le reste des États de la planète.

Un nouveau statut : un « État membre qui se retire »

Le Conseil européen rappelle également que, pendant la prorogation, le Royaume-Uni demeure un État membre, « avec tous les droits et obligations qui en découlent, conformément à l'article 50 du TUE. » Il prend également acte de son engagement « d'agir de manière constructive et responsable tout au long de la prorogation conformément au devoir de coopération loyale [...] ».

Sans qu'il l'indique expressément, en raison des termes employés, le Conseil européen se réfère implicitement à l'article 4-3 du TUE, qui contient depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le principe de coopération loyale des États envers l'UE.

Ce faisant, il pose en quelque sorte un statut d'« État membre qui se retire ». Il s'agit certainement d'une réponse à la fermeté du Président Macron, la France souhaitant obtenir des garanties sur la crédibilité d'un accord de sortie, ainsi que « des engagements politiques fermes sur la non-participation du Royaume-Uni aux décisions de long terme de l'UE ». Ces décisions portent, par exemple, sur le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027 ou la future politique de défense de l'Union.

L'UE face à la « stratégie du cheval de Troie »

La recherche d'une coopération sincère du Royaume-Uni ne va pas forcément de soi, quand on sait Theresa May sur un siège éjectable, et que Boris Johnson pourrait lui succéder. De plus, le vœu de certains « hard Brexiters » est de mettre en place une « stratégie du cheval de Troie » leur permettant de saboter l'UE de l'intérieur, en entravant autant que possible son fonctionnement et son autonomie de décision.

Dans cette perspective, le Conseil européen a prévu que les institutions, organes et organismes de l'Union pourront se réunir à 27 « pour débattre de questions liées à la situation qui se présentera après le retrait du Royaume-Uni »). Il fera également le point lors de sa réunion de fin juin 2019.

Donald Tusk a assuré avoir toute confiance en la coopération sincère du Royaume-Uni. Comme si, en son for intérieur, il espérait qu'Albion reste membre de l'Union.

The Conversation ____

 Par Yves PetitProfesseur de droit public, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 3
à écrit le 16/04/2019 à 9:05
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La finalité du Brexit est bien le démantèlement de l'UE dont les Anglais espèrent retirer un profit. Leur rêve est de reprendre les rênes en Europe, reprendre un leadership qu'ils n'ont plus face au couple Franco/Allemand, selon le vieil adage qu'il...

à écrit le 15/04/2019 à 18:15
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Le coup de la stratégie du cheval de Troie n'est pas crédible, après tout c'est ce que font les partis eurosceptiques et pas uniquement britanniques depuis longtemps.

à écrit le 15/04/2019 à 15:12
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Maintenant que les anglais sont complétement paralysés à l’intérieur, Theresa May ne pouvant plus avoir de vote de défiance à Westminster pendant un an, elle va s'accrocher juste parce que le thé est bon à Downing Street. Il ne reste plus qu'a organ...

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