La course aux brevets d'Airbus : une stratégie gagnante d'innovation

Anticipant la montée en puissance de son nouveau concurrent chinois, le groupe accélère le rythme de l'innovation et de dépôts de brevets. La meilleure stratégie possible Par Julien Perruchot, cabinet Square
Le nouvel avion chinois, le C919

Le 24 novembre 2015, les Etats-Unis validaient le brevet déposé par Airbus un an plus tôt proposant un avion modulaire composé d'une part d'une cabine amovible avec sa soute entièrement configurable et d'autre part du reste de l'appareil : le cockpit, les ailes, les moteurs, les roues et la queue. L'idée est d'adapter le système des conteneurs déposés sur les poids lourds pour faire gagner un temps précieux entre le débarquement et l'embarquement des passagers, qui dure en moyenne une trentaine de minutes. La course à l'optimisation du temps des vols des aéronefs est une question économique ; l'immobilisation d'un avion coûte environ et en moyenne un peu plus de 20 000 Euros par jour.

Logique d'accélération de l'innovation

Ce nouveau brevet s'ajoute à la longue liste des brevets déposés par Airbus dans une logique d'accélération de l'innovation ; pas moins de 21 brevets ont été déposés par l'avionneur européen sur le mois de novembre 2015 qui devrait gagner pour 2015 de nouvelles places dans le top 10 des inventeurs européens par rapport à 2014 (1). En juillet de cette année, Airbus déposait son brevet d'avion supersonique, le Concorde 2, et marquait les esprits par son ambition.

Si, bien évidemment, toutes les inventions couvertes par les brevets ne seront pas amenées à être industrialisées, que cache cette volonté explicite de conforter et de renforcer la place de l'innovation au cœur de la stratégie du groupe ?
Si la course à l'innovation pour rester dans la saine compétition avec l'éternel rival Boeing (qui a pour sa part déposé 45 brevets en novembre) reste en ligne de mire, la sortie d'usine du C919 du constructeur chinois Comac appuie la stratégie d'innovation d'Airbus.

Un concurrent chinois

Dévoilé début novembre, le monocouloir C919, concurrent direct des moyen-courriers A320 et B737, affiche clairement ses ambitions : concurrencer à partir de l'année 2019 Boeing et Airbus sur l'immense marché chinois qui aura besoin, d'après Boeing, de plus de 6 000 appareils de ligne sur les vingt prochaines années (prévisions pour Airbus de 5 400 appareils à livrer pour la Chine).
Ce C919, qui a vocation à fournir les compagnies nationales, peut-être les compagnies des pays voisins, représente une très belle victoire industrielle qui repose sur trois facteurs :
1/ D'une part, et dans une moindre mesure, sur les retombées des transferts technologiques consentis par les deux avionneurs occidentaux pour fournir le marché aéronautique intérieur : l'ouverture d'une ligne d'assemblage d'A320 en septembre 2008 à Tianjin a permis aux Chinois d'acquérir un savoir-faire sur quelques aspects de la construction aéronautique qui ne concentraient pas le plus de valeur-ajoutée certes (installation des sièges, peintures, ...) mais qui ont été plus qu'utiles pour poser les fondamentaux de la construction aéronautique,

 2/ D'autre part, sur la sélection de partenaires stratégiques pour embarquer à bord du C919 des innovations technologiques de premier plan, notamment pour le sujet épineux de la motorisation ; c'est à CFM International, filiale de G.E. et de Safran (cette dernière pointant également en très bonne place dans la liste de l'INPI des dépôts de brevets, deuxième en 2014(2)) qu'a été confié la motorisation de l'appareil avec son projet de moteur Leap X affichant l'ambition d'améliorer les performances de 10% par rapport à ses futurs concurrents l'A320 actuel (non l'A320 Neo) et le B737.

3/ Enfin, sur l'investissement de la Chine dans l'innovation et la Recherche & Développement qui témoigne de la volonté politique de transformer la deuxième puissance économique mondiale en une puissance industrielle en plaçant notamment la conquête aérospatiale au cœur de sa stratégie ; fin décembre 2013, la Chine réussissait l'exploit d'être la troisième nation à faire alunir une sonde spatiale, le lapin de Jade. Les premiers vols du C919 de Comac s'inscriront dans cette volonté de conquête du ciel et de l'espace. Ce sont d'ailleurs les pilotes du programme spatial qui sont aujourd'hui à la tête des milliards de dollars d'investissement de Pékin dans son programme aéronautique.

Vers un gros porteur long courrier chinois

Si l'homologation du monocouloir chinois pourrait encore prendre quelques années avant de menacer le duopole sur les portées de 5 500 kilomètres (la distance entre Urumqi et Hong Kong étant de 3 400 kilomètres), la société Comac s'est déjà lancée dans le développement de son C929, un gros porteur long-courrier qui s'adressera à des compagnies internationales et qui, s'il est mené dans la même optique de compétitivité et de performance que le C919, constituera une menace sérieuse sur le marché des gros porteurs, aujourd'hui exclusivement aux mains des deux avionneurs occidentaux.

Anticiper la montée du rival

L'accélération des dépôts de brevets par Airbus témoigne de la volonté de placer l'investissement et l'innovation au cœur de la stratégie de développement. Cette politique consistant à dessiner aujourd'hui l'aéronautique de demain en anticipant la montée en puissance d'un second rival dans un secteur aéronautique en forte croissance est la politique du succès sur laquelle les acteurs industriels doivent d'aligner. Breveter, innover, inventer l'avion de demain pour garder la tête de la course est la stratégie gagnante qui maintiendront les leaders industriels à leur place.

(1) (sources : Intellectual Owners Property Association / https://patentscope.wipo.int).
(2) https://www.inpi.fr/fr/l-inpi/actualites/actualites/article/palmares-des-deposants-de-brevets-20146082.html?cHash=63afdb3106aca52528917750b9d3469c

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