Les enjeux de la réévaluation du rôle des territoires (2/2)

Dans une série de quatre contributions, André Yché*, qui s'apprête à publier son septième ouvrage chez Economica, Nation et territoires, développe son point de vue sur la sortie de crise. Convaincu du rôle décisif de l'économie territoriale dans la reprise, l'auteur décrypte les enjeux de la réévaluation du rôle des territoires et les conditions de la mobilisation des territoires, deux problématiques abordées chacune en deux volets. Aujourd'hui, la deuxième partie des "enjeux de la réévaluation du rôle des territoires" explique pourquoi la dimension sociale du redressement doit porter prioritairement sur le soutien à l'emploi, et plus précisément sur la relation entre travail et emploi.
André Yché : "Dans le contexte de crise économique qui sera révélée lors de la fin du soutien public qui surviendra prochainement, le marché a toutes les chances d'être durablement déséquilibré par l'afflux massif de demandeurs d'emplois."

Dans le contexte de crise économique qui sera révélée lors de la fin du soutien public qui surviendra prochainement, le marché a toutes les chances d'être durablement déséquilibré par l'afflux massif de demandeurs d'emplois, parmi lesquels de nombreux jeunes à la recherche d'une première embauche destinée à permettre une valorisation, fût-elle a minima, d'un parcours scolaire, voire universitaire.

La question qui se posera alors dépassera celle des offres d'emplois correspondant à un travail productif accompli dans le cadre classique d'un contrat à durée déterminée ou indéterminée, mais portera sur la préservation de l'employabilité des jeunes entrant sur le marché ou de demandeurs peu ou moyennement qualifiés. En d'autres termes, sur la constitution d'un « vivier » de recrutements futurs dont il s'agira, dans un premier temps, de préserver un lien, fût-il transitoire et artificiel, avec l'entreprise.

Dans les deux cas, le territoire peut offrir un potentiel d'accueil, notamment dans le cadre de projets conçus, non pas pour garantir l'amortissement d'actifs dédiés, mais pour assurer un simple équilibre d'exploitation ainsi qu'une offre d'emplois, ou de contrats d'alternance, de proximité. L'enjeu, dans cette perspective, n'est pas de reconstituer immédiatement une activité productive mais d'offrir un cadre provisoire d'accueil, destiné à préserver l'employabilité de sureffectifs durables, susceptibles d'apparaître lorsque la mutation économique se révélera dans toute son ampleur et sa complexité.

Lutte contre les séparatismes

Enfin, la lutte contre les séparatismes qui ne sont plus régionaux mais culturels et idéologiques passe, prioritairement, par des stratégies de peuplement destinées à reconquérir « les territoires perdus de la République ».

En pratique, la question centrale aujourd'hui est relative à la stratégie du peuplement dans les « quartiers prioritaires de la ville » (QPV), c'est-à-dire au « volet ignoré » de la loi « solidarité et renouvellement urbain », SRU, de 2002. En substance, ce texte organise la redistribution du logement social dans les agglomérations afin de contenir un processus de « ségrégation spatiale » déjà bien engagé. En dépit de quelques foyers de résistance, soit découlant de contraintes objectives, soit médiatiquement orchestrée, la loi SRU, bien que souvent critiquée, est globalement appliquée et en dépit du dirigisme planificateur dont elle est le symbole même, peu de voix se sont élevées, aussi bien sur les bancs de droite que sur ceux de gauche, ce qui est moins surprenant, pour réclamer son assouplissement, a fortiorison abrogation.

Programmes de logements intermédiaires

A contrario, la diversité du peuplement dans les QPV n'a jamais été véritablement promue alors que cet aspect du problème des « séparatismes » est absolument central. En effet, il est crucial d'établir en certains lieux stratégiques des QPV (gares, marchés ...) des « îlots de gentrification » qui permettent de réimplanter une population bénéficiant des deux ressorts essentiels de la citoyenneté : la constitution d'un patrimoine transmissible et l'accès à la culture et à la formation. A cet effet, la réalisation de programmes de logements intermédiaires bénéficiant de conditions économiques attractives (coût du foncier, fiscalité) s'avère déterminante, la question de la qualité de l'offre scolaire demeurant en suspend. En définitive, comme pour les opérations de revitalisation des cœurs de ville et les reconversions de copropriétés dégradées, le point clé de ces opérations de diversification de l'offre d'habitat tient au fait qu'elles doivent être considérées comme des opérations d'aménagement, avec une contrainte d'équilibre de « bas de bilan ». En ce sens, elles sont en totale contradiction avec la pratique d'un « urbanisme de marché » consistant, pour chaque acteur, à s'efforcer d'extraire, à son profit et avec le minimum de risques, le maximum de valeur sous la forme d'une marge immédiate. Il est normal, pour tout investisseur, d'attendre une rentabilité minimale de son apport, mais si l'opération est sécurisée par les acteurs publics, la liquidité de ce profit, en retour, peut être raisonnablement différée.

De tout ce qui précède, il ressort clairement que la relation entre l'Etat central et les territoires ne recouvre pas seulement un enjeu de développement local, mais détermine fortement la mise en œuvre de grandes politiques nationales, portant notamment sur le positionnement du pays dans la mondialisation, sur l'emploi, sur la cohésion et donc sur la sécurité intérieure.

Les territoires font office de caisses de résonance

Par ailleurs, cette relation est constamment biaisée par les réalités politiques et les calculs qu'elles inspirent : en effet, les territoires font office de caisses de résonance dans les débats qui rythment la compétition dans l'accès au pouvoir, ce que l'Histoire illustre abondamment ; quiconque ignore cette fatalité s'expose à la revivre.

Ainsi donc, la seule voie qui permette de contribuer à la sortie de crise et au redressement passe par les projets, et non par les principes. Encore faut-il que ces projets, et donc l'environnement matériel et intellectuel dans lequel ils sont conçus, élaborés et lancés, s'inscrivent pleinement dans la réalité du monde tel qu'il est, c'est-à-dire régi par la loi d'airain de l'investissement capitaliste. Ce sont donc les implications de cet indispensable pragmatisme qu'il convient de mesurer précisément.

*André Yché est Contrôleur général des Armées et président du Conseil de surveillance de CDC Habitat.

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