Panama Papers : la forteresse de l’offshore vacille

Grâce à un lanceur d’alerte et au travail d’un consortium international de journalistes, le rôle central de Panama éclate au grand jour. Au grand dam des plus riches et/ou des plus puissants. Par Paul Lashmar, Senior Lecturer in Journalism, University of Sussex.
Plusieurs Etats, dont la France, vont enquêter sur les "Panama Papers".

Grâce à la publication des Panama Papers, nous pouvons affirmer que le monde très opaque de l'offshore tremble sur ses fondations. Ces paradis fiscaux facilitent la corruption et l'évasion fiscale - à très grande échelle - d'individus parmi les plus riches et les plus puissants de la planète. Pendant ce temps, les pauvres s'appauvrissent.

Les responsables politiques occidentaux promettent depuis des années de sévir contre les paradis fiscaux. Mais leurs efforts conjugués ne feraient pas fait de mal à une mouche, sans parler d'ébranler les puissants lobbys. Si les lignes bougent, c'est bien grâce aux journalistes d'investigation, aux lanceurs d'alerte, et à la collaboration inédite de médias internationaux.

Selon l'ONG Global Financial Integrity, le transfert illégal des bénéfices offshore a coûté près de 6.000 milliards de dollars aux pays en développement entre 2001 et 2010. Comme les publications sur Facebook le rappellent volontiers, 1% de la population mondiale détient la moitié de la richesse globale. Et les personnes concernées n'aiment pas la redistribuer.

Mais les choses vont peut-être changer. Voici qu'on nous offre la troisième grande fuite de données offshore en trois ans. La première, en 2013, traitait de l'évasion fiscale aux îles Caïman, révélant qu'un nombre impressionnant de personnalités du monde entier détenaient des comptes secrets dans ce petit territoire d'outre-mer britannique.

Puis il y eut la grande fuite HSBC, révélant que la banque privée suisse du groupe avait aidé de riches clients de par le monde à éviter de s'acquitter d'une grande partie de leurs impôts. C'est désormais le tour du Panama, un endroit parfait pour dissimuler des fortunes.

Cette enquête a de nouveau mobilisé un réseau de journalistes de même sensibilité dans plusieurs pays. Ce réseau s'est développé grâce à une série de collaborations internationales. Citons notamment le Guardian et Panorama (l'émission de la BBC), ou en France Le Monde, partenaires de longue date du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), l'organisme au cœur de cette opération. Les données reçues par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung proviennent d'une fuite de Mossack Fonseca, le quatrième plus gros cabinet d'avocats offshore.

Les murs de la forteresse jusque-là inviolable des paradis fiscaux se fissurant, les riches et les puissants commencent à comprendre que le secret ne leur est plus garanti. Les premiers articles des Panama Papers s'intéressent surtout aux deux milliards de dollars qui mènent droit à Vladimir Poutine. Mais on peut s'attendre à de prochaines révélations sur de nombreuses autres personnalités. La dernière chose que souhaitent les détenteurs de comptes offshore, c'est que l'on parle d'eux. Ils doivent déjà se demander où placer leur argent, et s'il existe encore des paradis sûrs.

Paradis du secret bancaire

En quoi le secteur financier de Panama est-il important ? Si vous tapez « Panama offshore » dans Google, vous obtiendrez une longue liste de publicités vous proposant d'ouvrir un compte bancaire (secret) dans ce pays.

Pour ceux qui souhaitent un système d'évasion fiscale vraiment secret, il ne suffit pas de choisir un paradis fiscal, les îles Vierges britanniques ou les îles Caïmans par exemple. L'anonymat ne sera garanti que par un montage de plusieurs comptes offshore établis dans différentes juridictions. Les îles Vierges britanniques sont toutes indiquées pour l'immatriculation de sociétés, et les îles Caïmans offrent des comptes bancaires très discrets. Les comptes panaméens, eux, sont exonérés d'impôts et le pays ne livre aucune information sur ses sociétés aux enquêteurs étrangers.

Les entreprises offshore immatriculées au Panama, ainsi que leurs propriétaires, sont exonérés de tout impôt sur les sociétés, prélèvements libératoires, impôts locaux, impôt sur le revenu, sur les plus-values, sur le patrimoine, ou les donations.

Avec plus de 350.000 sociétés internationales (IBC) immatriculées, Panama arrive en troisième position, derrière Hong Kong et les îles Vierges britanniques. En plus de ce service, les prestataires financiers panaméens proposent la création de fondations et de trusts permettant d'échapper à l'impôt, des assurances ainsi que des immatriculations de bateaux et pavillons. La violation du secret bancaire est punie de prison.

Le pays arrive en 14e position du 2015 Financial Secrecy Index. Mais cette juridiction continue de poser problème. Comme le résumait récemment Pascal Saint Amans, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « en termes de réputation, Panama reste le seul endroit où les gens pensent encore pouvoir cacher leur argent ».

De son côté, le Tax Justice Network (TJN) explique :

Jusqu'ici Panama s'est montré relativement indifférent à sa réputation mais, l'attention dont il fait l'objet entraînera inévitablement une perte de confiance de ses habitués, qui se diront que le pays n'est plus en mesure de protéger efficacement l'identité des escrocs et arnaqueurs attirés par sa législation douteuse et ses non moins douteux cabinets d'avocats.

Selon le TJN, le Panama a longtemps accueilli l'argent de la drogue d'Amérique latine, et d'autres sources d'argent sale, des États-Unis et d'ailleurs. C'est d'ailleurs l'un des paradis fiscaux les plus anciens et les plus connus sur le continent américain. Il a récemment adopté une ligne dure, refusant de coopérer avec les initiatives de transparence internationale.

Dans son livre sur les paradis fiscaux, The Sink : Terror, Crime and Dirty Money in the Offshore World, publié en 2003, Jeffrey Robinson rapporte les propos d'un douanier américain :

Le pays regorge d'avocats malhonnêtes, de banquiers malhonnêtes, de greffiers malhonnêtes et de sociétés malhonnêtes immatriculées par ces avocats malhonnêtes pour déposer de l'argent sale dans leurs banques malhonnêtes. La zone de libre-échange est le trou noir grâce auquel le Panama est devenu l'un des piliers du blanchiment d'argent au monde.

Les enquêteurs

La mise en place d'un réseau international de journalistes enquêtant sur les paradis fiscaux doit beaucoup à celui qui le dirige actuellement, le journaliste d'investigation Gerard Ryle, 26 ans de carrière de journaliste en Australie et en Irlande, dont plusieurs années au Sydney Morning Herald et The Age.

Cet homme discret a révélé quelques-unes des plus grosses affaires en Australie et remporté quatre prestigieuses Walkley Awards dont le Gold Walkley, la plus haute distinction du pays en matière de journalisme.

Alors qu'il travaillait pour le Sydney Morning Herald, une de ses sources l'a prévenu qu'il allait recevoir un paquet important, susceptible de contenir le plus gros scoop de sa carrière.

Je me souviens encore du jour où le paquet est arrivé. A part moi, il n'y avait que l'assistante de direction. Je l'ai serrée dans mes bras, je l'ai remerciée, et puis je suis retourné à mon bureau. J'ai ouvert le paquet. Il contenait un disque dur.

Au début, il n'a pas compris de quoi il retournait, puis il s'est rendu compte que le disque contenait des centaines d'e-mails confidentiels, de documents et de fichiers issus des paradis fiscaux. Il se rappelle sa réaction devant cette montagne de données non classées :

Je sais que je suis devant une mine d'or potentielle, mais sans savoir exactement ce que j'ai sous les yeux, ni la valeur des informations que je découvre.

Ce qu'il savait, en revanche, c'est que ces informations étaient authentiques. L'étape suivante consistait à extraire les données de manière à pouvoir les exploiter. L'accès aux ressources nécessaires pour mener cette tâche à bien lui a été fourni quand il s'est vu proposer, en 2011, la direction du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), à Washington.

Le consortium a été lancé en 1997 par le Centre for Public Integrity, une organisation à but non lucratif, pour étendre le champ du journalisme d'investigation aux problématiques internationales : crimes transfrontaliers, corruption et responsabilité des élus.

Travail d'équipe

Avec les ressources du consortium, Gerard Ryle a entrepris de mettre sur pied une équipe internationale pour structurer l'information de sorte que les journalistes du monde entier puissent l'analyser et en extraire, de manière organisée et efficace, les noms de personnalités et leurs articles à partir d'une plateforme sécurisée.

Dans les 24 heures qui ont suivi la publication des données issues du paradis fiscal des îles Caïmans, en avril 2013, le Guardian a sorti une série d'articles en collaboration avec le CIIJ. Le réseau incluait la BBC au Royaume-Uni, Le Monde en France, le Süddeutsche Zeitung et leNorddeutscher Rundfunk en Allemagne, le Washington Post aux États-Unis, la CBC au Canada et 31 autres médias partenaires à l'international.

Selon l'ICIJ, 86 journalistes de 46 pays ont utilisé une combinaison de techniques avancées de traitement de données et de méthodes journalistiques traditionnelles pour balayer e-mails et relevés de comptes sur une période de trente ans. L'un des plus beaux scoops de l'ICIJ a été de révéler que le président d'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, était actionnaire, comme plusieurs membres de sa famille, d'au moins quatre sociétés offshore. La législation du pays interdit de mener des affaires quand on est au pouvoir. Dès septembre 2013, des journalistes de 190 pays avaient publié des articles sur des personnalités détenant des comptes offshore, à partir de cette base de données.

La fuite HSBC

Puis, en février 2015, une équipe de journalistes issus de 45 pays a révélé l'existence de comptes bancaires secrets gérés pour le compte de criminels, trafiquants, évadés fiscaux, responsables politiques et célébrités. Les documents de la base de données montraient que le géant international bancaire HSBC s'enrichissait grâce aux trafics d'armes. Les fichiers, issus des réseaux internes d'une filiale suisse du groupe bancaire, décrivaient des comptes totalisant plus de 100 milliards de dollars et levaient le voile, comme jamais auparavant, sur le système bancaire helvétique.

Les documents obtenus par l'ICIJ via le quotidien français Le Monde montraient ainsi que la banque privée de HSBC s'était compromise avec des clients menant des activités illégales.

Informée de l'étendue des révélations de l'équipe de journalistes, HSBC s'est montré conciliant, déclarant à l'ICIJ :

Nous devons reconnaître que le respect de la culture et des normes de vérification de la banque privée suisse d'HSBC, et du secteur en général, était beaucoup moins répandu qu'il ne l'est aujourd'hui.

Toujours en 2015, ICIJ a eu accès à son plus gros lot de données jusqu'ici : quelque onze millions de documents concernant les comptes détenus par des grandes fortunes à travers le monde. Les articles qui paraissent ces jours-ci vont alimenter la chronique des mois durant, voire des années. La preuve, s'il en était besoin, de la nécessité des journalistes d'investigation pour obliger les puissants à rendre des comptes.

The Conversation_____

Par Paul Lashmar, Senior Lecturer in Journalism, University of Sussex
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

Traduit de l'anglais par Julie Flanère pour Fast for Word.

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Commentaires 3
à écrit le 05/04/2016 à 18:55
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Il est clair que l'offshore territorial de papa va disparaître à plus ou moins court terme et les paradis fiscaux vont perdre leur halo paradisiaque et devoir revenir au tourisme ordinaire mais, la nature ayant horreur du vide, de nouvelles structure...

à écrit le 05/04/2016 à 16:06
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donner la liste des français , le reste n'est qu'enfumage . on veut les noms des personne et des sociétés qui ont truandés . Si ce qu'ils on fait est légal alors ok, si non démission jugement et prison . et pour les sociétés amande et surtout 30 ...

à écrit le 05/04/2016 à 12:59
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sans commentaire mettre leur têtes au bout de pique comme pour la révolution

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