Pourquoi il faut valoriser la formation dans le bilan des entreprises

La formation professionnelle pourrait créer plus de 90 milliards d'euros de valeur par an, selon un nouveau rapport de l’Institut Sapiens. Améliorer et mieux valoriser la formation est un levier de croissance et de synergies. Par Laurent Cappelletti, professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers, directeur à l'ISEOR, expert à l'Institut Sapiens, Adilson Borges, Professeur à Neoma Business School, Gilbert Font, président de CARE and TRAIN, ancien directeur financier et des talents dans l'industrie.
(Crédits : DR)

Les recherches menées au sein des entreprises et des organisations montrent qu'il y a deux types de formation. D'une part, la formation intégrée aux situations de travail développe des compétences stratégiques chez les salariés, c'est-à-dire utiles à l'entreprise pour gagner en qualité, productivité et créativité. Elle permet de mieux réaliser les activités présentes ainsi que les activités nouvelles en développement. Par exemple, et plus encore à l'heure de la crise sanitaire durable de la Covid, les formations sur les énergies du futur comme l'hydrogène, les véhicules électriques (voiture, avion, vélo etc.) ou le management à distance des équipes comme de la relation client rentrent dans cette catégorie. D'autre part, la formation désintégrée, pas ou peu connectée aux situations de travail, que le salarié ne mettra pas directement en œuvre ou bien très indirectement. Nicolas Bouzou et Julia de Funès ont bien décrit ces formations souvent « gadgets » dans La comédie (in)humaine, certaines fleurissant par exemple sous la typologie très hétérogène du « développement personnel ». Dans le détail, les recherches de l'Institut ISEOR sur plus de 2000 cas d'entreprises et d'organisations* montrent que les défauts de formation intégrée engendrent, en moyenne, au moins 3500 euros de coûts cachés (cachés parce que non ou mal enregistrés par la comptabilité) par salarié et par an. Ces coûts cachés s'expriment notamment en surtemps de réalisation des activités, en sous productivité, en pertes d'opportunités commerciales et en défauts de créativité et d'innovation de nouveaux produits-services. En extrapolant ces recherches, les coûts cachés des défauts de formation représenteraient en France une perte de valeur ajoutée annuelle de plus de 90 milliards d'euros, soit près de 4 points de PIB. Il est donc salutaire d'activer le levier de la formation intégrée qui représente un gisement potentiel gigantesque de valeur ajoutée de l'ordre de 90 milliards d'euros pour l'économie française.

Dans ce contexte, le plan de relance de 100 milliards d'euros présenté le 3 septembre dernier par le gouvernement va dans le bon sens en fléchant 15 milliards pour la formation. Néanmoins, pour stimuler en pratique les efforts de formation professionnelle dans les entreprises, sa valorisation au bilan en serait un très puissant incitant, ce qui suppose selon les normes comptables d'en démontrer la rentabilité et la contrôlabilité. Or la crise de la Covid rend moins contestable la rentabilité et la contrôlabilité des formations pour les entreprises, sous réserve que l'on parle bien de formation intégrée. Par exemple, les formations portant sur le management des équipes aux nouvelles normes sanitaires ou sur des nouveaux produits/services innovants auraient/ont, en effet, des coûts très inférieurs aux pertes de valeurs que l'entreprise subirait si elle ne les faisait pas (coûts qui vont jusqu'à sa faillite). Par ailleurs, au plan de leur contrôlabilité par les entreprises, il est assez aisé, également, de démontrer que les salariés qui en bénéficient leur sont fidèles, cela par le suivi de l'indicateur de rotation du personnel. Ainsi la rentabilité et la contrôlabilité des investissements en formation peuvent être sans trop de difficultés documentées pendant leur durée d'amortissement, cela par des évaluations des gains que ces investissements engendrent (et/ou des coûts qu'ils évitent) et par des mesures de la rotation du personnel, ce qui rend possible leur valorisation au bilan. Par prudence, une dépréciation de cet investissement formation en cas de non démonstration documentée et valide de sa rentabilité et de sa contrôlabilité pourrait s'opérer, tout comme la comptabilité le fait déjà pour les investissements matériels et immatériels inscrits au bilan des entreprises.

C'est pourquoi le contexte de crise actuelle devrait pousser l'Autorité des Normes Comptables (ANC) et les instances de la profession comptable, de concert avec les ministères concernés du travail et de l'économie, à se saisir sans tarder et probablement avec plus d'ambition que par le passé de la question de la valorisation de la formation au bilan des entreprises. 90 milliards d'euros de valeur ajoutée supplémentaire pour l'économie française, soit 4 points de PIB annuel, sont en jeu ainsi que tous les emplois qui en découlent.

* Cappelletti, L., Voyant, O., Savall, H. (2018). 40 ans après son invention : la méthode des coûts cachés. Audit Comptabilité Contrôle et Recherches Appliquées,  2(2) : 71-91.


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