Présidentielle face aux enseignants : un travail invisible à prendre en compte dans les salaires

ANALYSE. Pour évaluer ce qui pose problème dans les rémunérations des enseignants, il faut, au-delà des comparaisons internationales, se pencher sur la reconnaissance de leur temps de travail. Par Léa Chabanel-Kahlik, Université de Lille.
(Crédits : JEAN-PAUL PELISSIER)

Faut-il doubler le salaire des enseignants ? Telle était la proposition formulée en octobre dernier par la candidate aux élections présidentielles, Anne Hidalgo. L'élue du Parti socialiste mettait en avant que la grille de rémunérations des professeurs débutait en deçà du salaire moyen perçu par les diplômés d'un BAC+5, en décalage avec leur rôle central dans la société.

Une proposition qui rejoint les revendications actuelles dans l'Éducation nationale, les enseignants ayant d'ailleurs manifesté fin janvier 2022 pour demander une hausse des salaires. Précisément, leurs revendications portaient sur le « gel du point d'indice » qui, d'après les calculs effectués par Bernard Schwengler, professeur en sciences sociales et politiques, et relayés par le Café pédagogique, aurait provoqué, associé à la hausse des retenues sociales, « une baisse des salaires de près de 28% de 1982 à 2018 ».

Au-delà du niveau d'étude ou du gel du point d'indice, qui se traduit par une baisse du pouvoir d'achat, la question du temps de travail pourrait constituer aussi, selon nos travaux, un nouvel argument apte à corroborer l'idée selon laquelle le salaire des enseignants aurait toute légitimité à être augmenté.

En effet, seule une moitié (52 % précisément) du temps de travail total des enseignants (le travail effectif) est à ce jour reconnue par le cadre réglementaire du travail et est, par conséquent, rémunérée. Il s'agit globalement de la part d'enseignement, c'est-à-dire du temps passé par les professeurs devant les élèves. Cela signifie que la seconde moitié (48 %, soit 900 heures de travail annuelles), elle, ne l'est pas. C'est la part dite de préparation.

Un travail de préparation invisible

Doubler le salaire des enseignants reviendrait, donc, non seulement à reconnaître l'intégralité des heures effectuées, mais aussi, de fait, à reconnaître le travail dans toute sa globalité et dans toute sa complexité ; non pas seulement au travers de sa part visible mais aussi au travers de toutes les autres tâches, inconnues du grand public mais pourtant indispensables à l'enseignement et inhérentes au métier.

Un nouveau regard pourrait sans doute alors être porté sur le travail des enseignants, loin de certains clichés qu'il peut subir. Quelques comparaisons, fondées sur des données officielles, du côté de la Cour des Comptes, de l'Insee, ou encore de l'Inspection générale de l'Éducation nationale, suffisent d'ailleurs à démontrer que les professeurs ont systématiquement (quel que soit l'angle adopté) un temps de travail supérieur à la moyenne.

La reconnaissance juridique (c'est-à-dire inscrire ce temps d'exercice du métier dans le cadre réglementaire du travail) est essentielle. Faisant autorité, la loi est au fondement de tout processus de reconnaissance.

Reconnaître la moitié ou le travail dans sa globalité a non seulement une incidence sur les salaires des enseignants, mais aussi, probablement, sur le regard que porte la société sur ce travail. De la même manière que la loi est capable de générer une image peu flatteuse et méprisante du travail enseignant ; elle pourrait aussi, inversement, à condition d'une volonté politique qui aboutisse à une reconnaissance juridique, produire une image nuancée, voire valorisée.

« Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu'elle est juste », disait Montesquieu. En d'autres termes, avec la reconnaissance juridique, l'enjeu est grand. C'est d'elle dont dépend la reconnaissance sociale, tant souhaitée par les enseignants et nécessaire à la performance du système éducatif. Or, elle relève avant tout de la décision politique. La proposition d'Anne Hidalgo en la matière nous semble être, en ce sens, une tentative louable et pertinente. Mais qu'adviendra-t-il finalement, au sortir de la campagne, de ce débat

Inégalités de genre

Nos travaux de recherche, portant sur ce travail de préparation des professeurs des écoles, ont permis de mettre en évidence des enjeux inattendus liés à la question du genre. Il faut dire que cette question devient incontournable dans un contexte où plus de huit enseignants sur dix sont en réalité des enseignantes, où il est question de travail à réaliser au domicile, et lorsque l'on sait que les femmes ont la charge, au sein du foyer familial, de l'essentiel du travail non rémunéré domestique et de soin.

L'étude du travail de préparation des enseignants permet ainsi de mettre en évidence un télescopage des obligations personnelles et professionnelles au sein de la sphère privée des femmes ; autrement dit, un cumul des activités rendant l'exercice professionnel (de la préparation) particulièrement périlleux et complexe.

Loin du confort et la souplesse que peut laisser supposer le travail à la maison, on observe en réalité que l'enseignante doit s'organiser et faire preuve d'ingéniosité. Comme en témoigne ce semainier, elle décidera, par exemple, de faire ses préparations le temps de midi, parfois en mangeant et le soir une fois les enfants couchés de manière à pouvoir concilier tous ses rôles. L'Insee nous apprenait il y a vingt ans déjà que l'emploi du temps des enseignants, fractionné, était « atypique ». Nos recherches nous incitent à penser que la question du genre y est sans doute pour quelque chose.

Si les femmes ont de nombreuses fois mené (et mènent encore) des luttes pour acquérir l'égalité salariale avec leurs collègues masculins, la question se pose un peu différemment avec le métier de professeur des écoles. Il n'est pas question ici d'égalité salariale hommes-femmes à proprement parler, mais de justice salariale pour les femmes.

Dans le métier de professeur des écoles, à travail égal, les femmes ne sont pas, en effet, moins bien payées que les hommes. En revanche, elles ne semblent pas suffisamment payées au regard du travail qu'elles produisent et des conditions, particulières, dans lesquelles elles le produisent.

Et c'est là que résiderait l'injustice faite aux enseignantes : l'organisation légale du travail ignore non seulement la moitié du temps de travail, mais, aussi, avec elle, les spécificités d'une organisation typiquement féminine, aux prises avec la difficulté du cumul d'activités. Un motif supplémentaire peut-être, si ce n'est de doubler, de revaloriser les salaires ?

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Par Léa Chabanel-Kahlik, Doctorante en Sciences de l'éducation, spécialiste de l'organisation du travail des enseignants du premier degré en France, Université de Lille.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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