Quand l'ONU se mêle de la restructuration des dettes souveraines...

L'ONU va prendre une résolution tentant d'encadrer les restructurations de dettes. L'un des objectifs est de lutter contre les "fonds vautours", qui spéculent sur ces dettes. Par Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management

Ce 10 septembre 2015, une résolution établissant des principes fondamentaux des opérations de restructuration de la dette souveraine, va être votée par l'assemblée générale des nations unies. Cette résolution est proposée par 77 pays émergents.
Cette initiative s'inscrit dans le contexte de l'offensive récente des pays émergents en faveur de l'élaboration d'un cadre juridique international pour la restructuration des dettes souveraines. Il convient également de la mettre en perspective avec les efforts du FMI pour convaincre la communauté internationale d'élaborer un mécanisme de résolution des dettes souveraines.


Divergences sur la manière d'obtenir une restructuration

Le débat sur les principes à appliquer aux défauts souverains s'articule autour de deux conceptions opposées :
- D'une part une approche contractuelle basée sur les forces du marché, avec l'inclusion systématique de clauses d'action collectives, ce qui conduit à des restructurations « volontaires » de la part d'une large fraction des investisseurs, et que les minoritaires sont obligés d'appliquer
- D'autre part une approche statutaire représentée par la proposition déjà ancienne du FMI pour un mécanisme de restructuration des dettes souveraines, ou SDRM pour Sovereign Debt Restructuration Mechanism.


La proposition initiale du FMI pour l'établissement d'un SDRM date de 2001. L'idée était d'amender les statuts du FMI pour y ajouter un mécanisme qui permettrait de gérer des restructurations de dettes souveraines. Il aurait fallu pour cela que un groupe d'au moins trois cinquièmes des pays membres et 85% des droits de vote accepte a réforme des statuts.

La préoccupation était de permettre à ces restructurations d'être réalisées très rapidement et de gérer la complexité due à la multiplicité de titres de créances différents sur un même pays. Le mécanisme serait activé à la demande d'un pays en détresse financière. L'ensemble des détenteurs d'obligations et autres prêts à restructurer serait appelé à voter. Si une majorité qualifiée de 75% des droits de vote globaux, agrégés sur toutes les créances concernées, approuvait la restructuration, elle serait également obligatoire pour les autres.

 La montée des clauses d'action collective

Les statuts du FMI ont valeur de traité international qui obligerait tous les pays membres à adapter leur législation nationale de manière à permettre ce fonctionnement. Toutefois l'administration américaine affirma préférer une approche plus décentralisée et volontaire, et encouragea donc la formulation de clauses d'action collectives à incorporer aux contrats qui régissent les émissions obligataires souveraines.
En 2003 le Mexique émis la première obligation souveraine internationale, sous le droit de New York comme c'était usuel pour protéger les créanciers, avec une clause d'action collective. Beaucoup de pays émergents ont ensuite suivi cet exemple. L'approche volontaire basée sur les clauses d'action collective semblait donc avoir gagné la partie.

Depuis le 1er janvier, les nouvelles émissions obligataires des États de la zone euro doivent comprendre des clauses d'action collective (CAC), en application des décisions de l'Eurogroupe du 10 novembre 2010.

De trop longs délais pour restructurer une dette


En 2013, Le FMI a publié une étude pour remettre ses critiques du simple recours aux clauses d'action collective à l'ordre du jour. Essentiellement le FMI estime que l'approche contractuelle basée sur le marché, utilisée jusqu'à présent, a conduit à des délais trop longs avant qu'un accord permette une restructuration. Les restructurations ont donc été souvent trop tardives.

En particulier l'approche du marché a été inefficace au cours des périodes qui précèdent les défauts, alors qu'il eût été utile d'agir préventivement. Le FMI propose que les clauses d'action collective agrègent les droits de vote sur toute la dette émise de manière à ce que l'atteinte du seuil de majorité pour l'ensemble entraîne l'activation de la restructuration pour toutes les séries de titres, même celles pour lesquelles une minorité des détenteurs l'a approuvée. Pour le FMI, l'agrégation des droits de vote sur toutes les séries de titres de dette est la clef du succès, et si elle ne peut être mise en œuvre par un SDRM, il faut chercher à l'établir autrement.


L'initiative des pays émergents

Les problèmes rencontrés par l'Argentine ont motivé les pays émergents à plaider depuis 2014 en faveur de l'établissement d'un cadre légal multilatéral pour les restructurations de dettes souveraines. Plusieurs résolutions ont déjà été approuvées à l'assemblée générale à une majroité de pays, bien que les Etats-Unis aient voté contre. Les résolutions de l'Assemblée Générale n'ont cependant aucun pouvoir juridique contraignant, contrairement à celles du conseil de sécurité.


Une réponse aux actions des fonds spéculatifs

Les principes fondamentaux proposés dans le projet de résolution qui doit être voté le 10 septembre contiennent des éléments qui sont manifestement orientés contre les fonds spéculatifs. Les conflits juridiques qui opposent ces fonds spéculatifs au gouvernement argentin ont provoqué un sentiment de réprobation à leur égard et la recherche de moyens de parade. Les principes suggérés par la résolution indiquent en effet que « Nul créancier ou groupe de créanciers ne doit être exclu par avance d'une opération de restructuration de la dette » . Ces principes affirment également que « Les restructurations décidées à la majorité impliquent que les accords de restructuration de la dette souveraine approuvés par une majorité qualifiée de créanciers d'un État ne peuvent être affectés, remis en question ou autrement entravés par d'autres États ou une minorité non représentative de créanciers, lesquels sont tenus de respecter les décisions adoptées par la majorité des créanciers ».


Une contestation explicite de certaines initiatives de la justice américaine

Les principes proposés par le projet de résolution sont clairement orientés contre certaines initiatives récentes du tribunal de New York à propos de l'affaire argentine. Celui-ci a émis des injonctions qui contraignent les actions de banques étrangères ou de sociétés soumises à des juridictions étrangères sous la menace de rétorsions contre leurs activités, ou de celles de leur groupe faîtier, localisées aux Etats-Unis. Ce tribunal a également enjoint des banques de communiquer des informations qui permettraient de localiser des actifs de la république argentine localisés aux Etats-Unis et dans des pays étrangers, en vue d'essayer d'obtenir leur saisie judiciaire pour payer les fonds spéculatifs. C'est ainsi que les principes de la résolution indiquent que « L'immunité souveraine de juridiction et d'exécution en matière d'opérations de restructuration de la dette souveraine est un droit dont disposent les États devant les tribunaux nationaux étrangers et toute exception doit faire l'objet d'une interprétation restrictive » .

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