Trump, ou la destruction créatrice

Si Donald Trump a gagné, c'est parce qu'il a reconnu le déclin de sa classe moyenne et proposé des solutions pour le combattre, en opposition frontale avec les élites de son pays. Par Michel Santi, économiste.

Hillary Clinton a perdu les élections présidentielles américaines car elle a ignoré la crise existentielle qui menace les travailleurs et les salariés moyens américains. Au contraire, elle n'a eu de cesse, tout au long de la campagne électorale, de répéter que la conjoncture s'était nettement améliorée. Pourtant, si le taux de chômage a indiscutablement régressé aux Etats-Unis depuis son pic atteint à 10% en 2010, les revenus de la classe moyenne y sont au mieux stagnants, tout comme en France. Donald Trump a gagné car il a reconnu le déclin de sa classe moyenne et a proposé des solutions pour le combattre, en opposition frontale avec les élites de son pays qui baignaient dans un optimisme en totale déconnexion avec la réalité du pays. La victoire de Trump est donc autant due au schisme matériel entre la majorité des citoyens déclassés et l'establishment qu'à l'attitude désinvolte et provocatrice de ces élites néolibérales à l'encontre de la masse de celles et ceux que Hillary Clinton qualifiait de «déplorables».

Emploi, capital... sachons interpréter les signes

Que les candidats aux élections à venir prennent conscience que les stratégies usuelles appartiennent désormais au passé car il est inconcevable de prétendre que tout va pour le mieux. Les citoyens se sentent à raison insultés par le comportement de celles et ceux qui entendent les diriger mais qui ne reconnaissent pas l'insécurité matérielle qui règne sur leur existence quotidienne. A cet égard, le progrès technique est devenu - au même titre que la globalisation - le fossoyeur des emplois, et est au minimum coupable de la régression des revenus. La Chine elle-même perd des emplois qui sont repris progressivement par les robots. Année après année, les avancées technologiques permettent de produire plus, d'assurer plus de services avec moins de travail et à l'aide de moins de capitaux. Sachons interpréter les signes qui sont sans équivoque : la stagnation des salaires indique que nous avons besoin de moins en moins de travailleurs, et le niveau actuel quasi nul des taux d'intérêt indique pour sa part que nous avons besoin de moins en moins de capitaux pour cette production. Les taux de chômage sont donc condamnés à s'aggraver, ou à s'améliorer comme actuellement aux Etats-Unis et en Allemagne mais en présence d'un déclin notable des salaires. Le job le plus courant aux Etats-Unis - à savoir, conducteur de camion - n'est-il pas lui-même en sursis par l'inéluctable apparition des camions sans chauffeur?

Censé libérer l'homme, le progrès est-il en fait son oppresseur ?

Aujourd'hui, en 2017, nous avons réglé le problème de l'offre car nous sommes à même de vivre, de manger, de nous habiller et de nous amuser mieux et moins cher que nos grands-parents, en ayant toutefois à jamais perdu la sécurité de l'emploi dont eux bénéficiaient. Le corollaire est que la fracture se précise de plus en plus entre les heureux propriétaires et usagers des technologies et les miséreux. Il devient donc vital de régler ce problème fondamental du capitalisme moderne qu'est la dégradation de la consommation. Après tout, le robot qui fabrique un iPhone n'est pas capable de l'acquérir... Comme les bénéfices pécuniaires des progrès technologiques ne se traduisent plus en augmentations de salaires, il faut bien reconnaître que productivité des emplois ne rime strictement plus avec amélioration du niveau de vie. De fait, c'est la rente, c'est l'immobilier et c'est la Bourse qui ont absorbé - et confisqué - l'amélioration fulgurante de la productivité. Quant au travail, il est devenu une vulgaire matière première obéissant à la loi de l'offre et de la demande, car la main-d'œuvre humaine est de moins en moins nécessaire pour produire et pour assurer des services. Il serait tout de même dramatique que ce même progrès technologique censé libérer l'homme et améliorer ses conditions de vie soit, en fait, responsable de sa déchéance matérielle.

La victoire de Trump sur Clinton résonne donc comme une exhortation pressante à la transformation de notre société, et au rejet des méthodes traditionnelles de gouvernance politique. A la limite, les électeurs de Trump sont fort aise du chaos qu'il semble installer deux semaines après son accession à la Maison Blanche, et qu'ils perçoivent comme la seule manière de démanteler un système sclérosé.

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Commentaires 28
à écrit le 10/02/2017 à 22:17
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A propos, entre deux tweets rageurs, Trump a éprouvé le besoin d'en pondre un pour défendre la marque de fringues de sa fille Ivanka, déréférencée par la chaîne de supermarchés. Plutôt que de hurler au conflit d'intérêt, quelqu'un a-t-il eu la curios...

à écrit le 07/02/2017 à 15:40
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Réponse à M. Patate Ridicule, pourquoi former des gens à des métiers qui disparaissent ! Il ne vous a pas échappé que la robotique, l'IA, les applis doivent être conçus, réalisés, vendus, servis, entretenus, remplacés et développés? Cela fait du mon...

à écrit le 07/02/2017 à 9:29
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Très bon! Ça fait plaisir de voir ce type d'article, parce qu'il est en prise directe avec la réalité des choix qui nous sont proposés. Dans les accords signés par la France au sein de l'UE et de l'OMC, il y a la mise en concurrence avec tous les pa...

à écrit le 06/02/2017 à 23:57
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C'est une jolie dissertation qui n'explique pas pourquoi les jeunes de moins de 40 ans, les principales victimes de l'insécurité de l'emploi, ont massivement voté pour Clinton.

à écrit le 06/02/2017 à 23:57
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C'est une jolie dissertation qui n'explique pas pourquoi les jeunes de moins de 40 ans, les principales victimes de l'insécurité de l'emploi, ont massivement voté pour Clinton.

à écrit le 06/02/2017 à 17:14
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Destruction de 10% d'emploi et les activités de 40% des autres impactés par la digitalisation. Ce n'est pas rien mais ce n'est pas une catastrophe si en face on aligne une formation professionnelle digne de ce nom et une recherche dynamisée : 2,7% du...

le 06/02/2017 à 19:38
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C'est vrai, il suffit de former professionnelle à des emplois que les machines (robots, systèmes experts, IA) feront mieux et pour moins chers que les humains. Eh oui, monsieur le visionnaire, les systèmes experts et les IA vous remplaceront même dan...

le 06/02/2017 à 20:04
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De tous temps l'évolution des techniques a fait disparaître des emplois : de moines copistes, d'allumeurs de becs de gaz, de conducteurs de diligences, de poinçonneurs aux Lilas, de sténo-dactylos,... y a-t-il lieu de s'en lamenter ? Quant à l'écart...

le 07/02/2017 à 8:52
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oui pas d'isf pour les actionnaires mais pour les sociétés! quant à l'isf sur l'immobilier c'est totalement has been (la preuve Macron le propose LOL)

à écrit le 06/02/2017 à 17:11
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Lucidité de ce très bon article de M.Santi : faute de pouvoir inventer des "robots consommateurs" destinés à ... consommer ce que fabriquent les "robots producteurs", il va falloir trouver un nouveau modèle de société ! Mais peut-être les riches pour...

le 07/02/2017 à 8:53
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nous ne sommes pas en capitalisme FB AMZN AAPL ne sont pas trop en Chine

à écrit le 06/02/2017 à 15:09
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En matière d’énergie, la Grande-Bretagne a souvent été pionnière. Elle a ouvert le bal des puissances européennes quand il s’est agi d’entrer dans l’ère du charbon, il y a quelques siècles, ou de devenir producteur de pétrole, au moment de l’essor de...

le 06/02/2017 à 18:31
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Pénurie de pétrole? Depuis quand?

le 07/02/2017 à 9:31
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Le lien entre production d'énergie et croissance est-il si fort?

à écrit le 06/02/2017 à 14:28
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Trump a gagné. Point. Il faut faire avec. Il a dit ce que les autres ne voulaient pas voir. Le bilan d'Obama n'était pas aussi bon que cela. Hillary Clinton incarnait le passé. Trump le changement. Mais la classe moyenne et moyenne inférieure n'atten...

le 06/02/2017 à 15:05
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Oui, sur la base des lois électorales US, même sans avoir remporté, loin de là, la majorité des suffrages exprimés, Trump a gagné et il faut faire avec. En disant tout haut ce que les autres pensaient tout bas (tiens, ça me rappelle quelqu'un). Maint...

le 06/02/2017 à 17:39
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Bruno. Qui sommes-nous pour juger la constitution et les lois électorales américaines? Je vous suis sur les élections à mi-mandat. Certains feront tout pour garder le chèque de fin de mois. La gamelle est très bonne. J'espère que les deux chambres ...

à écrit le 06/02/2017 à 13:19
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Encore une excellente analyse, que c'est agréable de vous lire, cela retire une partie de la colère légitime que l'on a contre nos dirigeants et contre les possédants de manière générale car en effet ils ne voient rien et les gens sont de plus en plu...

à écrit le 06/02/2017 à 12:59
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la destruction créatrice est un vieux concept aux USA, on peut néanmoins penser que l'action de Trump relèvera plutôt d'une logique nouvelle, la destruction destructrice. Ainsi que semble le prouver son négationnisme environnemental par exemple, alor...

à écrit le 06/02/2017 à 12:49
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Halte au sketch. Trump a gagné d'une part parce que la loi électorale américaine est inégalitaire voire inique (elle donne une importance démesurée à l'électorat des fameux "swing states" au détriment d'un état comme la Californie), d'autre part, pa...

le 06/02/2017 à 14:25
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meme si vous avez pas tord sur certains points, l auteur a raison sur le fond. Trump n avait en theorie aucune chance (il avait contre lui quasiment toute l intelligentsia, une partie de son parti ...) et il a portant gagne ! Si le systeme electoral...

le 06/02/2017 à 14:53
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les complots pour couler H. Clinton n'ont pas manqué non plus comme la réouverture (très momentanée mais dans la dernière ligne droite de la présidentielle) de l'enquête sur le serveur privé de mails... pour être finalement classée à nouveau sans sui...

à écrit le 06/02/2017 à 12:33
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Superbe analyse.

à écrit le 06/02/2017 à 12:20
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Curieux plus il y a de robots et plus le chômage baisse : Allemagne, Japon, Corée...

le 06/02/2017 à 13:27
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Allemagne Corée prennent surtout des parts de marché mondial, et laisse les miettes aux autres. Certes au prix de gros efforts de compétitivité. Si leurs modèles étaient dupliqué dans tout les pays qui serait le consommateur final? Ceci dit il vaut m...

le 06/02/2017 à 13:52
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Curieux en effet oui, trois pays dans lesquels il y a énormément de vieux... Ouvrez un bouquin d'économie au moins une fois dans votre vie histoire de voir quand même hein svp, merci.

le 06/02/2017 à 14:23
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Vous oubliez peut-être le sort peu enviable des femmes dans ces pays qui sont largement sous représentée au travail une fois qu'elles ont un enfant. Le nombre ridicule de place de crèches. Et bien pire encore.

le 06/02/2017 à 15:11
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Pas curieux, normal : dans un pays à coûts salariaux élevés, la robotisation est un ingrédient essentiel de compétitivité. Et accessoirement ces robots, il faut bien les concevoir, les construire, les programmer, ce qui en soi est un puissant moteur ...

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