Dossier Scribeo

« Les juges doivent redevenir les phares qui éclairent la réparation intégrale des victimes »

Maître Claudine Bernfeld, Présidente de l’ANADAVI (Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels), nous parle des combats présents et futurs de l’association qui fête ses vingt ans cette année.
(Crédits : ANADAVI)

L'ANADAVI a 20 ans cette année, quel bilan feriez-vous de ces deux décennies d'existence ?

Notre association s'est créée sur un double constat : d'une part, notre matière est tellement technique que le législateur, lorsqu'il est saisi dans notre domaine, peut prendre des décisions néfastes pour les victimes ; d'autre part, ces dernières peinaient à trouver des avocats spécialisés et indépendants des compagnies d'assurances.

L'ANADAVI a beaucoup œuvré depuis sa création, en lien avec des associations de victimes, auprès du gouvernement ou du législateur chaque fois qu'un texte de loi concernait les victimes de dommages corporels. Encore dernièrement nous avons enfin obtenu qu'en matière d'infraction, le droit des mineurs à être indemnisés par le FGTI ne soit pas forclos au bout de 3 ans après les faits (ou 1 an après une décision pénale) mais après leur majorité de même que pour leurs proches.

Nous avons également beaucoup travaillé à réunir les avocats spécialistes pour augmenter le niveau collectif de nos compétences, mais aussi à nous rapprocher des médecins-conseils de victimes pour produire des outils communs. Est ainsi née de ce rapprochement l'ANADOC (antenne nationale de documentation sur le dommage corporel). Il était, en effet, indispensable, face à la force des assureurs, de pouvoir mettre en place - côté victimes - des missions d'expertise, des fiches synthétiques sur les postes de préjudice et bien d'autres outils à destination des professionnels du droit et de l'expertise moins spécialisés, d'associations de victimes ou pour les victimes elles-mêmes.

Il ne s'agit pas seulement d'accompagner au quotidien des personnes ayant subi des drames, notre valeur ajoutée, c'est la connaissance technique précise d'une matière juridique, de plus en plus complexe, qui se déploie, du fait de la diversité des faits générant des dommages corporels, devant de nombreuses juridictions.

Quels sont les combats actuels de l'association ?

Nous souhaitons absolument améliorer le sort des victimes d'accidents du travail lorsqu'il existe une faute dite inexcusable de l'employeur. Ces dernières n'ont toujours pas droit à la réparation intégrale de leur préjudice ce qui est tout à fait inacceptable. Régulièrement, nous déposons des amendements lorsque des projets de lois s'y prêtent, mais sans succès pour le moment.

Nous souhaiterions également que le montant des indemnisations allouées par les juges administratifs soit au moins à la hauteur de celui fixé par les juges de l'ordre judiciaire. Il est quand même difficile de comprendre qu'une victime de responsabilité médicale dans un hôpital public soit moitié moins indemnisée que la même victime dans une clinique.

Quelles sont vos craintes ?

La crainte majeure dans notre domaine, c'est la barémisation. Il est répété à l'envie que l'indemnisation des victimes de dommage corporel se fait sous le signe de l'individualisation de leur préjudice. En réalité, on voit se cristalliser les indemnisations autour de référentiels qui sont des mots plus doux pour désigner des barèmes rigides.

Une bonne partie de l'indemnisation des victimes repose alors sur les cotations données par les médecins qui dans le cadre d'une expertise amiable ou judiciaire évaluent le dommage. Or, il faut savoir que la plupart des victimes d'accidents de la circulation sont expertisées par des médecins de compagnie d'assurances sans assistance d'un médecin-conseil de victime et sans avocat. Vous ajoutez à cela des barèmes en lien avec les cotations attribuées et vous obtenez une véritable barémisation du dommage corporel. Si, de leur côté, les juges, lorsque les dossiers viennent à être plaidés ne font pas œuvre d'écoute et de créativité à la demande des avocats, et figent aussi leurs indemnisations dans des référentiels rigides, alors il faudra dire adieu à l'individualisation et à la personnalisation de tous les postes non-économiques.

Qu'espérez-vous pour l'avenir ?

Nous aimerions que les juges redeviennent les phares qui éclairent la réparation intégrale des victimes, notamment par souci d'individualiser effectivement les sommes allouées.

Toutefois, le juge ne peut allouer que ce qui lui est demandé. Il faut donc compter sur la créativité des avocats notamment ceux de notre association : de nouveaux modes de calcul naissent, de nouveaux postes de préjudice sont réclamés et sont ainsi indemnisés de façon plus fréquente (par exemple, les préjudices d'angoisse pour les victimes directes ou les préjudices d'attente pour les victimes par ricochet). Il est donc capital que les avocats des victimes soient présents au stade de l'expertise pour améliorer les évaluations et faire respecter les principes de droit au cœur de cet espace médico-légal, présents également dans l'arène judiciaire pour demander au juge de sortir de la routine des référentiels, et enfin présents auprès du législateur et du gouvernement pour éviter des régressions toujours possibles du droit du dommage corporel et encourager les progrès dans notre matière.

Une meilleure connaissance de notre matière par les juristes, par les experts médicaux, mais aussi par les victimes elles-mêmes permet aussi d'augmenter le niveau d'exigence indispensable à l'amélioration de l'indemnisation des victimes.

ANADAVI

La consultation du présent article est notamment soumise aux CGU de Scribeo

Commentaire 1
à écrit le 08/04/2024 à 11:33
Signaler
Oui mais comment faire appel à vous !? Intervenez vous tacitement et on peut se poser des questions quand au secret professionnel ou bien faut il que les victimes fassent une démarche supplémentaire dans un contexte de traumatisme et d'ignorance du s...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.