Révoltée par les méthodes des abattoirs industriels, Émilie Jeannin, éleveuse de charolais, n'imaginait pas reprendre la ferme de son père en 2016 dans les mêmes conditions. « Nous prenons soin de nos bêtes toute leur vie, en les nourrissant avec des produits de qualité, mais dès lors qu'ils partent à l'abattoir, nous n'avons plus aucune information », explique l'éleveuse. « Dans le schéma classique, une fois que l'animal est chargé dans le camion, il commence un long périple de 400 km debout, secoué, sans manger. Il est déchargé, puis rechargé avec d'autres animaux, d'autres odeurs. Ce qui provoque souvent des bagarres et, surtout, beaucoup de stress », poursuit-elle. Tout le travail de qualité des éleveurs peut être réduit à néant par cette situation tendue que vive les animaux dans les dernières heures de leur vie.
L'innovation réside dans la conception de l'outil
« J'ai vu que c'était possible, alors je me suis lancée ! », explique Émilie Jeannin. De retour de Suède, où il existe un modèle similaire, l'éleveuse décide de s'embarquer dans l'aventure de l'entreprenariat. Un véritable combat qui durera près de quatre ans pour convaincre les investisseurs que son projet est viable. Lorsqu'en mars 2020, en plein confinement, la jeune femme lance un ultime appel au financement via les réseaux sociaux, six investisseurs privés se déclarent intéressés. Le projet démarre avec 602.000 euros. Puis, un financement participatif de 250.000 euros viendra compléter cet apport. Les banques suivront ensuite. Au total, il aura fallu investir 1,5 million d'euros pour concevoir et fabriquer l'abattoir mobile composé de trois poids lourds : un extensible servant d'abattoir, un frigorifique, une double-remorque emportant des bureaux et vestiaires dans l'une, les cuirs et les déchets dans l'autre. « L'innovation réside dans la conception de l'outil. Notre défi était de faire tenir un tas d'équipements techniques pour l'abattage - habituellement fixes et destinés à l'industrie - dans un camion de 18 mètres de long », indique Émilie Jeannin.
Prendre le temps de faire les bons gestes
« Nous avons imaginé un concept global. Le Bœuf Éthique achète les animaux vivants, les abat, puis les vend. Ce n'est pas uniquement un service d'abattage. », explique Émilie Jeannin. « Pour l'éleveur, il n'y a pas de coût car la prestation de l'abattage se répercute sur le prix de vente », poursuit-elle. Le Bœuf éthique se déplace chaque jour dans une ferme différente pour un rendement de cinq animaux par jour contre 80 par heure pour un abattoir industriel. « Ce n'est pas le même rythme. Nous prenons le temps de faire les bons gestes pour étourdir les animaux. Ceux-ci sont manipulés par leur éleveur jusqu'à leur montée dans le camion », assure Émilie Jeannin. Et ce n'est pas parce que l'abattage est effectué à la ferme que l'entreprise est moins contrôlée. « Les services vétérinaires vérifient que chaque étape respecte les normes européennes », précise Émilie Jeannin. Cette présence du vétérinaire permet de renouer également une relation avec l'éleveur qui reste responsable de sa bête jusqu'au dernier moment. Dans les abattoirs industriels, certaines viandes sont saisies car elles ne répondent pas aux critères des normes. L'éleveur reçoit alors une facture avec un manque à gagner important, sans savoir pourquoi sa viande a été saisie. Avec l'abattoir mobile, le vétérinaire peut expliquer en direct à l'éleveur, le cas échéant, pourquoi son animal ne pourra pas être abattu. Cette expérience de pouvoir accompagner ses bêtes jusqu'au bout, en toute transparence, touche les éleveurs. « Certains avaient les larmes aux yeux en me remerciant pour cette initiative », témoigne Émilie Jeannin. « Pour rien au monde, ils ne repartiraient sur l'ancien modèle industriel ! », assure-t-elle.
Un nouveau modèle d'abattage à promouvoir
Chaque jour, Émilie Jeannin est contactée par deux ou trois éleveurs qui affluent de toute la France. Pour l'instant, sa zone de chalandise reste la Côte-d'Or et la Saône-et-Loire où la demande est forte. Le carnet de commandes est déjà rempli pour les trois mois à venir. D'ici quelques années, l'entrepreneuse souhaite développer son concept partout dans l'Hexagone. Pour l'instant, le Bœuf Éthique vend à différentes clientèles : bouchers, restaurateurs, collectivités locales, particuliers via le site de vente en ligne et une boutique mobile. « Pour envisager une montée en puissance, nous devons consolider notre concept et nous assurer que nos partenaires ont bien les capacités de stockage pour nos carcasses », explique Émilie Jeannin. Des négociations sont en cours avec des magasins bio. « Il y a une vraie demande des consommateurs et des éleveurs. Nous avons un nouveau modèle d'abattage à promouvoir respectueux de l'animal et du travail des éleveurs », assure l'éleveuse.
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