Johan Hajji, un entrepreneur engagé contre l’autisme

Début des années 90 : l’autisme est un trouble encore très mal connu. Les diagnostics sont difficiles à poser et les troubles du spectre autistique sont même assimilés à une forme de démence !
(Crédits : DR)

Face à cette absence de réponse institutionnelle et thérapeutique, des familles décident de prendre le problème à bras-le-corps en se réunissant pour apporter des réponses concrètes. Grâce au soutien moral et matériel d'un certain nombre de personnalités - dont S. M. le roi Mohammed VI - et d'institutions françaises, elles créent une structure pour permettre aux enfants autistes d'être accompagnés au quotidien. C'est l'APAEP*, dont le premier centre voit le jour en 1995.

Vingt-cinq ans plus tard, l'association perdure, toujours soutenue par certains de ses membres historiques et leurs proches. C'est le cas de l'entrepreneur Johan Hajji, qui a suivi pas à pas le parcours de sa jeune sœur autiste. Retour sur l'évolution d'une association et le chemin d'un homme investi dans la cause des jeunes souffrant de trouble du spectre autistique.

Un frère au chevet de sa sœur autiste

Johan Hajji est né en 1985, dans une famille d'intellectuels. Son père, diplomate, docteur en économie et professeur, a fondé une prestigieuse école de commerce à Marrakech. Sa mère, professeure à l'université, a exercé à Londres. Il a 6 ans lorsque sa petite sœur vient au monde. Rapidement elle manifeste des troubles bientôt identifiés comme des signes d'autisme. Mais, à cette époque, aucune structure locale ne permet de la suivre et de la prendre en charge.

Pour mettre toutes les chances de son côté, ses parents choisissent de partir avec leurs deux enfants. En 1997, ils s'installent à la capitale, Rabat, pour que la petite fille intègre le centre fondé par la toute jeune association l'APAEP. Puis, en 2001, ils partent pour Paris.

La famille est en contact étroit avec les spécialistes de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul et de l'hôpital Necker - à cette époque, l'autisme est encore pris en charge par les hôpitaux psychiatriques en tant que psychose. Cependant, des collaborations voient le jour entre professionnels et familles.

Sa petite sœur rejoint finalement un centre pour autistes dans la région parisienne tandis que Johan poursuit sa scolarité dans un lycée à Paris. Un choix familial qui prend en considération le parcours des deux enfants. La petite sœur est entre de bonnes mains, et son grand frère, brillant, intègre des classes préparatoires aux grandes écoles. Ses années en maths sup et maths spé lui ouvrent les portes d'une prestigieuse école d'ingénieurs à Paris. Le jeune homme est travailleur, et le combat de ses parents pour sa sœur lui a montré à quel point la volonté, la patience et la persévérance peuvent payer, et changer une vie. « À force de voir mes parents se battre au quotidien, j'ai voulu, très jeune, faire de même et apporter ma pierre à l'édifice », reconnaît-il.

Johan a compris qu'il faut aller de l'avant, sans s'apitoyer sur son sort, se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre. « Un travail soutenu, régulier et - surtout - persévérant : voilà le secret de chacune de mes réussites », explique-t-il.

À 23 ans, il entre dans la vie active et intègre un fonds d'investissement en private equity basé à Paris et à Londres. En 2008, on est pourtant en pleine crise financière, mais il relève le défi.

Trois ans plus tard, il crée - avec un ami d'enfance - une PropTech (pour Property Technology) spécialisée dans l'hôtellerie. Implantée à Londres, Paris, Malte, Dublin et Genève, celle-ci emploie aujourd'hui plus de 100 personnes.

« J'ai toujours voulu aider les autres, et j'ai vite compris que, pour y arriver, il fallait s'en donner les moyens à force de travail », explique Johan. Sa réussite dans l'entrepreneuriat lui permet donc de soutenir la cause de l'autisme, conduit par une ambition qui ressemble à une véritable vocation : « Donner de son temps et de soi-même ».

Une enfant autiste qui leur a donné beaucoup de force

Avoir un frère ou une sœur autiste, c'est vivre une situation tout à fait particulière. Dès le diagnostic, le quotidien de toute la famille se voit bouleversé. Il faut non seulement vivre avec une sœur ou un frère différent mais, en plus, savoir adopter des modes de communication spécifiques avec lui.

« La violence du handicap a rapproché et même soudé les membres de notre petite famille qui a fait corps avec toutes ses composantes. La recherche du bien-être de ma petite soeur était une évidence et la priorité de tous les membres de la famille. Notre force est intérieure, car notre unité nous a permis de surmonter beaucoup de difficultés. Nous avons placé toute notre énergie dans la recherche du bonheur de ma petite sœur, et chacun d'entre nous trouvait cela normal - même moi qui étais pourtant encore enfant lorsque ma petite sœur est arrivée », explique Johan. « Elle m'a donné beaucoup de force, ce qui m'a permis de toujours chercher à me dépasser, de travailler encore plus durement, et de devenir la personne que je suis aujourd'hui. »

C'est donc une leçon de courage que Johan a puisée auprès de sa sœur handicapée mais pas seulement : il en parle surtout avec énormément d'amour, et on lit même de la reconnaissance dans ses yeux. Aujourd'hui encore, malgré la distance qui les sépare (il vit à Londres), la proximité avec sa petite sœur est encore réelle.

Une famille impliquée

L'histoire de sa petite sœur, à laquelle il est très attaché, a inculqué à Johan Hajji des valeurs de solidarité. « J'ai conscience que de nombreuses familles confrontées à l'autisme n'ont pas vraiment la possibilité d'y faire face », souligne-t-il. Le courage et la détermination de ses parents leur a permis de tisser des contacts, et de mener à bien des actions afin de trouver des financements pour que les enfants autistes puissent intégrer des centres spécialisés.

Ils font partie des acteurs qui ont fait avancer la prise en charge des autistes dans leur pays. C'est, pour eux, le combat d'une vie : leur fille n'avait que 3 ans en 1994 lorsqu'ils ont rejoint l'APAEP, qu'ils ont toujours soutenue. Après ses années parisiennes, la sœur de Johan, de retour à Rabat en 2006, a d'ailleurs intégré de nouveau l'association.

Aujourd'hui encore, la famille Hajji continue à visiter régulièrement des centres en France - principalement à Aix-en-Provence - afin de s'inspirer de leurs méthodes innovantes. En effet, les spécialistes français n'hésitent plus à remettre en cause les vieilles idées reçues pour les remplacer par des méthodologies qui fonctionnent vraiment. Ainsi, tout est fait pour donner aux enfants autistes davantage de chances de s'en sortir et de mieux vivre leur handicap au quotidien.

L'APAEP : au service des autistes et de leurs familles depuis plus de vingt ans

Grâce aux efforts des familles et à leur soutien, grâce aux échanges avec les centres français, les structures pour autistes de l'APAEP perdurent, continuant à promouvoir la reconnaissance et les droits des personnes autistes. Depuis le début, elles offrent aux jeunes autistes un espace de suivi médical et éducatif. Elles préparent aussi leur insertion sociale dans leur future vie d'adulte.

Le centre La Passerelle 1 accueille les jeunes enfants à partir de 3 ans. La structure, qui a débuté son activité en 1995 avec cinq enfants hébergés dans un appartement, a déménagé deux ans plus tard dans une villa, doublant sa capacité d'accueil. En 2006, S. M. le roi Mohammed VI a été à l'origine de sa domiciliation au Centre national Mohammed-VI des Handicapés (avec une capacité d'accueil de 30 jeunes). En 2011, il inaugurait La Passerelle 2, mise en place par la Fondation Mohammed-V pour la Solidarité, avec l'appui de la préfecture. Cette structure accueille les jeunes autistes entre 15 et 24 ans.

En parallèle à ces deux centres d'accueil, l'association organise périodiquement des conférences pour les professionnels afin de sensibiliser les universités, les hôpitaux et les spécialistes aux nouvelles méthodes liées au traitement de l'autisme. Des projets de nouveaux sites d'accueil et de prise en charge des autistes adultes sont à l'étude.

Un nouveau challenge : prendre en charge les autistes adultes

Beaucoup de progrès ont été réalisés ces dernières décennies dans la prise en charge des autistes enfants et jeunes adultes. Mais leur nombre ne cesse d'augmenter dans le monde, quels que soient les catégories de populations ou les pays concernés. Cette prise en charge très coûteuse rend difficile la réponse à une si forte demande. Ces dernières années ont vu naître, en France et ailleurs, nombre de nouvelles structures pour prendre en charge les enfants et les jeunes adultes autistes. Des programmes visant à former les professionnels et à sensibiliser les parents ont été élaborés. Mais il reste certainement beaucoup à faire pour répondre à la demande.

En France, un accueil est possible dans différents types d'établissements, en fonction de l'âge et du degré d'autonomie de la personne autiste. L'autisme ne guérit pas avec le temps, et sa prise en charge chez l'adulte est encore plus problématique. Le défi actuel que s'est lancé la famille Hajji est de contribuer à la création d'un lieu de vie pour autistes adultes, en parallèle avec ses activités entrepreneuriales.

Le projet porté par quelques familles est de créer un lieu de vie modèle dans un cadre associatif. Ce modèle, à l'image des centres La Passerelle, pourrait être imité par d'autres associations ou fondations. Ce projet en est encore au stade de la réflexion et de la recherche de soutiens institutionnels ou individuels, à l'échelle nationale aussi bien qu'internationale.

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L'autisme en quelques mots

L'autisme et les troubles du neuro-développement (TND) apparaissent dès l'enfance. Ils se caractérisent par une perturbation du développement cognitif et/ou affectif avec un fort retentissement sur le fonctionnement adaptatif, scolaire, social et familial. Il existe plusieurs formes d'autisme, qui se manifestent de façon différente selon les personnes atteintes. Chaque autiste peut se situer à des degrés divers dans le spectre de l'autisme, selon la fréquence et l'intensité de ses particularités.

Les signes les plus caractéristiques sont : une altération des interactions sociales, des troubles du langage, de la communication et du comportement causés par un fonctionnement perceptif et sensoriel particulier. Les parents évoquent souvent des signes caractéristiques de l'autisme comme : le regard fuyant des enfants ou une absence de réactions lors de sollicitations, un retard du langage ou de la marche. Les enfants développant ces troubles du spectre autistique (TSA) ont aussi des comportements répétitifs, une certaine rigidité mentale, une hyper ou hypo-sensibilité sensorielle (relative au toucher, à la lumière, aux couleurs, aux sons...). Il est souvent compliqué pour une personne autiste d'activer plusieurs sens à la fois.

* APAEP : Association des parents et des amis des enfants de la Passerelle.

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Commentaires 2
à écrit le 05/11/2020 à 13:14
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Il me semble exagéré de prétendre que l'autisme ne puisse se guérir. Car il peut déjà s'améliorer de beaucoup si l'enfant est calme au Soleil, qu'il bouge beaucoup en respirant profondément dès qu'il le peut (une thérapie peut être les chatouilles, b...

à écrit le 05/11/2020 à 12:52
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Avec l'enfant autiste léger de ma soeur, né à Salé au Maroc, mais conçu sur un chantier de barrage à Ouarzazte (sur l'oued Draa), où ma soeur n'avait aucune occasion de bouger, de faire du sport, j'en suis venu à conclure, d'après les remarques d'une...

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