Montebourg : « dans les télécoms, l’Etat c’est moi ! »

Par Delphine Cuny  |   |  827  mots
« Ce ne sont pas aux autorités indépendantes de dire ce qui est bon dans le secteur des télécoms » a déclaré Arnaud Montebourg en annonçant un réduction des pouvoirs de l'Arcep.
Le ministre du Redressement productif a prévenu qu’il allait réduire les pouvoirs du régulateur des télécoms, l’Arcep. Arnaud Montebourg s’est aussi déclaré favorable aux ententes, contre les excès de la concurrence. Florilège d’un discours choc.

Coutumier des « coups de gueule », comme il le dit lui-même, Arnaud Montebourg a encore effectué une sortie très remarquée vendredi soir lors de la cérémonie des vœux de la Fédération française des télécoms (FFT). Il ne s'en est pas pris directement à Free, son habituelle bête noire, dont les dirigeants étaient absents (Free n'est pas membre de la FFT), même s'il les a enjoint de négocier au plus vite la fin du contrat d'itinérance avec Orange. Le ministre du Redressement productif a concentré ses attaques, violentes, sur les excès de la concurrence et les régulateurs concernés, le gendarme des télécoms, l'Arcep, et l'Autorité de la concurrence.

« Remettre à sa place » le gendarme des télécoms

Evoquant la nécessite de procéder au bon « ordonnancement du secteur », récusant le terme de « régulation que je goûte peu », Arnaud Montebourg a déclaré que « ce ne sont pas aux autorités indépendantes de dire ce qui est bon dans le secteur des télécoms », mais à l'Etat, du fait de sa « légitimité démocratique. » Le ministre a prévenu que « pour cette raison, le gouvernement entend réformer l'Arcep, réduire ses pouvoirs, la remettre à sa place. » Absent, le président de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani, dont le mandat expire dans un an, a dû apprécier.

Quelques jours plus tôt, la ministre déléguée à l'Economie numérique, Fleur Pellerin, avait déclaré au contraire lors des vœux de l'Arcep qu'une loi allait prochainement renforcer le pouvoir de sanction du gendarme, notamment la possibilité de mettre en demeure et de sanctionner par anticipation le non-respect des obligations de couverture des opérateurs. Fleur Pellerin avait toutefois évoqué aussi le retour de « l'Etat stratège » qui interviendrait dans la préparation des appels d'offres sur les fréquences, qui comporteront à l'avenir des obligations en matière d'emploi et d'investissement. L'ex-ministre Eric Besson du gouvernement Fillon avait également voulu « remettre au pas » l'Arcep en 2011 et lui imposer un commissaire du gouvernement mais avait essuyé une levée de boucliers, jusqu'à la Commission européenne qui avait soutenu la nécessité de son indépendance, conformément au cadre réglementaire.

« Les ententes sont nécessaires, moi je les organise ! »

Autre autorité dans le viseur d'Arnaud Montebourg : celle de la concurrence. S'indignant que la politique industrielle ait été longtemps considérée comme « un gros mot » en Europe, le ministre du Redressement productif a fait valoir que « ce n'est pas une politique, la concurrence, c'est même l'absence de politique. Nous avons décidé de mettre fin aux excès dangereux de cette politique. Nous pensons qu'il est nécessaire qu'il y ait un certain nombre d'ententes, pas dans le sens condamnable du terme mais dans le sens utile » a-t-il expliqué.

Et le ministre de raconter « quand je reçois l'Autorité de la Concurrence, je lui dis : vous êtes contre les ententes. Moi, je les organise ! Qui a raison ? Vous êtes nommé, je suis élu, donc c'est forcément moi ! » Hilarité générale dans la salle, où l'Autorité de la concurrence, qui avait condamné Orange, SFR et Bouygues Telecom à une amende record de plusieurs centaines de millions d'euros pour entente en 2005, n'a pas très bonne presse. Depuis peu, le gouvernement ne semble plus farouchement opposé aux rapprochements dans le secteur, tels que l'accord de mutualisation des réseaux mobiles officialisé par SFR et Bouygues Telecom vendredi, salué par le ministre. « J'ai apprécié que l'Allemagne décide de passer à une configuration à trois de son réseau » a-t-il ajouté, alors que les rumeurs de rachat se multiplient.

« Nous sommes tous des Gandhi de l'Internet »

Arnaud Montebourg s'et également plu à reprendre le discours des opérateurs qui se plaignent de la toute-puissance des Google, Apple, Facebook, Amazon, les « GAFA » quasi monopolistiques dans leur activité et champions de l'optimisation fiscale. Il a fustigé « ces géants de l'Internet qui ne contribuent nullement à l'investissement » dans les réseaux. « Pendant que les Gulliver de l'Internet s'installent dans nos chambres à coucher, nos Lilliputiens se disputent sur la place publique » a-t-il lancé, en référence aux amabilités échangées par voie de presse entre les patrons d'Orange, de Bouygues et de Free. Faisant un parallèle avec la révolte des Indiens contre les colons britanniques, le ministre du Redressement productif s'est écrié : « nous sommes tous des Gandhi de l'Internet ! » Affirmant que la France devait garder et exploiter ses données, son « or numérique », il a plaidé que « nous n'avons pas vocation à devenir une colonie numérique des géants de l'Internet. » Un discours anti-GAFA très apprécié par l'assistance. Il reste à voir si François Hollande adoptera le même ton offensif lors de son déplacement dans la Silicon Valley le 12 février prochain.

>> Voir la vidéo du discours d'Arnaud Montebourg