Bras de fer autour du gendarme français des télécoms, l'Arcep

Le projet du gouvernement de nommer un commissaire au sein de l'Arcep, l'autorité de régulation des télécommunications en France, fait des vagues. Jusqu'à Bruxelles qui veut se pencher sur le dossier. Le ministre de tutelle Eric Besson riposte.
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Le projet du gouvernement de nommer un commissaire auprès du gendarme des télécoms, l'Arcep, pour « faire connaître l'analyse du gouvernement », suscite la polémique jusqu'à Bruxelles. L'amendement devait toutefois être adopté jeudi tard dans la soirée à l'Assemblée nationale, avant de passer devant le Sénat en février. La députée européenne (PS) Catherine Trautmann a dénoncé l'ingérence du gouvernement, et s'est indignée de ce qu'elle considère « comme une remise en cause inacceptable de l'indépendance de l'Autorité ».
Dans l'après-midi, un porte-parole de la Commission européenne elle-même a indiqué à l'AFP que Bruxelles allait « vérifier de très près la conformité de ce projet avec la réglementation européenne. L'Arcep doit pouvoir exercer ses pouvoirs et s'acquitter de ses responsabilités de façon indépendante et impartiale », comme il est stipulé dans le nouveau cadre réglementaire européen des télécoms que le gouvernement s'apprête justement à transposer en droit français.
À Paris, le président de l'association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir, Alain Bazot, est monté au créneau sur son blog pour dénoncer « l'entrisme gouvernemental à l'Arcep » et le risque de « conflit d'intérêt », l'État étant actionnaire majoritaire de France Télécom. Visiblement agacé, le ministre de l'Industrie et de l'Économie numérique, qui est à l'origine du projet, s'est fendu d'un communiqué sur le sujet en soirée. « Parler de conflit d'intérêt est un contresens. L'Arcep doit rester et restera indépendante. Le commissaire du gouvernement présentera la position du gouvernement mais ne participera pas au vote », a plaidé Éric Besson, soulignant que les commissaires présents à l'Autorité de la Concurrence ou à celle des Marchés financiers n'ont jamais soulevé de question de conflit d'intérêt.
Voici le détail de ce communiqué :
"Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes : Eric BESSON rappelle un certain nombre de faits.
En réponse à certaines affirmations reprises dans la presse, Eric BESSON, Ministre chargé de l'Industrie, de l'Energie et de l'Economique Numérique, rappelle un certain nombre de faits. La loi confère au Gouvernement et à l'ARCEP des pouvoirs réglementaires étroitement imbriqués. La loi rend ainsi indispensable un dialogue étroit entre le Gouvernement et l'ARCEP. Les enjeux actuels du développement de l'économie numérique appellent précisément un renforcement de ce dialogue :
- Concernant les fréquences, l'ARCEP propose les conditions d'attribution, tandis que le ministre chargé des communications électroniques fixe, sur proposition de l'ARCEP, et par arrêté, ces conditions et la durée de la procédure d'attribution. En cas d'enchères, le Gouvernement fixe le prix de réserve. Une fois la procédure lancée, l'ARCEP conduit la procédure de sélection et assigne les fréquences correspondantes.
- Concernant le déploiement du très haut-débit fixe, c'est-à-dire de la fibre optique, l'ARCEP définit les conditions techniques et tarifaires pour les déploiements de fibre optique dans les immeubles anciens. Le Gouvernement définit les conditions techniques et tarifaires pour les déploiements de fibre optique dans les immeubles neufs. Un décret et un arrêté seront ainsi adoptés au cours du 1er trimestre 2011. Le Gouvernement va aussi consacrer 1,75 milliards d'euros, dans le cadre des investissements d'avenir, au déploiement de la fibre optique dans les zones les moins denses du territoire. Le Gouvernement conditionne cette aide à certaines conditions techniques, qui doivent être cohérentes avec des conditions imposées par l'ARCEP.
- Concernant la protection du consommateur, l'ARCEP a consulté les opérateurs puis publié 30 projets de mesures (« Trente propositions afin d'améliorer les offres faites aux consommateurs de services de communications électroniques et postales ») en faveur des consommateurs, dont une partie très importante relève de la loi ou du pouvoir réglementaire du Gouvernement : conditions de résiliation des abonnements, déverrouillage des téléphones mobiles, etc.

La fonction d'un Commissaire au Gouvernement est de renforcer ce dialogue en présentant le point de vue du Gouvernement sur les dossiers concernant l'exercice du pouvoir réglementaire de l'ARCEP, sans voix délibérative.

La présence d'un Commissaire du Gouvernement, chargé de présenter le point de vue du Gouvernement, ne constitue en aucun cas une remise en cause de l'indépendance de l'Autorité. La plupart des grandes autorités administratives indépendantes dotées d'un pouvoir réglementaire dans la sphère économique disposent d'un Commissaire du Gouvernement, sans que leur indépendance ne soit contestée, qu'il s'agisse de l'Autorité de la Concurrence, de l'Autorité des Marchés financiers ou de l'Autorité de Contrôle Prudentiel.

La présence d'un Commissaire du Gouvernement auprès des autorités administratives indépendantes chargées d'un pouvoir réglementaire a été demandée par de multiples rapports du Parlement et du Conseil d'Etat :
- Le rapport de l'Office Parlementaire d'Evaluation de la Législation, présenté en 2006 par le Sénateur Patrice GELARD, propose d'« assurer la présence d'un commissaire du Gouvernement auprès de l'ensemble des autorités administratives indépendantes dotées d'un pouvoir réglementaire ».
- Le rapport d'information relatif aux autorités administratives indépendantes du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, présenté par les députés Christian VANNESTE et René DOSIERE en octobre 2010, conclut que « la présence d'un commissaire du Gouvernement auprès de chaque AAI serait le garant de la cohérence de l'action publique ». Les rapporteurs proposent de « généraliser, sauf exception justifiée, la présence d'un commissaire du Gouvernement dans chaque AAI afin que, dans le respect de son indépendance, le Gouvernement soit informé de toutes ses décisions et puisse faire entendre son point de vue. »
- L'étude du Conseil d'État de 2001 sur les autorités administratives indépendantes préconisait déjà une « présence mieux organisée du Gouvernement auprès des AAI » et un « suivi plus développé de leur activité ».


« Parler de conflit d'intérêt est un contresens. L'ARCEP doit rester et restera indépendante, en stricte conformité avec les textes européens et nationaux en vigueur. Le Commissaire du Gouvernement n'aura pas voix délibérative. Il présentera la position du Gouvernement, mais ne participera pas au vote. Personne ne parle de conflit d'intérêt pour le Commissaire du Gouvernement auprès de l'AMF, de l'Autorité de Contrôle Prudentiel ou de l'Autorité de la Concurrence.» a conclu Eric BESSON."
« Velléités consuméristes »
Pour autant, l'entourage d'Éric Besson ne cache pas sa vision plus musclée des relations entre l'Arcep et son ministre de tutelle : « L'Arcep appartient à l'État. C'est bien l'État qui est responsable des décisions de l'Arcep, de leurs conséquences, et qui assume financièrement les éventuelles condamnations. » Or les opérateurs télécoms se sont plaints auprès du ministre des « velléités consuméristes » de l'Arcep, un champ qu'ils ne considèrent pas de sa compétence. Les dirigeants des puissants acteurs du secteur ne cachaient pas leur amusement et leur soulagement à l'annonce de ce projet mercredi soir, lors des voeux de l'Arcep. « Cela remet l'église au milieu du village », se réjouit ainsi le patron d'un opérateur.
L'éditorial sur cette affaire de Jean-Baptiste Jacquin, rédacteur en chef de La Tribune :

Dès mercredi, La Tribune expliquait ce bras de fer dans l'article ci-dessous :
L'indépendance de votre autorité ne doit jamais exclure le dialogue », a lancé Éric Besson mercredi soir lors de la présentation des voeux de l'Arcep, le gendarme des télécoms, aux acteurs du secteur. Le ministre de l'Industrie et de l'Économie numérique s'est défendu de vouloir instituer « une mise sous tutelle ou une remise en cause de l'indépendance » de l'Autorité. Pourtant, le projet d'imposer « un commissaire du gouvernement » auprès de l'Arcep est exactement perçu comme tel au sein de cette autorité administrative indépendante, qui n'en a été formellement avertie que mercredi matin.
Punition après les tensions
La veille, le gouvernement avait déposé un amendement d'une dizaine de lignes décrivant la mission de ce « commissaire » qui devra « faire connaître les analyses du gouvernement » et pourra exiger d'inscrire les sujets de son choix à l'ordre du jour.
Cet amendement sera examiné dès ce jeudi à l'Assemblée nationale et sans doute adopté, avant de passer devant le Sénat en février. L'Arcep craint donc l'arrivée d'un agent de la DGCIS, la direction générale de l'Industrie qui dépend de Bercy, début mars. « C'est une façon de nous mettre au pas », analyse un haut fonctionnaire, qui évoque « les conséquences de plusieurs mois de tensions avec les ministères de l'Industrie et de la Consommation. » Des opérateurs télécoms avaient mis en garde leur régulateur du fait que le gouvernement n'avait pas apprécié certaines prises de position sur le déploiement de la fibre optique, sur la défense des consommateurs ou sur les fréquences mobiles. « Cela sera clairement favorable à France Télécome;lécom », s'inquiète un opérateur alternatif. Certains s'alarment du risque de pressions sur les membres de l'Arcep et de fuites d'informations sensibles dont pourrait bénéficier l'opérateur historique, encore contrôlé à 26,9 % par l'État, notamment sur des cas de règlements de différends, sur la baisse des terminaisons d'appel mobile, etc.
Inflation réglementaire
D'ailleurs, Éric Besson a invoqué mercredi soir la nécessité d'une « étroite coordination entre les pouvoirs de l'Autorité et ceux du gouvernement » afin d'agir « au service de l'intérêt général et de la cohérence de l'action de l'État. » Un fin connaisseur du secteur décrypte : « le ministre tient à une politique industrielle volontariste, à la défense des champions nationaux. » Il était contre l'attribution de la quatrième licence mobile à un nouvel entrant : « Free n'aurait pas obtenu la licence avec un commissaire gouvernemental à l'Arcep », estiment de nombreux observateurs.
Le ministre s'est dressé en porte-parole des acteurs régulés mercredi soir en pointant « l'inflation réglementaire » subie par les opérateurs qui font aussi face « au ralentissement de leurs revenus ». L'Arcep se sent d'autant plus dans le viseur du gouvernement que son homologue de l'audiovisuel, le CSA, ne se voit pas imposer de commissaire, alors que le rapport Dosière-Vanneste, cité dans l'amendement, préconise la généralisation de ce dernier à toutes les Autorités administratives indépendantes. Le régulateur français des télécoms deviendrait le seul des 27 pays de l'Union à compter un commissaire « politique ». Ironie de l'affaire, le gouvernement veut faire voter cet article dans le texte transposant deux directives européennes qui garantissent l'indépendance des régulateurs nationaux des télécoms qui « ne sollicitent ni n'acceptent d'instruction d'aucun autre organe ».

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Commentaire 1
à écrit le 27/12/2012 à 17:11
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Il y a un mois et demi que j'ai déménagé, dans le même immeuble sur le même palier. Je n'ai toujours ni téléphone fixe ni internet, la guerre qui oppose les différentes compagnies de téléphone prend le citoyen comme otage, j'ai du passer en gros au ...

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