« Lever 100 millions pour une startup française n’est plus un problème »

Par Delphine Cuny  |   |  1094  mots
Paul-François Fournier, directeur exécutif en charge de l'innovation chez Bpifrance.
BlaBlaCar, Sarenza, DBV : les exemples de tours de table significatifs se multiplient, relève le directeur exécutif de l’innovation de Bpifrance, Paul-François Fournier. La banque publique d’investissement lancera en mars Le Hub, qui se veut « le Meetic des startups et ETI françaises. » Entretien.

Les startups françaises sont-elles condamnées à se faire racheter par un géant américain, faute de financement ? L'année 2014 a montré que ce mal chronique français est peut-être en passe d'être résolu, comme l'analyse Paul-François Fournier, le directeur exécutif de l'innovation chez Bpifrance. Si le tour de table record de BlaBlaCar l'été dernier, 100 millions de dollars auprès des fonds Index Ventures, Accel Partners, Isai et Lead Edge Capital, a fait la une des journaux, il ne constitue pas pour autant un cas isolé.

« Lever 100 millions d'euros en France pour une startup française n'est plus un problème. Regardez BlaBlaCar, mais aussi Sarenza, qui a levé 74 millions d'euros, ou OVH [267 millions d'euros en crédit bancaire et dette obligataire], ou encore la biotech DBV Technologies qui a levé 100 millions sur le Nasdaq et est valorisée près d'un milliard », souligne Paul-François Fournier.

Toutefois, Stéphane Treppoz, le président du directoire de l'e-commerçant spécialisé dans les chaussures Sarenza, confiait en décembre dernier avoir « galéré, rencontré 150 fonds qui ont tous dit non », avant de parvenir à boucler cette quatrième levée de fonds en juin, auprès de la BPI, HLD et des investisseurs privés, dont la famille Philippe Foriel-Destezet (fondateur d'Ecco, devenu, Adecco).

La cotation au Nasdaq devient un standard

D'autres levées similaires devraient suivre très bientôt : la toulousaine Sigfox (réseau bas débit) est en train de boucler un tour de table de ce montant et une autre biotech, Cellectis, doit entrer au Nasdaq en février, « je parie qu'elle lèvera autant », avance Paul-François Fournier.

« Se coter au Nasdaq devient un standard en France alors que Criteo en 2013 était la première entreprise française à s'y introduire depuis Business Objects vingt ans plus tôt ! » relève-t-il.

Si le ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron, rêve d'un Nasdaq européen, une cotation à New York sur le marché des valeurs technologiques donne une visibilité exceptionnelle aux startups, accroît leur crédibilité aux yeux des investisseurs et des clients du vaste marché américain. Elle demeure la voie royale pour les entreprises du numérique, mais elle n'est plus la seule option pour les petites sociétés françaises, comme l'ont montré les introductions d'Awox, Ateme, Genticel, Genomic Vision, Viadeo, SuperSonic, etc.

Changement d'échelle de l'écosystème

Quant aux startups plus mûres, en pleine phase d'expansion internationale, le fait d'être françaises ne semble plus un handicap.

« Une dynamique prend forme sur le financement. On ne peut plus dire qu'on ne peut pas lever de gros tickets en France, qu'il n'est plus possible de grandir. L'écosystème de startups français est clairement en train de changer de taille, d'échelle. Notre enjeu en 2015 sera d'accompagner cette transformation », explique le directeur exécutif de l'innovation chez Bpifrance.

Il observe cependant une incongruité : « nous avons le deuxième écosystème en capital-risque en Europe mais nous sommes les quatrièmes en M&A », en termes de fusions et acquisitions, en valeur.

« Il faut développer la culture du « build-up », de la croissance externe. Entrepreneurs et investisseurs doivent accepter que toutes les startups n'arriveront pas à devenir des Criteo ou des BlaBlaCar. Se revendre à un grand groupe, cela fait souvent partie du parcours d'une success story », comme en attestent les nombreux exemples d'entrepreneurs en série.

« Criteo est d'ailleurs issu de la fusion de deux petites sociétés », rappelle Paul-François Fournier. « La pire des situations est celle d'une entreprise qui ne parvient pas à se développer. Il vaut mieux qu'elle fasse partie d'un grand groupe ou d'une startup plus grosse qu'elle. »

Développer la culture du « build-up » en France

La banque publique d'investissement encourage les grosses startups comme Criteo à jouer leur rôle de consolidateur dans leur filière mais aussi « les ETI et grands groupes français, qui doivent participer à ce mouvement. Les meilleurs du monde en innovation, Google, Facebook, qui ont pourtant les meilleurs ingénieurs, ont une vraie stratégie de « buildup. » Il ne faut pas avoir peur des grands groupes internationaux qui rachètent des startups françaises, mais il est souhaitable qu'il y ait des alternatives. »

Dans son rapport sur la transformation numérique de l'économie française remis au gouvernement en novembre, Philippe Lemoine avait regretté que les grands groupes hexagonaux ne fassent pas davantage d'acquisitions et que, par exemple, « dans la restauration et la cuisine, point fort de la France, il existait un intermédiaire dynamique, LaFourchette : il vient d'être racheté par TripAdvisor sans que quiconque ne s'en émeuve. »

Interrogé à la conférence LeWeb sur l'affaire Dailymotion et le veto d'Arnaud Montebourg au rachat de la startup par Yahoo, Emmanuel Macron s'était démarqué de son prédécesseur, affirmant vouloir rompre avec cette « tradition d'interventionnisme » tout en invitant les grands groupes français à racheter de jeunes pousses françaises : « il n'y a pas de raison que seules les entreprises américaines rachètent nos startups. »

Créer « le Meetic des startups et ETI »

Afin de favoriser ces mariages, Bpifrance va lance en mars « Le Hub », qui proposera un service de mise en relation des grands groupes avec les startups. « Nous voulons faire le Meetic de ces deux mondes, avec Le Hub, parce que nous connaissons toutes les ETI et que nous sommes en contact permanent avec les startups », explique Paul-François Fournier. Bpifrance hébergera même à partir d'avril dix startups BtoB ou BtoC, au stade du développement commercial et ayant déjà réalisé une première levée de fonds, dans ses locaux parisiens du Boulevard Haussmann, dans un espace de 1.000 m2, moyennant 400 euros par mois par personne (l'appel à candidatures sera clos le 20 février).

Une philosophie proche de celle du Partech Shaker, un campus dédié à l'innovation au centre de Paris, inauguré en décembre par le fonds de capital-risque Partech, qui héberge des startups et s'appuie sur quelques grands groupes. Mais aussi du programme Innov & Connect de BNP Paribas qui propose aussi de faire se rencontrer des « couples » d'ETI et de startups.

« Tout le monde s'y met et tant mieux ! Nous ne faisons pas cela seuls mais nous apportons une vision exhaustive grâce à notre maillage de tout l'écosystème, y compris dans les métropoles French Tech. Nous travaillons avec les banques et nous jouons notre rôle de locomotive de place », fait valoir le dirigeant de Bpifrance.