La "République Samsung" : du négoce de poisson séché au règne sur la Corée

L'entreprise, qui a débuté en négociant du poisson séché, exerce aujourd'hui une influence économique et politique colossale.
La Tribune Infographie/BHEDOUIN

Consécration ultime pour le géant sud-coréen de l'électronique, Samsung est devenu au troisième trimestre le premier fabricant au monde de smartphones, battant le californien Apple. Un succès de plus, accueilli avec fierté dans une Corée du Sud toujours assoiffée de reconnaissance internationale : les réussites spectaculaires de Samsung sont indissociables de celles de son pays d'origine, aujourd'hui quatrième économie asiatique.

La première entreprise d'électronique au monde par le chiffre d'affaires (97 milliards d'euros en 2010) n'est que la partie la plus visible d'un mastodonte, qui emploie 193.000 salariés en Corée du Sud. Bateaux, pétrochimie, banque, assurance, armement, construction, hôtellerie, agroalimentaire, distribution : son chiffre d'affaires global (166 milliards d'euros en 2010) équivaut à plus d'un cinquième du PIB du pays et Samsung représente 13 % des exportations sud-coréennes.

Le PDG, Lee Kun-hee (voir encadré), règne sur son empire à partir du « Bureau des futures stratégies », la tour de contrôle du conglomérat. Sa famille détient environ 4 % du capital, ce qui lui suffit pour garder le contrôle des 83 filiales, à travers un jeu complexe de participations croisées.

Son père, Lee Byung-chull, a fondé Samsung - « trois étoiles » en coréen - en 1938. L'entreprise familiale fait alors commerce de poisson séché. Elle se diversifie rapidement dans la production de sucre et de textile. En 1961, le général Park Chung-hee, arrivé au pouvoir à la faveur d'un coup d'État, décide de s'appuyer sur une dizaine d'entreprises, dont Samsung, pour sortir son pays de la misère. Objectif : faire de la Corée « une immense usine qui importerait des matières premières et des technologies, et exporterait des produits finis », selon les mots de l'historien Andreï Lankov.

Vitesse d'exécution

Soutenus par un gouvernement qui facilite l'accès aux financements et protège le marché intérieur, les « chaebols » commencent à inonder la planète de produits bas de gamme et bon marché. Samsung est à la fois un acteur majeur et l'un des principaux bénéficiaires de cette stratégie industrielle qui se révèlera payante : la Corée du Sud se développe au pas de course.

Établie en 1969, la division électronique de Samsung produit des télévisions noir et blanc, une technologie déjà dépassée à l'époque. Mais elle apprend vite. Dans les années 1990, elle investit massivement dans les semi-conducteurs. Or, « la force de Samsung réside dans sa vitesse extraordinaire d'exécution », explique Chang Sea-jin, auteur du livre « Sony vs Samsung ». Pour aller plus vite que ses concurrents, le chaebol exige de ses employés un dévouement hors norme. « Les ingénieurs de Samsung vivaient dans des baraquements pendant la construction de leur usine et ne retournaient chez eux qu'une fois par semaine, pour changer de vêtements », raconte Chang Sea-jin.

« Samsung s'est montré prêt à faire des paris monumentaux et à investir énormément d'argent, souligne aussi Tony Michell, consultant à Séoul, et auteur d'un ouvrage sur Samsung Electronics. Il a ensuite appliqué la même stratégie dans les télévisions, les micro-processeurs et les téléphones. » Fabricant de composants (16 % d'un iPhone est made in Samsung), le conglomérat gagne sur les deux tableaux, en vendant aussi ses propres produits grand public.

L'influence économique et politique de la première entreprise de Corée est telle que les Sud-Coréens surnomment leur pays « la République Samsung ». Quand son PDG est condamné à trois ans de prison avec sursis pour évasion fiscale en avril 2008, il est grâcié l'année suivante par le président de la République en personne. Samsung est le premier annonceur de Corée du Sud (300 millions d'euros de budget au premier semestre 2011, rien que pour l'électronique), ce qui lui assure la bienveillance des médias. Les journalistes qui se consacrent exclusivement aux sujets Samsung se voient offrir des bureaux permanents dans ses locaux.

Pression sur les salariés

Le groupe a même réussi à empêcher la création de syndicats au sein de ses filiales. Si tous les chaebols sont connus pour la pression qu'ils exercent sur leurs employés, le cas de Samsung est notoire : « 30 % des nouveaux employés démissionnent au bout de trois ans. Physiquement, ils ne résistent pas. Seuls ceux qui peuvent s'adapter à la culture de Samsung y parviennent », précise Chang Sea-jin. En janvier 2010, un vice-président du groupe se suicide en sautant du balcon de son appartement.

Cette pression phénoménale s'exerce aussi sur les sous-traitants. « Le plus difficile avec Samsung, ce sont les délais exigés. Il n'y a pas de court terme : c'est toujours de l'urgence », témoigne ainsi Philippe Tour, PDG d'Arkamys, une PME française qui offre des solutions d'optimisation du son. Fournisseur pour la tablette Galaxy Tab, Arkamys a dû adapter son organisation interne en conséquence. Philippe Tour reconnaît avoir gagné en « agilité et en réactivité ».

Les jeunes diplômés sud-coréens, quant à eux, continuent de se bousculer aux portes de Samsung, attirés par les salaires élevés et le prestige intact de l'entreprise. Mais pour combien de temps ? « Samsung ne va pas pouvoir imposer indéfiniment cette éthique du travail de dinosaure », tempère Tony Michell. « Surtout si il veut attirer des diplômés ouverts d'esprit, intelligents et créatifs. »

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