En Marche, le parti startup, mise sur la tech pour remobiliser ses adhérents

Alors que le parti peine à maintenir sa dynamique des élections et se voit reprocher son manque de démocratie interne, une petite équipe de geeks, depuis le QG parisien, tente de créer des outils pour réinventer sur le terrain le lien entre le parti et sa base. Prémices du renouvellement attendu des pratiques, ou simple coup d'épée dans l'eau ?
Sylvain Rolland
Réfléchir, expérimenter de nouvelles formes de démocratie ouverte pour réinventer le lien entre le parti et sa base, c'est justement la mission d'un petit groupe de geeks, qui travaille en toute discrétion au siège d'En Marche, à Paris.

Comment faire vivre un mouvement politique et mobiliser ses militants en dehors de l'euphorie des périodes électorales ? Tous les partis de gouvernement ont connu les lendemains de victoire qui déchantent. En Marche, qui voulait rompre avec les schémas traditionnels, ne fait pas exception. Depuis la rentrée de septembre, le "mouvement" créé par Emmanuel Macron pour l'aider à conquérir l'Élysée, vit sa première crise interne.

En Marche face aux difficultés d'innover en politique

Comités locaux désertés, adhérents démotivés voire en plein doute sur leur engagement... Plus les mois passent, plus le parti semble se couper de sa base, comme le prouve le faible succès d'une consultation interne sur le logement en septembre, qui n'a recueilli que 20.000 réponses alors qu'En Marche revendique 388.000 adhérents. Pire : à la veille du congrès qui a couronné samedi dernier Christophe Castaner, seul candidat en lice adoubé par Emmanuel Macron, 100 "marcheurs" de toute la France, qu'il s'agisse d'élus, d'animateurs de comités locaux ou de simples adhérents, ont claqué la porte à grand bruit.

Ce geste spectaculaire, très symbolique, a mis en lumière le double discours d'un parti  créé en avril 2016 sur la promesse de réinventer l'exercice de la politique, mais qui fonctionnerait en réalité comme une forteresse verrouillée par le haut, au mépris de la liberté d'expression et d'action de la base. Des pratiques que les démissionnaires estiment "issues de l'Ancien monde". De nombreux témoignages de militants et de cadres, éparpillés dans les médias, ont confirmé le blues des "marcheurs" et la difficulté pour le mouvement d'Emmanuel Macron de s'affranchir d'une organisation pyramidale, voire inféodée... typique d'un parti politique traditionnel.

Une cellule de geeks pour réinventer le lien entre le parti et la base

En Marche a-t-il trahi le contrat moral écrit noir sur blanc dans son manifeste, à savoir que "les Français doivent être le coeur de la vie politique, et non son décor" ? Pas si vite, estime Guillaume Kasbarian, député macroniste d'Eure-et-Loir:

"On ne peut pas nier qu'En Marche vit une période de flottement post-élection, mais 100 départs sur 388.000 adhérents, c'est loin d'être une hémorragie. Par contre, nous sommes face à un vrai défi, qui est de trouver comment embarquer les citoyens tout le temps, y compris hors des périodes électorales", admet-il.

Réfléchir, expérimenter de nouvelles formes de démocratie ouverte pour réinventer le lien entre le parti et sa base, c'est justement la mission d'un petit groupe de geeks, qui travaille en toute discrétion au siège du parti, situé dans des locaux modernes, près d'Opéra, à Paris. Personne ne les connaissait, ou presque, avant le week-end dernier, où certaines de leurs initiatives ont été présentées à des cadres du parti.

Ce petit groupe de moins d'une dizaine de personnes, dirigé par Étienne Lacourt, en charge du projet chez En Marche, ambitionne de créer "une nouvelle expérience de militantisme à l'heure des outils numériques". Son credo : le numérique comme vecteur de lien entre les "marcheurs" et le terrain.

Avec l'appui du pôle "tech", composé d'une douzaine de personnes, notamment des développeurs, ces jeunes "marcheurs" enthousiastes apportent à En Marche leur esprit "startup" et les méthodes innovantes qui vont avec, notamment la volonté de ne pas penser le mouvement comme un parti mais comme une plateforme, dont les données serviraient à mieux comprendre les adhérents et à mieux répondre à leurs attentes.

"Cela fait partie de la promesse de faire de la politique autrement", explique Mathieu Bouda, chargé de mission. Cette modernité a séduit Penelope Liot, membre de l'équipe et ancienne de la startup Lima, qui s'engage en politique pour la première fois. La fondatrice du Noël de la French Tech explique :

"En Marche est une méta-plateforme composée de plusieurs sous-plateformes qui s'interconnectent. Il y a une sous-plateforme pour gérer les adhérents, une autre pour les initiatives citoyennes, une autre pour la formation, une plateforme dédiée aux idées.. Tout ceci vit séparément et ensemble."

"Le Bon Coin" de la politique ?

Moocs au sein d'un campus virtuel, réseau social, plateforme d'initiatives citoyennes... La fine équipe développe en parallèle plusieurs outils pour mobiliser les Marcheurs. Mais le but n'est pas de créer un parti virtuel. Au contraire, ils visent à favoriser l'implication sur le terrain. "Le sentiment de ne pas avoir les bons outils, que c'est trop compliqué, empêche beaucoup de citoyens d'agir au niveau local", rappelle Mathieu Bouda. L'équipe revendique ainsi la comparaison avec "Le Bon Coin", le site de petites annonces qui permet de trouver à peu près tout ce qu'on cherche.

Dans le volet formation, le premier "mooc" du parti, intitulé "Agir au niveau local", a été lancé le 20 novembre. Testé avec succès en octobre auprès de 300 adhérents, il s'agit d'un tutoriel concret, divisé en chapitres avec des témoignages, des conseils pratiques et une méthodologie, pour apprendre aux marcheurs à monter un projet, quel qu'il soit, comme créer une liste municipale, monter une association, organiser un événement dans son quartier... Le "Mooc" se maîtrise en cinq semaines. Trois "moocs" sont prévus tous les ans, sur des thèmes différents.

Pénélope Liot, responsable du volet "formation", a aussi développé, avec des experts et le concours d'une startup, des modules de formation, autrement dit du "micro-learning". Le premier, consacré au fonctionnement des finances publiques, aurait déjà été étudié par 25.000 personnes. "Cela permet de comprendre rapidement des concepts un peu obscurs et de pouvoir s'en servir sur le terrain", explique-t-elle. Un autre sur l'Europe est en préparation.

S'implanter dans les départements... en vue des élections municipales de 2020

Pour pousser les "marcheurs" à s'impliquer localement, l'équipe a aussi concocté un réseau social, une sorte de "LinkedIn" où chacun peut poster ses besoins ("je cherche un professeur pour aider sur un projet", "un juriste" "de l'aide pour attirer l'attention d'un élu"...)

Elle lance également une "plateforme de l'engagement citoyen" intitulée "Initiatives citoyennes". Testée dans six départements pilotes (Hérault, Tarn, Charente, Somme, Hauts-de-Seine, Paris 18), elle a pu accompagner 50 projets locaux. Une fois validé par le parti, chaque projet bénéficie d'un appui (via les référents locaux et les outils numériques) pour qu'il puisse se réaliser. Nettoyage des berges de la Seine, mise en place d'un système d'aide aux devoirs, aide pour l'accès aux soins, soutien aux demandeurs d'emploi... Les projets doivent avoir une vocation sociale ou environnementale, s'adresser aux personnes en difficulté. "Les Marcheurs partout en France sont les personnes les mieux placées pour déceler des besoins locaux et y apporter une réponse", estime Mathieu Bouda.

Impossible de ne pas y voir une opération d'implantation locale, surtout de la part d'un parti jeune qui n'a que très peu d'élus et qui a fait des élections municipales de 2020 l'un de ses objectifs du mandat. Mathieu Bouda s'en défend:

"Les projets ne sont pas portés par En marche mais seulement par un Marcheur en tant que citoyen. Le mouvement s'efface derrière l'individu sur le terrain. Les projets sont ouverts à tout le monde et viennent plutôt en complément de l'action associative", affirme-t-il.

Reste à savoir comment les associations vont vivre cette concurrence téléguidée par un parti... En Marche recrute d'ailleurs, pour un test, des postes de "facilitateurs locaux" chargés de faire le lien entre les citoyens et les institutions.

Changement de culture

Encore peu connues à l'intérieur même du parti, ces initiatives inspirées par la philosophie entrepreneuriale réussiront-elles à créer une nouvelle relation entre En Marche et sa base ? Pour Guillaume Kasbarian, l'enjeu principal de la "nouvelle politique" est de réussir à créer en permanence un lien entre le parti, ses adhérents et plus largement les citoyens :

"Le meilleur moyen de lutter contre les extrêmes, c'est de montrer l'impact de l'action publique. Mais certains citoyens n'ont que 5 minutes par semaine à consacrer à la politique. Pour eux, il faut qu'on puisse donner une information simple, pédagogique, avec des formats comme la vidéo ou le tract, sur ce qu'ils ont besoin de savoir, par exemple le récent livret du pouvoir d'achat, ou un calculateur d'impôts sur Internet pour comprendre ce que la loi va changer. Il faut aussi qu'on sache s'adresser à des cibles plus spécifiques, les médecins ou les entrepreneurs par exemple, donc thématiser notre communication"

Pour s'adresser aux citoyens qui veulent s'impliquer dans la vie publique, le député préconise de transformer le parti en "courroie de transmission" entre les citoyens et les élus en testant de nouvelles solutions sur le terrain et en encourageant les élus à solliciter les citoyens en amont de leurs actions, notamment les députés.

Un véritable "changement dans la philosophie de l'action politique" qu'il faut "généraliser", estime le député, qui pense que des outils comme ceux pilotés par les jeunes du mouvement y contribuent, "pas à pas". En fait, En Marche cherche à renouer avec le parti fort, à la fois source d'information et pilier de l'action locale, comme avaient su le faire en leur temps le parti socialiste ou le parti communiste... mais au siècle des nouvelles technologies.

Sylvain Rolland

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Commentaires 10
à écrit le 22/11/2017 à 17:12
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C'est parfait d'exploiter les nouvelles technologies à bon escient, mais il n'est pas certain que cela réponde au fond du problème. Pourquoi les adhérents se sont-ils engagés initialement, quelle était leur motivation? Pour faire élire Macron de ...

à écrit le 22/11/2017 à 11:48
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Tout d’abord en Marche revendique des milliers d’adhérents mais à ce jour les réunions sont plus des chaises vides que des embouteillages à l’entrée des salles. Comme les autres partis En Marche enfume la toile avec le nombre de ses adhérents un enfu...

à écrit le 22/11/2017 à 11:39
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avoir porté un président au pouvoir avec 20 millions de votes et s'apercevoir au bout de quelques seulement que son parti est une coque vide et déconnecté du réel, c'est ennuyeux pour la démocratie. Il ne me semble pas que la stratégie d'entrisme ...

à écrit le 22/11/2017 à 11:17
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Les «  autres » on y a vraiment «  cru » il y avais même la show biz et la musique qui s’harmonisait «  avec »... Dans l’immensite De la «  réalité » avec un recul ... on est horrifié par «  tous les mensonges »... La politique c’est devenu «  ...

à écrit le 22/11/2017 à 10:40
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Pour marcher longtemps, il faut de bonnes chaussures. Les "marcheurs" de Macron n'ont que des godillots, ils ne peuvent aller bien loin. La politique, c'est un course de fonds, pas un sprint...et du "fonds", il n'en n'ont pas. Lrem s'est trompée de c...

à écrit le 22/11/2017 à 10:27
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le dilettantisme d un groupe qui cherche a s exulter sur fond de moralité et probité qui les colle toujours

à écrit le 22/11/2017 à 9:05
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"Un véritable "changement dans la philosophie de l'action politique" " Les militants des partis politiques ont toujours fait office de "courroie de transmission" de propagande hein, entre les partis et les citoyens, lrem une nouvelle fois n'a abs...

le 22/11/2017 à 11:56
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Avant de commenter il est toujours mieux de se renseigner. Vous devriez d'abord aller voir les outils proposés par LREM qui sont effectivement nouveaux. hein. (comme vous dites !) Quant à votre argument sur le retour du débat dans les vieux partis, ...

le 22/11/2017 à 19:28
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"Avant de commenter il est toujours mieux de se renseigner. Vous devriez d'abord aller voir les outils proposés par LREM qui sont effectivement nouveaux. hein. (comme vous dites !)" Je parle du fond et pas de la forme, je le répète le but des mil...

à écrit le 22/11/2017 à 8:42
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Rien de tel que la "tech" pour manipuler les chiffres entre les 400000 adhérents qui ont simplement cliqué gratos et les actifs il y a un monde mais l'important c'est de faire moderne et de faire le buzz. Dans un monde obnubilé par le numérique et le...

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