Dailymotion : Bercy demande à Orange d’étudier une option « européenne »

Par Delphine Cuny  |   |  836  mots
Les enjeux de souveraineté européenne dans le numérique doivent être pris en compte dans le dossier Dailymotion selon Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron a demandé à l’opérateur de ne pas entrer à ce stade en négociations exclusives avec le hong-kongais PCCW pour entrer au capital du site de vidéos. La candidature de Fimalac est poussée par le gouvernement.

Revoilà le « patriotisme économique » ? Deux ans après « l'affaire Yahoo », le veto opposé par Arnaud Montebourg, alors à Bercy, à une entrée au capital de Dailymotion du groupe Internet américain, le site de vidéos détenu par Orange se retrouve à nouveau au cœur d'un débat politique. Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, a demandé à l'opérateur télécoms de « ne pas entrer en négociations exclusives » avec le hong-kongais PCCW, comme l'a révélé Le Monde. Du moins pas à ce stade. Une information confirmée chez Orange et au cabinet du ministre.

« Le ministre a souhaité qu'une fenêtre d'opportunités soit ouverte à d'autres acteurs. On est loin d'une affaire Montebourg » temporise-t-on chez Orange.

«Compte tenu des enjeux de souveraineté européenne dans le numérique, il faut que toutes les options soient regardées. La piste chinoise n'est pas écartée pour autant, ce n'est pas un non ferme » nuance l'entourage du ministre qui assure « rien à voir avec l'affaire Yahoo : le dossier est géré de manière pragmatique, réaliste, les enjeux commerciaux seront aussi pris en compte. »

Présenté comme l'une des rares pépites Internet françaises, Dailymotion est le premier site européen avec 3 milliards de vidéos vues par mois et 110 millions de visiteurs uniques mensuels en 2014, contre plus d'un milliard pour Youtube. L'entreprise a réalisé 70 millions d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier, à 90% à l'international.

Dossier très politique


Pourtant, en décembre dernier, à la conférence LeWeb, Emmanuel Macron avait insisté sur sa volonté de rompre avec cette « tradition d'interventionnisme »

« Notre rôle n'est pas d'intervenir. Nous sommes actionnaires d'Orange mais nous ne sommes pas en position de leur dire ce qu'ils doivent faire. Nous avons besoin d'une sortie. Il faut être pragmatique. Les créateurs de startups sont libres, ma préférence bien sûr est qu'ils restent travailler ici en France » avait déclaré le ministre, interviewé en anglais par Loïc Le Meur, devant un parterre de startuppers et investisseurs du monde entier.

Pour mémoire, l'Etat reste le premier actionnaire d'Orange, avec 25% du capital (dont 11,6% détenus indirectement via Bpifrance). Orange contrôle 100% de Dailymotion depuis 2013, après avoir acquis des parts pour un montant cumulé de 127 millions d'euros et injecté 30 millions de plus en septembre 2013. L'opérateur lui cherche un partenaire industriel pour accélérer son développement à l'international, face au géant Youtube (filiale de Google).


Après avoir regardé vers les Etats-Unis, en discutant avec Yahoo puis Microsoft, Orange a eu des contacts exploratoires en Asie, avec le japonais Softbank, Singtel et donc PCCW, le groupe diversifié dans les télécoms et les médias, en vue de lui céder 49% du capital. Des discussions avec des acteurs français avaient déjà eu lieu, notamment Vivendi et sa filiale Canal Plus qui voulait transformer Dailymotion en plateforme de vidéo payante diffusant des contenus haut de gamme. Un projet refusé par les équipes en interne, Dailymotion ayant fondé son modèle économique sur les contenus gratuits financés par la publicité. Cependant, comme Youtube, l'entreprise française a multiplié les tentatives dans le payant, par exemple en proposant des films ou séries en VOD, issus du catalogue de la Warner notamment.

« C'est devenu un dossier politique. L'ombre du vice-président d'Habitat [Arnaud Montebourg NDLR] plane toujours dans ces couloirs » ironisait mi-mars une source bien au fait du dossier à Bercy, en évoquant d'autres partenaires possibles pour Dailymotion : « Pourquoi pas Ladreit de Lacharrière ? Fimalac est en train de constituer un gros groupe de média. »

Fimalac nouveau favori ?


Fimalac a en effet procédé à de nombreux rachats de sites Internet, le groupe Webedia (PurePeople, PureMedia etc), Allociné, Overblog, Jeuxvideo.com, pour 240 millions d'euros, en un an.


Il y a trois semaines, François Hollande en personne s'est même rendu chez Webedia, qu'il a présenté comme un exemple de « réussite française qui est capable d'être demain la plus grande entreprise au monde sur un certain nombre de secteurs », saluant « une entreprise qui a créé, en deux ans, 800 emplois et va créer 200 de plus cette année. » Avec 48,8 millions de visiteurs uniques par mois dans le monde en cumulant tous ses sites selon le cabinet ComScore, Webedia se positionne comme le troisième groupe Internet français, derrière Dailymotion et CCM Benchmark (Journal du Net, Comment ça marche).


Plusieurs sources confirment « un intérêt prononcé » de Fimalac. « L'intérêt social de d'Orange primera » souligne-t-on chez Orange, à savoir un certain montant et un projet industriel. L'opérateur rappelle qu'il n'a ouvert de négociations exclusives avec aucun acteur. Selon le Wall Street Journal, qui avait révélé les discussions, l'offre de PCCW valorisait Dailymotion à 250 millions d'euros.

Marc Ladreit de Lacharrière, François Hollande et Axelle Lemaire chez Webedia le 10 mars dernier (copyright Présidence de la République).

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