"Taxe Gafa" : ce que contient le projet de loi de Bruno Le Maire

Par Anaïs Cherif  |   |  1111  mots
Le projet de loi "taxe Gafa" sera rétroactif à compter du 1er janvier 2019, de telle sorte que l'Etat espère obtenir un rendement de 400 millions d'euros pour cette année. (Crédits : TT News Agency)
Faute d'accord européen, le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, présentait ce mercredi matin en conseil des ministres le projet de loi pour une "taxe Gafa". Il table désormais sur un rendement de 400 millions d'euros en 2019, mais les modalités de collecte de la taxe restent floues.

La France joue cavalier seul pour taxer les géants de la tech. Alors qu'une solution européenne semble désormais impossible, le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a présenté ce mercredi matin en conseil des ministres les contours de la fameuse "taxe Gafa" avec un projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique. « L'économie du XXIe siècle est fondée sur la valeur des données, mais notre fiscalité ne s'est pas encore adaptée », a-t-il affirmé en guise de préambule lors d'une conférence de presse à Bercy.

« Les géants du numérique ont grandi pendant des années sans aucun cadre. Ils ont défié les règles de la concurrence, se sont livrés à des comportements illégaux et se sont affranchis de payer toutes contributions dans les pays où ils opèrent. Nous devons contrer ces effets pervers », a assuré Bruno Le Maire.

Grâce aux techniques d'optimisation fiscale, les champions de la nouvelle économie ont un taux d'imposition moyen de 9,5% dans l'Union européenne... contre 23,2% pour le reste des entreprises, selon les estimations de la Commission européenne. Ce projet de loi vise donc à réduire cet écart, mais il « ne compensera pas l'intégralité des 14 points », a éludé Bruno Le Maire, sans parvenir à chiffrer le nombre de points qui seront grappillés.

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Une taxe de 3% sur le chiffre d'affaires réalisé en France

À l'instar des propositions de la Commission européenne, le projet de loi français prévoit une taxe à hauteur de 3% sur le chiffre d'affaires réalisé en France par les entreprises du numérique - et non sur les profits, comme cela se fait traditionnellement. Pour être imposable, les sociétés devront remplir deux conditions cumulatives : générer un chiffre d'affaires de 750 millions d'euros à l'échelle mondiale et de 25 millions d'euros sur le territoire français. « Nous ne voulons pas freiner l'innovation de nos startups », a justifié le ministre. En dépit de ces seuils, plusieurs voix s'élèvent parmi l'écosystème des startups.

« Ce projet de loi est un très mauvais signal pour la France. Le message donné est le suivant : "Restez comme vous êtes car si vous devenez un géant demain, alors vous devrez payer des taxes », estime Giuseppe de Martino, Pdg de Loopsider et président de l'Association des services internet communautaires.

Une trentaine de groupes devraient être touchés par cette réforme, dont potentiellement des champions français comme Cdiscount ou Le Bon Coin.

Trois activités taxées : publicité, vente de données, intermédiation

Si ce projet de loi vise en priorité les fameux Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), il s'adresse en réalité à toutes les entreprises du numérique exerçant trois types d'activité en France. Cette taxe cible les entreprises qui proposent de la publicité ciblée en ligne, comme le champion français Criteo, de la vente de données personnelles à des fins publicitaires et enfin, des activités de plateformes d'intermédiation.

Dans ce dernier cas, une société comme Amazon ne sera pas taxée sur son chiffre d'affaires réalisé via la vente de ses propres produits. En revanche, la firme de Seattle sera imposée sur les ventes réalisées sur sa marketplace par des vendeurs tiers. Les messageries, les services financiers réglementés, les plateformes de streaming audio et vidéo sont par exemple exclus du champs de cette taxe.

400 millions d'euros espérés pour 2019

Le projet de loi devrait arriver en première lecture à l'Assemblée nationale "début du mois d'avril"a estimé Bruno Le Maire, affirmant avoir "pris toutes les garanties juridiques" pour que le texte puisse être voté. Le projet de loi sera ainsi rétroactif à compter du 1er janvier 2019, de telle sorte que l'État espère obtenir un rendement de 400 millions d'euros pour cette année.

« Nous tablons ensuite sur 450 millions d'euros en 2020, puis 550 millions en 2021 et 650 millions en 2022 », a chiffré le ministre sur la base d'estimations des évolutions de chiffre d'affaires des entreprises du numérique.

Une goutte d'eau au regard des revenus engrangés seulement par les géants américains. Selon BFMTV, malgré un chiffre d'affaires en France de 325 millions d'euros pour Google, 790 millions pour Apple, 55,9 millions pour Facebook et 380 millions d'euros pour Amazon en 2017, les fameux Gafa n'ont payé respectivement que 14,1 millions, 19,1 millions, 1,9 millions et 8 millions d'euros au fisc français au titre de l'impôt sur les bénéfices en 2017.

Des contours flous pour la collecte de la taxe

C'est le gros point noir : la collecte effective de la taxe dispose encore de contours pour le moins flous... Le chiffre d'affaires national devra être calculé à partir du chiffre d'affaires mondial, auquel "sera appliqué un coefficient de présence numérique en France"explique le document de présentation. En effet, le droit actuel permet uniquement de taxer une entreprise en cas de "présence physique" dans un Etats - comme des bureaux, des entrepôts, etc.

« Ce coefficient sera déterminé au prorata des utilisateurs français actifs sur le service, selon les caractéristiques propres à chacune des catégories de services », poursuit le document. Une fois le projet de loi adopté, la déclaration des entreprises sera annuelle et devra être réalisée fin avril.

« Cette taxe est supposée être appliquée sur les revenus de l'audience générée par la France, mais actuellement, cette statistique n'apparaît nulle part. Et cette information nécessaire pour calculer l'impôt sera très difficile à obtenir. Personne ne sait vraiment comment l'administration va faire pour appliquer cette taxe », réagit Julien Pellefigue, associé chez Taj/Deloitte.

Une taxe provisoire

Cette taxe a vocation à s'appliquer jusqu'à ce qu'une réforme soit adoptée à l'échelle de l'OCDE. Bruno Le Maire a confirmé qu'il n'y aura pas d'accord européen lors de la prochaine réunion de l'Eurogroupe du 12 mars. Selon le ministre de l'Économie, « 23 des 27 États de l'UE » soutiennent une réforme pour la fiscalité du numérique. Parmi les réfractaires figurent l'Islande, le Danemark, la Suède et la Finlande. Or, l'unanimité est requise en la matière. « Il est temps de passer à une majorité qualifiée en Europe pour les décisions fiscales », a souligné Bruno Le Maire.

Prochaine étape : définir une "position commune" à défendre auprès de l'OCDE pour parvenir à un accord d'ici 2020.

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