Taxe Gafa : vers une riposte américaine ?

Par Anaïs Cherif  |   |  788  mots
(Crédits : Reuters)
Washington, historiquement opposé à une réforme internationale de la fiscalité des entreprises du numérique, entend désormais peser dans les débats de l'OCDE pour préserver ses champions de la Silicon Valley. Les Etats-Unis défendent une taxe sur les actifs incorporels.

Les Etats-Unis se disent prêt à coopérer. Alors que la pression augmente pour une meilleure taxation des géants du Net, Washington a réitéré ce mardi matin sa volonté de poursuivre les négociations dans le cadre de l'OCDE.

"Visiblement, de nombreux pays ne sont actuellement pas satisfaits de notre modèle fiscal international. Il est donc vital d'avoir de nouvelles discussions", a déclaré ce mardi matin Chip Harter, responsable du Trésor et délégué américain pour les discussions fiscales internationales.

Les règles financières, instaurées dans les années 20, permettent actuellement d'imposer les entreprises via leur présence physique dans un pays (siège social, entrepôts, bureaux...). Un système largement dépassé à l'heure du numérique, qui ne prend pas en compte le caractère immatériel des activités et la création de valeur qui en découle. Conséquence : l'évasion fiscale fait perdre des milliards de dollars de revenus aux Etats, qui assistent à une érosion de leur base d'imposition. Ils observent la fuite des bénéfices des géants de la tech vers des paradis fiscaux, comme les Bermudes, ou vers des pays à faible imposition, comme le Luxembourg ou l'Irlande au sein de l'Union européenne. Ainsi, en 2017, Google à lui seul aurait transféré près de 20 milliards d'euros vers le paradis fiscal des Bermudes.

Washington veut taxer les actifs incorporels

Fin janvier, 127 pays -- dont les Etats-Unis -- se sont engagés à trouver un accord d'ici 2020 dans le cadre de l'OCDE. Washington, pourtant historiquement réticent au projet, entend désormais peser dans les débats pour préserver ses champions, dont les fameux Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon).

"Nous entendons les différentes pressions politiques un peu partout dans le monde pour taxer plus lourdement certaines entreprises internationales. Nous avons convenu que cela était approprié", a déclaré Chip Harter. "Mais nous pensons que cela devrait être fait sur une base plus large que la sélection d'une seule industrie."

C'est pourquoi les Etats-Unis proposent de taxer les sociétés sur la base de leurs actifs incorporels, c'est-à-dire les brevets, marques, licences, qui permettent à une société de se faire un nom et donc, développer ses parts de marché. Une telle option s'appliquerait donc aussi bien aux entreprises tech, qu'aux autres industries.

"Certains pays ont l'impression que les défis fiscaux actuels sont uniquement liés à quelques business model du numérique", expliquait lundi Brian Jenn, vice-conseiller en fiscalité internationale au Trésor américain, de visite à Paris. "Les Etats-Unis n'ont jamais eu ce sentiment, car les défis fiscaux sont désormais plus larges et s'étendent à toutes les industries."

Répliquer à l'OCDE la taxe fiscale américaine

La proposition américaine englobe donc l'option britannique, qui plaide pour une taxe au prorata du nombre d'utilisateurs par pays. La piste de réflexion de Washington lui permettrait de répliquer au niveau international une disposition tirée de leur propre réforme fiscale, adoptée l'année dernière. Il s'agit de la nouvelle taxe dite "gilti" ("global intangible low-taxed income" pour "revenu global incorporel faiblement imposé"), permettant d'imposer les actifs incorporels.

Dans un rapport présenté en février, l'OCDE proposait de distinguer les actifs incorporels liés au marketing - marques, liste de clients, fonds de commerce... qu'elle pourrait taxer - et les actifs industriels comme les brevets et les licences, qui engendrent déjà de gros coûts et qui pourraient être exemptés de taxes supplémentaires.

Vent debout contre la "taxe Gafa" à la française

L'Union européenne a formellement suspendu mardi son projet de taxe européenne à destination des géants du numérique. Comme prévu, l'Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande se sont opposés au projet. Or l'unanimité des 28 pays est requise en matière fiscale. Face à cette inertie, de nombreux pays européens planchent sur des taxes nationales. C'est le cas de la France, qui a présenté la semaine dernière sa "taxe Gafa"... qui n'est pas au goût de Washington.

"Nous considérons les dernières propositions françaises comme très discriminatoires à l'encontre des entreprises américaines. Au sein de notre gouvernement, certains étudient si cet impact discriminatoire nous donnerait le droit (de contester) en vertu d'accords commerciaux et traités OMC", a souligné Chip Harter, à la veille d'une réunion de deux jours à Paris à l'OCDE.

Et de poursuivre : "Si les taxes unilatérales se multiplient, cela risque d'entraîner davantage de complexité, une double imposition (pour les entreprises) et une difficulté de conclure un consensus international. L'OCDE se doit de maintenir la cohérence au niveau international."