Les salariés du secteur des services en colère contre le modèle allemand

L'Allemagne connaît une semaine émaillée de grèves dans les services publics. Mais c'est en réalité l'ensemble des employés du secteur des services qui semblent las du "modèle allemand" dont ils ont été les premières victimes.
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Pas de métro, pas de tramways, quelques rares bus bondés. Des crèches et des jardins d'enfants portes closes. Des bureaux municipaux fermés. A l'aéroport, des bagages qui s'accumulent sur les tapis roulants, faute de contrôleurs... Non, vous n'êtes pas en Grèce, en Italie ou en France, mais bien en Allemagne. C'est en effet ce qu'ont vécu hier les habitants de Francfort et ce qui attend pendant toute cette semaine le reste du pays. Le syndicat du secteur des services, Ver.di, a en effet décidé d'une semaine de « grève d'avertissement » (Warnstreik) avant l'ouverture les 12 et 13 mars prochain du prochain tour de négociations dans la fonction publique. Un mouvement qui n'est pas isolé outre-Rhin : après la longue grève des contrôleurs aériens et celle des agents de sécurité qui est en cours, le secteur bancaire pourrait également connaître des mouvements sociaux alors que les négociations salariales sont dans l'impasse.

Retard des hausses salariales dans les services

Le durcissement des discussions salariales dans le secteur des services n'est pas anodin. Il traduit une des faces les moins connues du « modèle allemand » tant vanté en dehors des frontières de la république fédérale. Le pays a en effet gagné une grande partie de sa compétitivité dans le secteur des services. Le coût de l'heure travaillée dans l'industrie a, par exemple, progressé depuis 2005 selon les chiffres de Destatis, l'office fédéral des statistiques, de 16,4 %. Dans le secteur des services, cette hausse n'est que de 11,1 %. La récente étude de l'Insee montrait du reste que si le coût général du travail était inférieur en Allemagne qu'en France, c'était du fait des services et non de l'industrie, où les coûts sont comparables.

Précarisation

Le secteur des services est celui où les effets des réformes de Gerhard Schröder et l'absence de salaire minimal ont été les plus importants. Le travail y est souvent bon marché, les salaires y sont de plus en plus fixés en dehors des procédures de négociations collectives, la précarité légion. Ainsi, toujours selon Destatis, la part des contrats précaires dans le secteur des services était en 2010 de 13,3 % contre 8,9 % en moyenne en Allemagne. Et les services publics, où la part de fonctionnaires est, outre-Rhin, assez faible, n'échappent pas au phénomène. Selon Ver.di, la part des employés précaires dans ce secteur est passée de moins de 7 % en 2004 à 9 % en 2009. Sans compter que le secteur allemand des services est très fragile compte tenu de la guerre des prix qui y règne. Les employés de la chaîne de droguerie Schlecker qui vient de faire faillite et qui va fermer la moitié de ses magasins en est l'illustration la plus récente.

Pas de rattrapage
Y a-t-il eu un rattrapage lors des deux années de croissance de 2010 et 2011 ? Pas vraiment. Un coup d'?il sur les dernières négociations salariales collectives permettra de s'en convaincre. Le secteur du commerce de détail a ainsi obtenu en 2011 une hausse de salaire de 3 %. C'est bien, mais c'est encore peu au regard des 4,1 % obtenus dans la chimie, des 3,2 % de Volkswagen ou des 3,4 % du secteur énergétique. Et encore une fois, le secteur public est à la traîne ave une progression de 1,5 % des salaires seulement.

Le poids de la « règle d'or »
Les employés des services, de plus en plus nombreux, sont donc les grands oubliés de la croissance allemande. Ils réclament donc aujourd'hui logiquement un retour de manivelle, malgré le ralentissement économique. Ceux des services publics sont en tête de la mobilisation, mais ils se heurtent logiquement à la volonté de consolidation budgétaire des autorités régionales et fédérales. Berlin et les Länder ont les yeux braqués sur la « règle d'or » appelée ici « le frein à l'endettement » et qui interdit tout déficit des Länder à partir de 2020. Autrement dit, leur marge de man?uvre est fort réduite. Les communes, elles, n'y sont pas soumises, mais sont souvent très fragiles financièrement. Les exigences de Ver.di : une hausse de salaire de 6,5 % avec un minimum de 200 euros ont donc été jugées « au dessus de ma force d'imagination » par le ministre de l'intérieur conservateur (CSU) Hans-Peter Friedrich. Pour le moment, la situation semble donc bloquée. L'issue des négociations sera cependant cruciale : car ce que combattent, au fond, les grévistes c'est bien ce principe de la règle d'or devenue une référence européenne. Et ce qu'ils réclament, ce n'est rien d'autre qu'un certain « rééquilibrage » du modèle de développement allemand.

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