Interdiction de TikTok aux États-Unis : quels enseignements tirer de la loi signée par Joe Biden ?

Le Congrès américain a adopté le 24 avril une loi qui pourrait conduire à l’interdiction de TikTok aux États-Unis dans moins d’un an. Citant des risques pour la sécurité nationale, la décision va toutefois être combattue en justice par l’entreprise chinoise pour entrave au Premier amendement, qui protège la liberté d’expression aux États-Unis. Derrière des préoccupations sécuritaires que beaucoup jugent légitimes, se trouvent aussi une logique de guerre commerciale et des calculs électoraux.
Le président américain Joe Biden.
Le président américain Joe Biden. (Crédits : BRITTANY HOSEA-SMALL)

C'est fait : Joe Biden a signé le 24 avril la loi passée en début de semaine par le Congrès américain, qui prévoit de forcer ByteDance, l'entreprise mère de la plateforme de vidéos TikTok, à vendre celle-ci à une société américaine pour continuer à opérer aux États-Unis. L'entreprise dispose désormais de neuf mois pour trouver un repreneur (délai qui pourra éventuellement être étendu de trois mois supplémentaires sur décision de Joe Biden).

Une fois cette période écoulée, à défaut d'avoir conclu un accord, l'application sera interdite sur le territoire américain, où elle compte aujourd'hui environ 170 millions d'utilisateurs actifs, ce qui représente 17% de ses utilisateurs mondiaux. Procédure habituelle aux États-Unis, la loi est incluse dans un paquet législatif qui comprend également 95 milliards de dollars d'aide à l'Ukraine et à Israël.

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TikTok, une menace pour la cybersécurité ?

La décision est motivée notamment par le risque en matière de cybersécurité que TikTok poserait en raison de sa présence massive aux États-Unis et de la proximité entre Pékin et ByteDance. « Le Congrès agit pour empêcher nos adversaires de l'étranger de pratiquer l'espionnage, la surveillance et des opérations malveillantes susceptibles de causer du tort aux Américains vulnérables, à nos soldats et nos fonctionnaires », a ainsi affirmé Maria Cantrell, sénatrice démocrate de l'État de Washington.

Si Washington est régulièrement accusé d'utiliser l'argument de la sécurité pour entraver la compétition chinoise, les craintes des autorités ne sont pas infondées, selon James Lewis, du Center for Strategic and International Studies, un laboratoire d'idées non partisan spécialisé en géopolitique. « Nul ne fait confiance à la Chine, et pour de bonnes raisons. Contrôler une application est un bon moyen d'accéder aux appareils et aux réseaux, à travers des mises à jour et des patchs. Avec le DMA, les mises à jour des applications ne peuvent en outre plus être examinées pour des questions de sécurité, il est donc encore plus simple pour la Chine d'utiliser TikTok dans cette optique. »

Sans nier les possibilités d'espionnage via les réseaux sociaux, certains experts doutent toutefois de l'efficacité de la loi signée par le président américain.

« Le Congrès ne cible que TikTok, alors que d'autres applications chinoises posent des risques similaires. Un mécanisme de vérification par une tierce partie, faisant en sorte que les données soient stockées localement sur les serveurs d'une entreprise américaine, avec un droit de regard du gouvernement, serait beaucoup plus efficace », affirme ainsi Daniel Castro, vice-président de l'Information Technology and Innovation Foundation, un laboratoire d'idées nonpartisan spécialisé dans les nouvelles technologies.

Un avis que partage Nadine Farid Johnson, directrice des politiques au Knight First Amendment Institute de l'Université de Columbia. « Les mêmes informations que TikTok collecte sur ses utilisateurs américains peuvent être achetées auprès de courtiers en données, comme l'U.S. Office of the Director of National Intelligence l'a constaté l'an passé. La Chine n'a pas besoin de TikTok pour ça », constate-t-elle. Les parlementaires inquiets des dérives sur les réseaux sociaux devraient, selon elle, plutôt passer une loi protégeant la vie privée en ligne, plutôt que d'empiéter sur le Premier amendement, qui défend la liberté d'expression des Américains.

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Une entrave à la liberté d'expression ?

Car c'est l'une des grandes questions que soulève cette loi. TikTok a d'ores et déjà promis d'aller en justice pour la combattre, arguant qu'elle est contraire au Premier amendement. Celui-ci interdit en effet au gouvernement américain de censurer les citoyens : or, interdire TikTok reviendrait à priver les utilisateurs de la plateforme d'un moyen d'expression, selon l'entreprise. Un argument qui a déjà fait mouche par le passé.

En 2020, Donald Trump, alors président, avait ainsi tenté d'interdire TikTok par décret, une décision qui avait été bloquée par un juge car justement contraire au Premier amendement. Cependant, une loi votée par le Congrès a davantage de légitimité qu'un simple décret et sera donc plus difficile à combattre en justice. Sur ce terrain, TikTok a toutefois aussi déjà remporté une victoire : l'an passé, l'État du Montana a tenté à son tour d'interdire l'application, décision elle aussi retoquée par un juge pour les mêmes raisons. Mais là encore, la loi votée par le Congrès a davantage de poids : la politique étrangère n'étant pas la prérogative des États, le Montana pouvait difficilement défendre sa volonté de contrer l'influence chinoise, ce que peut plus facilement faire le gouvernement fédéral.

Celui-ci devra toutefois prouver, entre autres, que TikTok pose un risque à la sécurité nationale, que les dommages causés sont avérés, et non de simples suppositions, et que la loi va permettre de les résoudre directement. Selon Nadine Farid Johnson, « il n'existe à l'heure actuelle aucune preuve accessible au public permettant de démontrer cela. » Selon elle, « la Cour suprême a de longue date défendu le droit des Américains à accéder à des informations, des idées et des media de l'étranger, en vertu du Premier amendement. En interdisant TikTok, cette loi restreindrait ce droit, sans réel bénéfice. »

Avec un bémol pour TikTok, toutefois : contrairement aux tentatives précédentes, comme celle de Trump et du Montana, cette version de la loi prend soin d'insister uniquement sur les risques posés à la sécurité nationale, et non, par exemple, sur le danger pour la santé mentale des utilisateurs, comme le faisait la loi du Montana. Or, « les tribunaux rechignent à déterminer si quelque chose constitue une menace ou non pour la sécurité nationale, ce n'est pas leur travail », affirme Sarah Kreps, directrice du Tech Policy Institute de l'Université de Cornell. En outre, « le fait que la loi ait largement été votée par les deux chambres du Congrès et soit soutenue par les deux partis la rend plus difficile à contester. »

Si ByteDance ne parvient pas à convaincre la justice américaine, elle pourrait être contrainte de vendre TikTok, en sachant que trouver un repreneur pour une plateforme que certains valorisent à 100 milliards de dollars s'annonce difficile. Le groupe chinois a en outre annoncé que la vente n'était pas une option pour lui, il est donc possible qu'il cesse tout simplement d'opérer aux États-Unis.

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Le spectre d'une guerre commerciale ouverte avec la Chine

La riposte chinoise ne s'est pas faite attendre. L'autorité chinoise du cyberespace a ainsi demandé à Apple de retirer les applications WhatsApp et Meta de son Apple Store en Chine, en citant des raisons de sécurité nationale.

« Pékin a mal réagi aux pressions américaines sur TikTok et veut le protéger. Les choses vont empirer à mesure que les États-Unis retirent d'autres entreprises chinoises de leur marché. Ce n'est peut-être qu'un début », prédit ainsi James Lewis.

D'autant que les deux pays sont déjà dans une logique de guerre commerciale commencée par Donald Trump et continuée sous Joe Biden. Les États-Unis prépareraient actuellement de nouvelles sanctions visant à restreindre l'accès de la Chine aux semi-conducteurs, après avoir déjà empêché cette dernière d'accéder aux technologies américaines les plus évoluées dans ce domaine.

En un spectaculaire retournement de veste, l'ancien locataire de la Maison-Blanche a de son côté vivement critiqué l'interdiction de TikTok sur son réseau Truth Social, accusant son rival Joe Biden d'agir ainsi pour « permettre à ses amis chez Facebook de devenir encore plus riches et dominants ». L'ancien président, candidat pour l'élection qui aura lieu en novembre, entend peut-être ainsi séduire le jeune public, chez qui l'application est très populaire. Joe Biden, que les républicains attaquent régulièrement pour sa politique extérieure jugée trop conciliante et pour des cafouillages comme le retrait chaotique d'Afghanistan, y voit de son côté sans doute l'occasion de faire preuve de fermeté vis-à-vis de la grande puissance rivale de l'Amérique.

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Commentaires 7
à écrit le 26/04/2024 à 10:09
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...les enseignements à tirer sont l'interdiction de Tik Tok et de tous les réseaux dits sociaux. Des dangers à tous les étages dont le principal, les manipulations en vue de détruire les démocraties C'est entre autre l'objectif de la Chine et poss...

à écrit le 26/04/2024 à 2:44
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J'ai entendu les trois règles de l'Europe pour nous sauver. En version simplifiée sans le bla bla politique cela donne: Augmenter les impôts pour permettre plus de contrôles sur l'internet qui détruit l'europe et augmenter la dette pour relancer l'éc...

à écrit le 25/04/2024 à 23:42
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Excellente initiative qui devrait aussi interdire Facebook.. Instagram.. Snapchat...et autres ....couillonades..?

à écrit le 25/04/2024 à 23:24
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Que la chine montre l exemple : sur son sol les gafam sont quasi interdit et Toute entreprise étrangère a obligation d être adoube par partenaire chinois majoritaire dans son capital de co- entreprise .. j espère que l Europe interdira aussi tiktok...

à écrit le 25/04/2024 à 23:24
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Que la chine montre l exemple : sur son sol les gafam sont quasi interdit et Toute entreprise étrangère a obligation d être adoube par partenaire chinois majoritaire dans son capital de co- entreprise .. j espère que l Europe interdira aussi tiktok...

à écrit le 25/04/2024 à 21:15
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"Interdiction de TikTok aux États-Unis : quels enseignements tirer de la loi signée par Joe Biden ?" A l'évidence TikTok est un épouvantail médiatique agité par le putschiste sénile de Washington (aka The Big Guy) afin de tromper l'opinion des ...

à écrit le 25/04/2024 à 18:06
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Arrêtez, je n'en peux plus de m'esclaffer de rire😂Une entreprise chinoise qui attaque une décision américaine qui ne respecte pas le Premier amendement consistant à protéger la liberté d’expression aux États-Unis🤣 Ahh le monde d'après🤔

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