Au château d'Oiron, tout pour l’amour de l’art

Dès le XVe siècle, le château poitevin est imaginé pour épater la galerie. Aujourd’hui, il revit grâce aux créations contemporaines.
(Crédits : © LTD / Daniel Spoerri/ADAGP)

Soudain, le château d'Oiron surgit de terre. L'hypnotique apparition perce un paysage sage, effacé, rural, vide. Vaste plaine, immenses champs, discrètes vallées, villages silencieux, vignes et lignes à haute tension, le château dévore tout. On ne voit que lui. Pourtant le doute s'empare du voyageur arrivant de Poitiers. L'immense et élégant château, posé en haut d'une collinette, est-il réel ou un décor de film pas encore démonté, Cinecittà égaré dans le département des Deux-Sèvres ? Le château d'Oiron existe pour de vrai, imaginé dès le départ pour en mettre plein les mirettes.

Et c'est réussi ! En 1449, le seigneur Guillaume Gouffier, protégé de Charles VII, reçoit de Sa Majesté des terres à Oiron. La famille Gouffier fait alors construire le château. Au XVIe siècle, Claude Gouffier, collectionneur richissime, acquiert des œuvres de Jules Romain, du Pérugin, de Raphaël (visibles au Louvre). Il passe des commandes dont de somptueuses fresques de style Renaissance, l'art contemporain de l'époque, celui qui sauvera le château des siècles plus tard. Malgré un déluge de raffinements attractifs, personne n'apparaît dans ce château d'apparat, pas un roi, pas un VIP, hors la Montespan qui achète le château en 1700 et y vit en partie. Après la mort de l'ancienne maîtresse de Louis XIV, le château entame sa course presque fatale...

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Les familles succédant à la Montespan n'ont pas un écu pour entretenir une si vaste demeure. Les fresques s'enlisent dans l'oubli. Les meubles disparaissent. Le château désenchanté est alors hanté par le vide, les dizaines de pièces s'ennuient.
En 1943, l'État rachète la bâtisse agonisante. Les travaux de sauvegarde puis de restauration commencent. Le moribond redevient un écrin splendide mais, hormis son architecture et les fresques, rien ne fait battre le cœur du château. Son cœur, c'est l'art. Au début des années 1990, Zorro arrive. Le chevalier Jean-Hubert Martin, historien d'art, dirigeant d'institutions et commissaire d'expositions, investit Oiron avec des œuvres imaginées in situ par les plus grands artistes de l'époque, qu'il connaît tous.

« J'ai proposé à des artistes du monde entier de l'investir totalement. Tous ont accepté »

Une aventure rare, audacieuse, totalement nouvelle commence alors. Jean-Hubert Martin précise : « Comment faire vibrer à nouveau le château ? Je me suis dit : "Pourquoi ne pas poursuivre ce qu'Oiron a toujours été, un immense cabinet de curiosités où sont réunies les œuvres les plus variées ? " J'ai proposé à des artistes du monde entier de l'investir totalement. Tous ont accepté comme Sol LeWitt, Daniel Spoerri, Marina Abramovic, Wim Delvoye, Giuseppe Penone ou Fabrice Hyber. J'ai proposé à chacun un espace précis, salons, chambres, tours et galeries, communs et soupentes. Imaginez leur venue dans un lieu tellement éloigné de tout... Quant aux habitants, beaucoup étaient méfiants au mieux, indifférents au pire. Ma joie est qu'ils ont très vite adhéré au projet et disent maintenant que l'art a sauvé Oiron. »

Au château d'Oiron, tout pour l’amour de l’art

( Le Château d'Oiron. © LTD / Daniel Spoerri/ADAGP )

En réunissant de façon pérenne des artistes majeurs des années 1990, Oiron offre une mémoire éclatante de cette période. Dans les musées, les collections, les œuvres bougent. À Oiron, elles restent intrinsèquement liées au lieu. La grande force du château est sa capacité à fasciner le visiteur mais aussi à rassembler, à impliquer les habitants. En 1993, le créateur Boltanski photographie les enfants d'Oiron. Aujourd'hui, cette galerie de portraits d'esprit très notable accueille les visiteurs. Au même moment, Raoul Marek dessine les profils de 150 villageois pour les reproduire au fond de 150 assiettes en porcelaine de Sèvres. Depuis plus de trente ans, le 30 juin, les « enassiettés » dînent au château, leur profil au fond de leur plat.

Au château d'Oiron, tout pour l’amour de l’art

 ( « La Salle à manger », œuvre de Raoul Marek. © LTD / Daniel Spoerri/ADAGP )

 Clément Bos a été portraituré lorsqu'il avait 3 ans. Aujourd'hui, le viticulteur de 34 ans préside une des plus importantes associations du monde, celle du dîner du 30 juin. Y sont conviés les habitants présents lors du premier dîner. Depuis, il y en a moins. Pour Clément Bos, chaque 30 juin, l'émotion est là. « Ce concept, cette œuvre d'art de Raoul Marek, permet aux habitants d'Oiron de se voir, de se faire beaux comme pour un mariage. Le dîner est devenu une sorte de performance, du spectacle vivant dont les habitants sont les acteurs. Ce rituel est aussi émouvant car les assiettes accrochées au mur affichent les profils de ceux qui ont disparu comme mes grands-parents. En tout cas, ce dîner, c'est du gagnant-gagnant. Les habitants mettent en valeur le château qui met en valeur les habitants. »

Au château d'Oiron, tout pour l’amour de l’art

( Un cliché en format XXL du photographe Claude Pauquet. © LTD / Daniel Spoerri/ADAGP )

Cette année encore, le photographe Claude Pauquet, habitant près de Poitiers, correspondant pour la presse nationale, sillonne la région d'Oiron. Il en connaît la moindre serre, le moindre rouleau de paille ou petit blockhaus. Il a proposé à des
volontaires de poser pour lui dans le cadre d'une expo aujourd'hui présentée au château. Bingo. Agriculteur, comptable, femme d'entretien ont posé et parfois co-inventé les mises en scène de Claude Pauquet. Anaïs, femme d'entretien, est devenue grâce au photographe une divinité drapée de tissu agricole dont le royaume est la serre dans laquelle elle a posé. « Dans la vie, on ne me voit pas, dit Anaïs. Là, on me regarde et on me reconnaît à peine tant je suis devenue une autre. J'ai découvert la photo dans un journal local. Fierté complète. »

L'administrateur du château, l'impliqué Jean-Luc Meslet, a lui aussi succombé au charme d'Oiron. Le jour, il fait appel aux créateurs d'aujourd'hui afin de perpétuer la dynamique contemporaine d'Oiron. Comme les villageois, il a fini par s'approprier le monument. Depuis trente ans, le château est devenu un bijou de famille, une famille qui s'agrandit. Le soir, Monsieur l'administrateur retape une maison achetée à Oiron, une demeure pour y conclure sa vie.

Le château d'Oiron

en quelques dates

XVe

Construction du château par la famille Gouffier

1540

Début de la collection d'art de Claude Gouffier

1700

Achat du château par Mme de Montespan

1941

Après un long déclin, achat du château par l'État

1993

Oiron inspire des dizaines d'artistes contemporains

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