Luc Chatel : "ce que va changer la réforme du lycée"

Luc Chatel, ministre de l'Education nationale, explique la réforme du lycée. En cette fin d'année scolaire, les élèves de troisième s'apprêtent à l'inaugurer. Elle va s'appliquer à la rentrée prochaine en classe de seconde. L'amélioration de l'orientation et le rééquilibrage des filières sont le fil rouge de cette réforme.

La Tribune - Que va vraiment changer à la rentrée la réforme du lycée pour la classe de seconde ?
 

Luc Chatel - Beaucoup de choses, sans pour autant que les horaires soient alourdis, et c'était là un objectif fondamental. Le premier grand changement, c'est la personnalisation de l'enseignement, que nous allons mettre place avec les deux heures d'accompagnement personnalisé. Cet axe majeur de la réforme entend répondre au grand défi actuel posé à l'Éducation nationale : s'adapter à la diversité des élèves. Pendant ces deux heures d'accompagnement personnalisé, les élèves seront pris en charge par petits groupes : ceux en difficulté pour du soutien scolaire, ceux qui ont des facilités pour les pousser vers l'excellence, ceux enfin qui ont besoin de conseils pour envisager leur orientation.
Le deuxième changement concerne justement le processus d'orientation. Les élèves qui le demandent et dont les familles ne maîtrisent éventuellement pas bien le système éducatif vont bénéficier d'un tutorat. Il sera assuré par des enseignants, rémunérés pour cela, qui pourront ainsi accompagner les élèves tout au long de l'année pour les aider s'orienter.
La troisième nouveauté, c'est l'économie pour tous : tous les élèves de seconde vont suivre un enseignement d'économie qui était jusqu'à présent facultatif. Cette initiation aux fondamentaux de l'économie constitue une réelle avancée pour la compréhension du monde.
Nous avons également mis en place des enseignements d'exploration dont l'objectif est d'intéresser les élèves aux différentes séries et spécialités. l'objectif est d'éveiller les élèves, d'aiguiser leur esprit critique.
Autre élément, la culture. Il y aura dans chaque lycée un enseignant qui sera un référent en la matière, qui se chargera d'animer la vie culturelle dans le lycée. Il pourra par exemple mettre en place le ciné club avec Ciné Lycée que j'ai lancé il y a un mois.
Enfin, l'enseignement des langues se fera par groupes de compétences. On le sait, c'est un plus pour acquérir les notions linguistiques.
 

- En l'état actuel des remontées du terrain que vous avez, pensez-vous que les lycées soient prêts pour la rentrée ?
 

- Oui. J'ai mobilisé très tôt nos personnels d'encadrement. Dès que la réforme a été présentée, j'ai fait un tour de France des académies, organisé des réunions interacadémiques ; en novembre, j'avais rencontré tous les proviseurs et des principaux de collèges pour qu'ils préparent leurs élèves à l'entrée en seconde. La réforme est aussi à l'ordre du jour de chaque réunion de recteurs. Et d'après les retours des académies que j'ai reçus sur les préparatifs, tout est prêt. Par ailleurs, le numéro spécial consacré à la réforme de la brochure Onisep, que nous avons édité en avril, a été téléchargé en quelques jours à 1 million d'exemplaires. C'est la preuve qu'il y avait une forte demande d'information : nous y avons répondu.
 

- Qu'en sera-t-il pour les classes de première et terminale en 2011 et 2012 et de la session 2013 du baccalauréat ?
 

- Le fil conducteur de la réforme demeure : l'accompagnement personnalisé, l'orientation avec les stages passerelle, la possibilité de changer de série et le tutorat ... Les élèves des rentrées 2011 et 2012 bénéficieront de la réforme. Concernant le baccalauréat, il va aussi évoluer. Par exemple, pour l'examen de langue vivante, l'accent va être mis sur l'apprentissage oral. ??? Autre exemple : l'épreuve d'histoire sera passée de manière anticipée en fin de première.

- Certaines critiques reprochent à cette réforme de ne pas avoir assez rééquilibré les filières et d'avoir maintenu le monopole de la série S.
 

- Je récuse cela. Nous rendons plus attractive la filière littéraire (L) avec les enseignements en « Littérature et société », en « Droit et enjeux du monde contemporain » et la spécialisation en langues (littérature en langue étrangère). L'objectif est d'augmenter les débouchés. Quant à la filière S, elle bénéficie de deux aménagements importants : un enseignement autour de l'informatique en terminale et l'épreuve d'histoire anticipée en première. Ce changement a fait couler beaucoup d'encre alors que les élèves de cette série préfèrent justement répartir la charge des examens entre les deux années afin de mieux se consacrer aux matières scientifiques à gros coefficient en classe de terminale.

- Que vous inspirent toutes les polémiques sur les nouveaux programmes du lycée ?
 

- Dans cette maison, tout changement fait débat. Je pense avoir montré - et à cet égard l'exemple de l'enseignement de l'économie est un bon exemple - que j'avais tenu compte des positions des uns et des autres. La méthode consistant à installer des groupes d'experts sur les programmes, qui ont travaillé avec l'inspection générale et fait des propositions, puis à organiser une période de consultation publique où les professeurs ont pu donner leur avis avant l'arbitrage final me semble la bonne : elle permet de confronter des points de vue de spécialistes internes et externes à l'Éducation nationale et de les adapter aux attentes des enseignants. In fine, en économie, nous avons trouvé le bon équilibre en classe de seconde. Idem pour la classe de première, pour laquelle nous venons d'achever la consultation publique. Le groupe d'experts et l'inspection générale vont maintenant retravailler sur la base des remarques faites par les uns et les autres.

- D'aucuns ont cependant critiqué le fait qu'une part d'idéologie ait prévalu dans la conception première des programmes d'économie.
 

- Je me suis efforcé de ne jamais tomber dans le piège du débat idéologique. Le groupe d'experts que j'ai nommé rassemblait des économistes de toute sensibilité et j'y étais très attaché. Le sujet n'est pas de favoriser telle ou telle école de pensée mais de donner les codes aux élèves pour décrypter le monde qui nous environne. A eux, avec la culture qui est la leur, de se retrouver ou non dans telle ou telle école de pensée.

- Les manuels scolaires seront-ils prêt à temps ? Beaucoup d'inquiétudes s'expriment aussi concernant le coût de leur renouvellement, que ce soit pour les collectivités locales ou les familles.
 

- C'est vrai que nous avons un changement important à la rentrée prochaine puisqu'il y a la conjugaison d'une réforme de fond, celle du lycée, et de la remise à plat des programmes qui, pour la plupart d'entre eux, n'avaient pas été revus depuis une dizaine d'années. Hormis le français, l'ensemble des programmes et donc des manuels changent. Nous avons associé en les éditeurs très en amont. Dès la publication des principales orientations de la réforme du lycée, au mois de novembre 2009, avant même que les programmes ne soient définitivement établis, nous avons indiqué aux éditeurs quels allaient être les grands axes, matière par matière. Puis nous les avons informés à chaque étape des travaux des groupes d'experts. Nous avons défini avec eux un modus vivendi : tout d'abord, la fourniture de spécimens dès juillet pour les professeurs, afin qu'ils puissent faire leur choix ; ensuite, la mise à disposition d'éditions numériques pour les élèves pour la rentrée. Nous faisons au mieux pour que les manuels papier soient disponibles avant la Toussaint.
Au chapitre du coût, nous avons réuni les régions et les fédérations de parents d'élèves. J'entends bien leur message mais j'aimerais rappeler certains principes. Tout d'abord, la rénovation des programmes était nécessaire. Ensuite, il existe des dispositifs nationaux d'accompagnement des familles, comme l'allocation de rentrée scolaire ou les bourses sur critères de ressources. Par ailleurs, il n'y a aucune obligation de financement de la part des régions. Certaines ont décidé de financer la gratuité des manuels pour tous les élèves, d'autres ont ciblé les familles en difficulté.

- Dans quelle mesure la réforme du lycée va-t-elle réellement lutter contre les inégalités en matière d'orientation ?
 

- Nous allons en premier lieu améliorer l'information avec les nouvelles plates-formes multimédia de l'Onisep. Cet outil permet un accès sans précédent à l'information, avec une personnalisation de l'accompagnement, la géolocalisation des formations et des débouchés disponibles dans votre département. Le tutorat prévu par la réforme va aussi permettre de gommer les inégalités en matière d'information avec, par exemple, l'organisation de visites d'universités, d'entreprises ou la présentation par d'anciens élèves ou des parents de leur parcours professionnel. Enfin, possibilité sera donnée aux élèves de changer de filière (lycées technologique, professionnel...) ou de série en cours ou en fin de première. Aujourd'hui, l'orientation est trop souvent subie et vécue comme un couperet. L'idée est donc que les élèves ont le droit de se tromper ou de changer. L'objectif est qu'ils puissent mieux construire leur projet.


- Comment va-t-elle mieux préparer aux études supérieures et au monde économique ?
 

- Tout d'abord en faisant en sorte que moins d'élèves décrochent du lycée. Je rappelle que 120.000 jeunes quittent chaque année le système éducatif (50.000 quittent le lycée) sans diplôme. Ensuite en leur permettant de trouver plus facilement leur voie d'orientation. Pourquoi un étudiant sur deux échoue-t-il en fin de 1ère année ? Souvent parce qu'il n'a pas trouvé sa voie. Si l'on sensibilise plus les élèves dès la seconde, ils auront plus de chances de s'accomplir dans une filière universitaire. Ensuite, l'accompagnement personnalisé vise aussi à leur transmettre des méthodes de travail (prise de notre, organisation....) alors que certains sont très déboussolés par la première année en université.
Quant au monde économique l'enseignement de l'économie prévoit d'améliorer la connaissance de l'entreprise. Mais il ne s'agit pas de multiplier les stages en entreprises, sachant qu'en raison de la crise, nombre de lycées professionnels peinent déjà à en trouver pour leurs élèves. Ce qui importe, c'est de favoriser les rencontres, via le tutorat d'orientation par exemple, pour rapprocher lycéens et monde professionnel.

- Les enseignants seront-ils à même d'adapter leurs pratiques pédagogiques à ces nouveaux objectifs ?
 

- Je rappelle que l'orientation figure dans la mission du professeur principal. Les enseignants ont toujours eu à c?ur de se préoccuper du sujet. Mais nous voulons conforter cette mission avec le tutorat : pour cela, nous avons prévu un module de formation afin qu'ils aient les clés pour faire découvrir le monde de l'entreprise à leurs élèves. Par ailleurs l'écart entre ces deux mondes est en train de se combler. Je le constate sur le terrain, en tant qu'élu local. Nombre d'opérations se montent entre fédérations professionnelles et inspections d'académie, entre apprentissage et Éducation nationale, via les forums des métiers qui contribuent à normaliser les relations.


- Plus largement, comment envisagez-vous le futur grand service public de l'orientation qui doit se mettre en place à la fin de l'année ? Les conseillers d'orientation psychologues (COP) craignent pour leur avenir.
 

- Il est nécessaire de coordonner au niveau de l'État tous les acteurs de l'orientation, que ce soit au niveau de la formation initiale ou de la formation tout au long de la vie : Éducation nationale, services de la formation professionnelle, de la jeunesse, les régions, les centres d'information et d'orientation, les missions locales. Nous venons de nommer un nouveau délégué interministériel à l'orientation, Jean-Robert Pitte, qui aura vocation à mieux coordonner, conformément à la loi de novembre 2009 sur la formation professionnelle, l'action de l'État en matière d'orientation. Quant aux COP, il n'est pas question de les abandonner. Leur expertise va continuer à être très utile auprès de certains publics, comme les élèves en difficulté. C'est là où l'aspect « psychologue » des COP est important. Mais nous n'allons pas les cantonner à ces missions. Certains doivent rester des experts dans le conseil à apporter aux élèves, d'autres interviendront dans le cadre des plates-formes de l'Onisep. Leur mission n'est donc pas remise en cause : elle doit simplement s'inscrire dans une politique plus globale.

- Des syndicats d'enseignants estiment que la réforme du lycée est avant tout un moyen de supprimer des postes (16.000 suppressions prévues en 2010 et en 2011). Que leur répondez-vous ?
 

- Je réponds tout d'abord que le Président de la République lui-même, quand il a présenté la réforme, a été très clair : cette réforme se fera à taux d'encadrement constant. Cette réforme est le fruit d'une concertation avec les fédérations de parents d'élèves, des représentants de fédérations de personnels d'encadrement et de syndicats. Il ne faut pas l'oublier.

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