Des centres d'appels 100% français : "Veut-on que le consommateur paie plus cher ? "

PDG de Teletech International, Emmanuel Mignot a fondé sa société spécialisée dans l'externalisation des centres d'appel voici plus de quinze ans. Sa société opère à la fois en France et à l'étranger. Le souhait de Laurent Wauquiez de faire revenir les centres d'appel dans l'Hexagone lui semble relever de l'utopie.

Que pensez-vous du projet de Laurent Wauquiez qui vise à inciter les entreprises françaises à privilégier l'implantation de centres d'appel sur le territoire national ?

On assiste à un double discours de l'Etat, d'un côté, on nous a incités à "porter haut les couleurs de la France", à s'implanter à l'étranger, et de l'autre on critique l'ouverture de sites offshore (à l'étranger ndlr). Je pense que le message qu'il faut interpréter est : "Occupez les marchés à l'étranger, mais ne délocalisez pas". Or pour les call-centers la problématique est la même que pour les entreprises des autres secteurs. Pourquoi lutter contre l'ouverture de call-center offshore et en même temps autoriser la délocalisation de la production automobile ? Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas seulement un effet de manche.

Laurent Wauquiez entend obliger les salariés des call-centers à préciser à leurs interlocuteurs le pays dans lequel ils se trouvent et à favoriser ainsi, grâce à la pression des consommateurs, l'ouverture de sites en France. Est-ce selon vous une mesure efficace ?

C'est une pure utopie de croire qu'il est possible d'obliger les opérateurs de vous dire qu'ils vous répondent depuis Metz ou depuis Casablanca. Qui va contrôler le respect d'une telle règle ?
Le consommateur peut jouer un rôle d'arbitre mais plutôt en ce qui concerne la qualité du service et non en ce qui concerne le fait d'employer une main d'?uvre française ou non. Sur ce premier point la France n'est pas forcément la mieux placée. Les services proposés dans la téléphonie mobile par les centres d'appel français sont catastrophiques, alors qu'à l'étranger on peut trouver un service de très bonne qualité. Cette piètre qualité des services est la première cause d'infidélité du consommateur.
Il y un autre problème : celui du prix. Nous privilégions la complémentarité des services, c'est-à-dire que nous les répartissons, selon les horaires, les niveaux de complexité entre la France et l'étranger. Une telle organisation permet de proposer un prix raisonnable aux consommateurs. Un prix inférieur en tout cas à celui qu'on pourrait proposer si tous les centres d'appel étaient établis en France. Veut-on que le consommateur paie plus cher ? Comme pour l'automobile ou le textile, je vois mal comment on pourrait revenir en arrière.

D'autres options ont été envisagées comme des aides au recrutement, à l'implantation en zone rurale, seraient-elles plus réalistes ?

Il y a effectivement beaucoup à faire en la matière. On a besoin d'une activité économique répartie sur tout le territoire français, et d'une activité rurale qui ne se limite pas seulement à l'agriculture mais qui s'ouvre aussi à la technologie. Chez Teletech International, nous sommes les premiers à avoir ouvert un centre en milieu rural, en 1994, dans une petite ville de 1600 habitants : Toucy dans l'Yonne. Nous y avons crée 100 postes au début. Mais nous avons manqué d'infrastructures. Nous avons même dû construire à nos propres frais.
Il y a en France deux problèmes majeurs pour le développement des call-centers en milieu rural, la formation qui est peu développée dans ces territoires, et le manque d'infrastructure ; l'Etat n'est pas parvenu à faire respecter les engagements en terme de couverture qu'avaient pris les opérateurs de télécommunication. Il y a encore des zones en France où il est difficile d'avoir une connexion Internet 56k. En outre le récent projet de France Télécom présenté il y a trois semaines par Stéphane Richard tend à pénaliser les zones rurales où les services seront plus onéreux. Stratégie favorisée par le manque de concurrence. Il existe donc de nombreux leviers pour favoriser l'implantation rurale, les utiliser serait vraiment bienvenu.

Laurent Waquiez a déclaré avoir le soutien de plusieurs grandes entreprises comme France Télécom, Gaz de France, la SNCF ou encore Bouygues Télécom. Pensez-vous qu'elles puissent vraiment participer à ramener les centres d'appel en France ?

Ces entreprises représentent à elles quatre une partie importante des donneurs d'ordre. Elles pourront donner une bonne impulsion. Tout dépend de ce qui est décidé, mais une grande partie d'entre elles, liées à l'Etat n'a pas vraiment d'autre choix que de venir s'asseoir à la table des négociations.

Pensez vous qu'il est possible de ramener des emplois en France ?

Quelle part des 60.000 emplois créés hors de France souhaite-t-on rapatrier ? Il est envisageable d'en ramener 200 à 300 mais cela suppose de se fâcher avec une bonne partie de la profession.

Quelles sont pour vous les solutions pour soutenir et développer les centres d'appel en France ?

Aujourd'hui il n'y a que des entreprises françaises qui font encore travailler les centres d'appel hexagonaux. Il y a plusieurs problèmes auxquels il faut faire face, dont ceux que j'ai déjà mentionnés : les infrastructures et la formation. Ce métier est un métier trop dévalorisé en France ce qui peut expliquer la mauvaise qualité des services. Par ailleurs nous n'avons pas les moyens de travailler à un prix décent en France. Nous employons près de 300.000 personnes dans l'Hexagone. Nous ne pesons donc pas assez lourd pour prétendre bénéficier d'un régime de faveur à travers par exemple des allègements de charges. Pourtant notre secteur est appelé à se développer. Il représente 5% à 7% de la population active aux USA, et on peut imaginer que d'ici quelques années 7à 8% des actifs européens travaillent dans des centres d'appel.
Le principal défi aujourd'hui est de flexibiliser sans précariser. Il est injuste et anormal de précariser, chacun a droit de faire des projets, pourtant nous avons besoin d'une certaine flexibilité de la main d'?uvre. Nous envisageons à Teletech International un nouveau rapport avec nos collaborateurs (ceux qui répondent au téléphone). Nous essayons de prendre en compte non pas leur temps de travail mais leur temps de vie passée à l'entreprise. Nous envisageons ainsi de leur permettre de profiter de l'entreprise pour mener à bien des projets personnels, que ce soit de la formation personnelle ou des projets autres comme des projets de quartiers... Tout est à inventer et ce n'est pas facile d'évoluer étant donné la méfiance des partenaires sociaux. Il faut réussir à restaurer la confiance entre les employeurs et les représentants des salariés.
 

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