Jérôme Bédier : "Notre pays a besoin d'un ministère du Logement puissant"

À 18 mois de l'élection présidentielle, le Président d'Action Logement (l'ex 1% logement) appelle, dans une interview à La Tribune, à la relance immédiate d'un chantier qu'il juge délaissé par le gouvernement. Pour cet éminent membre du Medef, "ce n'est pas à Bercy de gérer la politique du logement".

L'État va ponctionner 1,3 milliard d'euros par an jusqu'en 2011 dans les ressources d'Action Logement. Les bailleurs sociaux contribueront eux à raison de 1 milliard sur trois ans. Comment jugez-vous cette attrition des moyens consacrés au logement ?

La politique du logement doit se concevoir dans la durée. Investir dans des logements, et notamment des logements sociaux, implique de souscrire des emprunts sur 25 à 30 ans. Or comment voulez-vous que les comités qui composent Action Logement et qui sont chargés de la collecte de la contribution de 0,95 % versée par les entreprises puissent mener des politiques sur le long terme, alors qu'on leur dit qu'on va leur ponctionner 500 millions d'euros, puis six mois plus tard, 1,3 milliard, qu'on va lancer le pass-foncier [qui permettait de différer le paiement d'un terrain, Ndlr], puis qu'on va le supprimer...

Nous militons pour une réforme de la politique du logement mais elle doit se faire dans le cadre d'un dialogue et en offrant de la visibilité. Aujourd'hui, compte tenu de l'imprévisibilité des politiques, il n'est pas envisageable que nous empruntions.

Ce n'est pas à Bercy de gérer la politique du logement de la France. Il faut que le ministère du Logement retrouve enfin ses prérogatives. Les entreprises ont leur part de responsabilité dans la situation actuelle. Chacun est monté au créneau avec sa préoccupation particulière et l'on a beaucoup effeuillé l'artichaut. Or il faut mener une politique globale, analyser les besoins des Français et intervenir quand cela s'impose. Nous ne pouvons plus accepter une ponction qui met en cause l'avenir du mouvement Action Logement. Nous ne pouvons plus accepter une ponction qui met en cause l?avenir du mouvement Action Logement.

 

La nation met-elle suffisamment de moyens sur la table pour le logement ?

Le niveau actuel d?investissement est très important. D?après le dernier rapport de Jacques Attali, le coût financier de la politique du logement atteint en France près de 36 milliards d?euros, soit 2% du PIB. D?où l?empressement de Bercy à récupérer une partie de cet argent. La ponction sur les HLM vise ainsi à financer l?Agence nationale de rénovation urbaine pour compenser un manque de trésorerie qui aurait été problématique dès 2011. Toutefois, aujourd?hui, on ne connaît pas réellement l?effort consenti au plan national. Si l?Etat a réduit ses efforts, les collectivités locales ont augmenté le leur.

De plus en plus d?EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale, exercent une compétence dans le logement.
Pour moi, l?effort de la nation en matière de logement doit et peut être globalement rentable. Si on investit de manière appropriée en redonnant vie à des quartiers dont personne ne veut, on devrait créer de la valeur.

 

N?aurait-il pas été plus judicieux de supprimer le cumul de la demi-part fiscale et des aides au logement, qui aurait permis d?économiser 500 millions d?euros par an, plutôt que de prendre 1 milliard sur trois ans aux HLM qui construisent de nouveaux logements ?

Ce n?est pas à moi d?arbitrer. Mais votre question montre qu?il est nécessaire de mettre tous les sujets sur la table. On ne peut pas tronçonner les éléments, avec d?un côté les aides fiscales, de l?autre, les aides à la location ou les subventions directes ou dissocier les questions de l?accession à la propriété et les problématiques propres aux bailleurs sociaux? Ce qui importe c?est la cohérence de l?ensemble. Le travail qui a été fait sur le PTZ, même s?il vise aussi à réaliser des économies budgétaires, est un élément de refonte de la politique du logement. Il faut maintenant aller au bout et redéfinir quelle peut être la politique du logement pour les dix ans qui viennent. C?est la perspective minimale pour pouvoir engager les investissements dans de bonnes conditions.

N?oublions pas que le logement est la première préoccupation de nos concitoyens Pas seulement parce que c?est leur premier poste de dépenses. C?est aussi et surtout le sujet qui suscite le plus d?inquiétude sociale dans la mesure où le « parcours résidentiel » est le symbole du parcours social lui-même. Le sentiment de déclassement est lié souvent à l?endroit où l?on est amené à se loger.

Le logement contribue même à la réflexion sur les retraites?

Exactement ! Le meilleur moyen de préparer sa retraite est de posséder un logement. Le logement est donc une préoccupation très forte des Français. C?est aussi un très grand secteur économique. Tout le monde connaît le vieil adage, « quand le bâtiment va, tout va ».  Or le concept de la politique du logement date de 1977 avec la publication du rapport de Raymond Barre qui préconisait de basculer une grande partie des ressources vers l?aide personnalisée au logement, alors qu?à contrario, les aides à la pierre et donc à la construction de logement avaient été réduites. Mais quand ce rapport a été publié, il n?y avait que quelques centaines de milliers de Français qui ne pouvaient pas se loger.

Aujourd?hui, le problème a changé de nature. Alors qu?il y a vingt ans, les classes moyennes pouvaient se loger assez facilement, dans le cadre du fonctionnement normal du marché, aujourd?hui on voit que c?est extrêmement difficile. C?est pourquoi il faut remettre tout à plat.

Ce que vous préconisez est très ambitieux?

Notre pays a plus que jamais besoin d?un ministère du logement puissant. Je suis convaincu que si l?on a une réflexion efficace avec l?ensemble des partenaires, on devrait, sans augmenter l?effort global de la nation, disposer d?un système qui soit plus efficace, plus performant et surtout plus durable. Si on crée une règle du jeu pour longtemps, on crée les conditions pour que les acteurs s?engagent. Il y a deux leviers naturels que l?on ne sait pas utiliser suffisamment. Le premier est celui de l?endettement. Comme les dépenses de logement créent des biens immobiliers qui eux-mêmes génèrent comme l?on dit dans les entreprises des cash-flow futurs sous forme de loyers, on est dans un système où l?on peut créer de la richesse en s?endettant.

A condition de ne pas créer de situation de surendettement comme aux Etats-Unis !

Certes. Il reste que l?on peut augmenter cet effet de levier, sachant que les taux d?intérêt n?ont jamais été aussi bas en France depuis la guerre !
Le deuxième levier repose sur une amélioration du foncier et de la ville. Si vous remodelez un quartier et attirez de nouveaux habitants, vous créez de la valeur qui peut être réinvestie ailleurs. A cet égard, ce ne sont pas des subventions qui doivent principalement financer l?Agence nationale de rénovation urbaine mais la valeur créée dans ces quartiers, par la vente par exemple d?une partie des nouveaux logements.

Préconisez-vous un Grenelle du logement ?

On a beaucoup Grenellisé ! Les Etats généraux du logement qui se sont tenus début mai sont en revanche une contribution à ce que pourrait être une véritable mise à plat de la politique du logement dans ce pays. Les acteurs privés peuvent avoir un rôle beaucoup plus important à condition de ne pas vouloir le faire pour spéculer mais pour faire des placements sûrs.

Est-ce le bon moment pour ouvrir ce débat à un an et demi de l?élection présidentielle ?

C?est une vraie question ! Nous aimerions que ce débat se tienne dès maintenant car nous souhaitons qu?il y ait une vraie cohérence entre la politique du logement et les engagements qu?Action logement entend prendre pour la période 2011- 2013. Le sujet du logement est suffisamment consensuel pour que l?on puisse le traiter avant les élections présidentielles. Ce sujet génère en tout cas suffisamment de contraintes pour ne pas attendre l?élection. D?ailleurs, si la nation ne se saisit pas de ce sujet maintenant, il y aura une tentation que l?on sent bien de certains de faire du logement un sujet d?opposition politique. Ce qui n?est pas forcément productif.

En Allemagne, le taux de propriétaires est très bas et paradoxalement, les prix de l?immobilier comme les loyers sont restés sages. Ce n?est pas un modèle à suivre ?

Ce qui est très impressionnant en Allemagne, c?est qu?ils ont un concept durable et bénéficient d?une grande stabilité de leurs coûts fonciers, qui est un élément essentiel de la politique du logement. Mais chaque pays a son histoire.

Encourager les Français à être propriétaires peut-il être un frein à la mobilité, chère au Medef ? Le centre d?analyse stratégique a rappelé récemment dans une étude le niveau élevé des droits de mutation en France.

La propriété peut créer un frein, lié au fait que les particuliers ont fait construire leur maison, y sont attachés et n?ont pas envie d?en partir, l?existence d?un deuxième salaire joue aussi un rôle important. Une grande force de la France est d?être, à l?inverse des Etats-Unis, une nation d?épargnants, assez peu endettés. Dans ce cadre, pousser à l?accession à la propriété et donc à épargner est un facteur de stabilité.

Toutefois, lorsque l?on acquiert un bien immobilier, la liquidité du bien et donc la possibilité de le revendre est une vraie problématique. Nous voudrions dans le cadre du prochain plan triennal de notre mouvement retravailler le lien entre le logement et l?emploi. Ce lien est plus pertinent qu?il ne l?a jamais été du fait des difficultés d?emploi dans certaines zones, des problèmes de mobilité, des problèmes des jeunes travailleurs. Nous estimons qu?il serait judicieux d?investir plus dans des logements plus petits pour accueillir les jeunes travailleurs ou les travailleurs seuls, dans des logements pour les saisonniers ainsi que dans les zones tendues et de poursuivre la garantie du risque locatif qui permet d?aider à l?insertion sociale. Action logement a logé sous forme de contrat de location en 2009, plus de 76.000 nouvelles familles.

Nous voulons aussi favoriser l?accession sociale à la propriété et vendre 1% de notre parc de logements chaque année dans le cadre d?une charte de bonne conduite dont nous allons nous doter. Cela offrira une alternative à une partie des classes moyennes qui n?a pas la possibilité de devenir propriétaire dans le cadre du marché libre.
Action logement est à cet égard une vraie machine à générer durablement du logement, sachant que notre appui par logement se monte en moyenne à 17.000 euros.

Mais les entreprises que vous représentez ont-elles toutes cette envie de contribuer à l?effort de la nation en faveur du logement ?

En 2008, dans le patronat, il y avait une tendance qui disait « le 1% logement est mort, l?Etat a pris tout l?argent, le logement n?est plus le sujet des entreprises . Il n?y a qu?à laisser le public agir. » Nous avons opté pour une autre position car, pour nous, ce sujet est central pour l?emploi et les partenaires sociaux ont une légitimité en la matière tant par rapport au secteur public (bailleurs sociaux) qu?au secteur privé (promotion immobilière). C?est un point peu connu, mais 41% de la politique du logement est financée par les entreprises. Soit 14,6 milliards d?euros dont 3,6 milliards au titre d?Action logement, 2,6 milliards au titre des aides personnelles au logement et 8 milliards au titre des allocations familiales.

 

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