Pourquoi la France n'a pas besoin de Robin (s) des bois

Par Alain Madelin, ancien ministre
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Le personnage central de la vie politique et des campagnes électorales a longtemps été le Père Noël. Hélas, la croyance au Père Noël se liquide d'elle-même avec le temps, la disette budgétaire et le concours malicieux des agences de notation. Un nouveau personnage tout aussi populaire s'avance au centre de la scène politique : Robin des bois. Il prend aux riches et redistribue aux pauvres. De gauche à droite en passant par le Front national, tous rivalisent de propositions redistributives « à la Robin des bois » plus ou moins audacieuses.

Il est sûr cependant que de telles politiques, au-delà de leurs effets d'affichage, ne peuvent pas sérieusement prétendre à l'efficacité sociale : il n'y a pas assez de riches et trop de pauvres ! Peut-être le moment est-il venu de changer d'approche et de considérer que notre problème n'est pas que nous aurions trop de riches ou que nos riches seraient trop riches... Mais tout au contraire, trop de pauvres. Je sais bien entendu que prononcer une telle phrase, malgré son apparent bon sens, suffit à faire de vous un défenseur des riches et des possédants.

J'entends pourtant prendre un tout autre parti. Celui de la défense des plus faibles, de la promotion sociale des classes populaires auxquelles je suis attaché tant par mes origines que par mes convictions Dans un pays qui n'a jamais autant dépensé pour le social et qui n'a cessé de réduire les inégalités, force est de constater - quand tant de nos compatriotes connaissent des situations d'extrême difficulté ou de détresse - que notre justice sociale redistributive ne fonctionne plus. Une autre approche existe. Elle repose sur la règle des deux maxima.

Un maximum de croissance, d'abord. Laissons ici la discussion sur le contenu, la nature et la mesure de la croissance, pour ne retenir que si avec une croissance molle de 1 %, le revenu des Français double tous les 72 ans, il double en 18 ans avec une croissance de 4 %. Aucune politique de redistribution ne saurait être aussi efficace que ces 2 % ou 3 % de croissance supplémentaire. C'est dire qu'une bonne politique sociale, c'est d'abord une bonne politique économique. Et aussi une bonne politique fiscale bien sûr. Et là, les bonnes intentions ne font pas une bonne politique. Une politique redistributive destinée à corriger les inégalités peut être très largement contre-productive socialement car le gâteau de la richesse ne sort pas tout cuit du four de la croissance, prêt à être découpé. Sa taille dépend de la façon dont il sera partagé.

On a redécouvert avec les minima sociaux l'importance du calcul marginal et l'effet désincitatif des allocations sociales dont la perte en cas de reprise partielle du travail (faute d'un correctif du type RSA) peut diminuer considérablement le bénéfice net de l'heure travaillée. Il en va de même à l'autre extrémité de l'échelle des revenus. Un prélèvement marginal sur les revenus du travail de 70 % (par le cumul des prélèvements fiscaux et sociaux), comme c'est le cas aujourd'hui, pèse sur le rendement économique et social de notre économie car la croissance se fait par nature à la marge.

Si dans une communauté restreinte d'hommes et de femmes unis autour d'un objectif économique clair, les règles d'un juste partage sont faciles à déterminer, il n'en va pas de même dans la société ouverte, celle de la coopération humaine et de l'interdépendance à l'échelle de la planète. Dans une telle société, il est impossible d'unir les hommes autour d'une même vision d'une « juste » répartition. Est « juste » le résultat de justes conduites et du respect de règles justes qui ne violent pas les droits d'autrui.

Les Français d'ailleurs valident cette approche. Le livre-enquête « les Français face aux inégalités et à la justice sociale », récemment publié sous la direction de Michel Forsé et Olivier Galland, montre qu'une immense majorité d'entre eux (85 %) accepte les inégalités de revenus et de fortune si celles-ci sont le prix à payer de l'efficacité économique. Mais cette acceptation porte une exigence : que la société soit organisée de façon à offrir le maximum de chances à ceux qui sont en bas de l'échelle sociale.

Le maximum de chances. Les Français rejoignent ainsi, sans le savoir, le contrat social unanime proposé par le philosophe américain John Rawls (voir « La justice sociale ne se confond pas avec la redistribution » dans « La Tribune » du 14 mars 2011). Dans un contrat virtuel où chacun des sociétaires placé dans une situation de complète incertitude sur sa position sociale exprime sa préférence, la justice sociale se trouve à la rencontre d'une double exigence : un maximum de libertés ouvertes à tous pour favoriser la prospérité collective d'une part ; un maximum de chances offertes aux plus défavorisés, d'autre part.

C'est là un choix de confiance dans les libertés économiques pour fabriquer la croissance, l'emploi, les bons salaires et l'élévation du niveau de vie en se débarrassant progressivement de nos prothèses sociales. C'est aussi le choix d'un État social qui assure un filet de sécurité en offrant un revenu minimum conforme à l'idée que nous nous faisons de la dignité humaine, à celles et ceux qui luttent à la limite de la survie. Mais c'est aussi la volonté d'agir pour sortir toutes celles et ceux qui le peuvent de cette situation d'assistance par une politique active d'émancipation, de recapitalisation en matière de formation, d'ouverture d'opportunités. Car la question des inégalités ne se résume pas à celle des revenus, c'est aussi l'inégalité face aux opportunités. Voilà qui nous invite à redessiner l'action de l'État et nos services d'intérêt général.

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