Pourquoi "pacte" est-il devenu le mot à la mode pour les réformes ?

Par Marina Torre  |   |  1057  mots
Une phrase sur trois prononcée publiquement par François Hollande contient une anaphore.
Pacte de responsabilité, de compétitivité, d’égalité des territoires et maintenant, pacte de solidarité… depuis 2012, des programmes de réformes se succèdent avec un point commun : ce sont tous des “pactes“. Détour par la linguistique pour décoder un élément de langage qui s'installe dans le paysage.

Dépassés les "plans de lutte", les "programmes d'action" et autres "stratégies nationales", place aux "pactes". Le dernier, dit "pacte de responsabilité", est officiellement lancé ce mardi. François Hollande en assurait l'après-vente une semaine après en avoir annoncé les grandes lignes au cours de sa une conférence de presse semestrielle. Un programme politique en forme de contrat conclu entre l'État et les entreprises visant à alléger certaines cotisations sociales en échange de la promesse d'embauches de la part des employeurs.

Des "pactes", François Hollande en a déjà proposé une poignée depuis son élection, comme en témoigne ce recensement non exhaustif :

- Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, lancé le 6 novembre 2012
- Pacte pour l'artisanat (23 janvier 2013)
- Pacte de confiance pour l'hôpital (6 mars 2013)
- Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire (14 juin 2013)
- Pacte d'avenir pour la région Bretagne (6 novembre 2013)
- Pacte rural pour l'égalité des territoires (27 novembre 2013)

Un mot usé "jusqu'à la corde"

Il est loin d'être le seul à avoir utilisé le terme. Damon Mayaffre, linguiste, chercheur au CNRS et professeur à l'université de Nice Sophia Antipolis a passé au crible les discours des présidents de la République. D'après la recherche qu'il a effectué pour La Tribune, le mot "pacte" n'apparaît ni dans les paroles de Charles de Gaulle ni dans celles de Georges Pompidou. En revanche, "d'un point de vue rétrospectif, le terme a été utilisé jusqu'à la corde par les présidents au moins depuis les années 1980", note-t-il avant d'énumérer : "colonial, de stabilité, de croissance, de gouvernement, de non ingérence, de progrès… "

Parmi les responsables politiques de gauche comme de droite, Ségolène Royal ferait partie des plus ferventes adeptes du mot, du moins si l'on en croit l'étude lexicographique qu'avait menée le site L'Internaute sur les discours de personnalités des deux bords politiques prononcés entre 2001 et 2011.

Pour des programmes économiques, le mot a également été employé au niveau européen comme en témoignent les pactes européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes, pacte européen sur l'immigration, ou bien, avant, le Pacte budgétaire de stabilité et de croissance" (PSC), adopté en 1997 qui vise à coordonner les politiques budgétaires nationales des pays membres de la zone euro.

Glissement de sens

Si les prédécesseurs de l'actuel chef de l'Etat semblent donc eux aussi avoir été séduits par la formule, elle n'avait jusqu'aux années 2000 pas tout à fait le même sens. Le mot est plutôt "utilisé dans le vocabulaire diplomatique", rappelle Paul Bacot, politologue et directeur de la revue Les mots. Les langages du politique. Ce professeur de l'IEP de Lyon revient sur l'étymologie-même du terme :

"Cela renvoie à pax, paix. Il y a une visée pacificatrice, avec un côté tranquillisant. Cela suggère qu'il y a un conflit existant ou qu'il faudrait éviter."

Un constat partagé par Damon Mayffret qui va même plus loin :

"Là, cela sous-entend que les relations sociales sont tellement dégradées en France qu'il faut conclure un pacte comme l'Union soviétique et l'Allemagne avaient conclu un pacte" de non agression.

"Plus solennel, que le 'contrat' ", il est aussi moins connoté politiquement, ajoute Paul Bacot. Il présente en outre l'avantage de renvoyer de façon moins frontal au "contrat social" de Rousseau tout en suggérant lui aussi un accord partagé entre des parties prenantes. 

Conclure un pacte serait avant tout une méthode, en l'occurrence, la négociation. Une stratégie clairement revendiquée par François Hollande qui le répétait encore lors de sa conférence de presse du 14 janvier : "ma méthode c'est la négociation". Discours où le mot "pacte" était répété quinze fois.

Un certain goût pour les anaphores

 
Une compilation d'anaphores présidentielles par le Huffington Post

Justement, la répétition d'un même mot "pacte", par exemple  voire d'une expression (de "Moi président " à "Quand on a 25 ans"), c'est l'autre grande marque de fabrique de l'expression présidentielle. "Une phrase sur trois dans les discours de François Hollande prend la forme d'une anaphore rhétorique", pointe Damon Mayffret. Le chercheur, qui a étudié de près les discours de Nicolas Sarkozy ,signale à ce propos un parallélisme et détaille :

"Cela montre la volonté de Hollande de muscler son discours de se donner de l'autorité à un moment où celle-ci semble lui faire défaut, du moins dans les sondages, cela donne une forme de virilité à son discours, un aspect martial."

Pourtant, dès novembre 2012, ce même mot moins agressif de "pacte" avait été préféré à celui de "choc" de compétitivité. "Il n'y aura pas un énième plan. Et je déconseille aussi l'idée du choc, qui traduit davantage un effet d'annonce qu'un effet thérapeutique", argue alors le chef de l'exécutif.

Signifiant et signifié

Seulement, ainsi martelé , "pacte" n'en perdrait-il pas lui aussi de sa force pour figurer parmi ces néologismes qui ressemblent plus à des slogans qu'à de véritables programmes?  Le linguiste Damon Mayffret répond :

"Ce type d'associations : 'pacte de responsabilité', 'Marque France' - ou 'valeur travail' chez Nicolas Sarkozy - répondent au double souci d'être immédiatement compris par l'auditoire et de donner l'impression que c'est quelque chose de nouveau, d'inédit. Elles sont très efficaces dans le discours politique. On parvient à les imposer par les sonorités, par les hommes politiques qui les martèlent et cela finit par devenir des formules qui se figent jusqu'à devenir indestructibles".

Indissociables, comme a pu l'être l'expression "épuration ethnique" dans les années 1990, les termes de la formule "pacte de responsabilité" ne pourraient donc être atténués. Et peu importe si l'incertitude demeure sur ce que recouvre réellement ce fameux pacte - le nombre d'emplois promis par les employeurs, la forme que prendront les allègements de charges etc. Car "le consensus sur le signifiant, le mot, est d'autant plus fort qu'il persiste un certain flou sur le signifié".

Pour aller plus loin:

>> Allègement du coût du travail, un casse-tête à 30 milliards d'euros 

 Article initialement publié le 21/01/2014 à 17h37