Quand Michel Sapin se retrouve à son tour sous le feu des critiques

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1121  mots
Michel Sapin, le ministre du Travail et ami du président, se trouve actuellement sous le feu dfes critiques
Après les mauvais chiffres du chômage, le ministre du travail, longtemps épargné et proche du président, est à présent soumis à un "Sapin bashing"... sans doute éphémère.

Y a-t-il un "contrat" sur Michel Sapin ? Avec les cafouillages, pour certains, les adaptations, pour d'autres, autour du contrat de génération, les critiques commencent à fuser sur le ministre de l'Emploi, du Travail, du Dialogue social et de la Formation professionnelle. Jusqu'ici, cet homme discret avait pourtant la baraka ! Alors que la France compte plus de 3 millions de chômeurs, le ministre de l'Emploi, aurait dû être depuis longtemps dans le collimateur de l'opposition. N'est-ce pas lui qui pendant des mois devait révéler les mauvaises statistiques mensuelles du nombre des demandeurs d'emploi ? N'est-ce pas lui qui doit gérer la litanie des plans sociaux ?

Eh bien non, Michel Sapin s'en sortait quasi indemne. Pour beaucoup, il était même en train de s'ouvrir tout grand les portes de Bercy. Mais pas avant la fin du printemps, après les élections européennes du 25 mai, quand son vieil ami de trente ans le président François Hollande décidera d'un remaniement ministériel.

Michel Sapin à Bercy ?

Si Jean-Marc Ayrault reste à Matignon, alors, il est en effet fort probable que Michel Sapin soit le prochain ministre de l'Economie et des Finances. Après tout, n'était-ce pas le poste qui l'attendait au lendemain de l'élection présidentielle en mai 2012 ? Il s'y était préparé mais afin de respecter de subtils équilibres au sein du Parti socialiste, finalement, c'est Pierre Moscovici qui avait hérité de Bercy, en remerciement de son ralliement rapide à François Hollande, après la "chute" de Dominique Strauss-Kahn. Sans oublier que Michel Sapin avait déjà été ministre de l'Economie et des Finances… C'était il y a plus de 20 ans dans le gouvernement Bérégovoy (1992-93). D'ailleurs, l'actuel ministre du Travail est, avec Laurent Fabius, l'un des plus "capés" du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, où ceux qui avaient déjà une expérience ministérielle ne sont pas légions. De fait, il fut aussi ministre de la Fonction publique sous Lionel Jospin (2000-2002).

Surtout, et cela en agace plus d'un, y compris au sein de sa propre majorité, Michel Sapin est un intime de François Hollande depuis plus de 30 ans. "Si tu lui dis quelque chose, tu peux être certain que François Hollande est au courant 10 minutes après", assure un ministre du gouvernement. Que ce soit l'Ena - la fameuse "promotion Voltaire", ou le service militaire, puis le militantisme au sein du Parti socialiste, ces deux-là ont tout connu ensemble. Il partage surtout les mêmes opinions politiques. Comme son ami-président, Michel Sapin revendique ouvertement son caractère social-démocrate. Ce qui lui vaut pas mal d'inimitiés sur l'aile gauche du PS ainsi qu'au Front de gauche, où il incarne le parfait "social-traitre".

L'homme des compromis

D'ailleurs, en bon social-démocrate, il n'a eu de cesse depuis son arrivée au ministère du Travail de chercher des compromis avec les organisations syndicales et patronales. Plutôt avec succès. Et ce n'était pas forcément gagné, notamment avec l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 qui a jeté les bases d'une " flexisésurité" à la française et qui est venu assouplir des pans entiers du droit du travail français, considéré comme si rigide.

C'est à Michel Sapin, aussi, que l'on doit l'accord du 14 décembre réformant la formation professionnelle et dont la transcription législative commence ce 5 février 2014 à l'Assemblée nationale. Sur le terrain européen, l'ancien maire de la bonne ville d'Argenton-sur-creuse - où il figurera d'ailleurs sur la liste PS aux prochaines élections municipales des 23 et 30 mars - a également acquis ses lettres de noblesse en arrachant une modification de la directive sur le détachement des salariés, grâce à un ralliement de la Pologne - pour lequel il a beaucoup œuvré - aux idées défendues par la France.

La "galère" des chiffres du chômage

Tout allait bien donc pour le confident du président. Mais, depuis quelques semaines, sa fameuse baraka semble l'avoir abandonnée. Et pour cause ! A propos de l'inversion de la courbe du chômage, Michel Sapin est contraint de jouer les paratonnerre pour un président réfugié sur les hauteurs élyséennes. C'est le ministre de l'Emploi qui, le 27 janvier, après la publication des médiocres statistiques du chômage pour le mois de décembre doit aller " ramer" sur les plateaux de télé et sur les ondes des radios pour expliquer "que l'inversion nous y sommes presque" que " le pari n'est pas raté", etc.

C'est lui encore qui, maintenant, endosse le rôle du "méchant " a propos d'éventuelles pénalités qui pourraient frapper les entreprises de plus de 50 salariés rechignant à recruter via le fameux contrat de génération. Même si, en vérité, l'affaire est plus compliquée que cela. Certaines obligations instaurées par le dernier ministre du Travail du gouvernement Fillon, c'est-à-dire Xavier Bertrand (UMP), ont été supprimées, s'agissant notamment de l'emploi des seniors, de l'égalité professionnelle. Elles ont été remplacées (et simplifiées) par d'autres par l'actuelle majorité, à la suite de l'instauration du contrat de génération. Les entreprises bénéficiaient d'un délai pour s'adapter. Une fois expiré ce délai, le ministère du Travail envoie, certes, des injonctions… Mais, en réalité, aucune entreprise n'a encore dû payer des pénalités.

Les fameuses "contreparties" au "pacte de responsabilité"

L'attitude actuelle du ministère du Travail est surtout justifiée par un besoin de rassurer les syndicats, à la suite de l'annonce du " pacte de responsabilité"  auquel Michel Sapin a été étroitement associé. Dans le cadre de ce pacte, le gouvernement s'engage sur une baisse du coût du travail, via un nouvel allègement des cotisations (en l'occurrence familiales) des entreprises. Bien entendu, il en attend des contreparties sur l'emploi. Les syndicats se disent sceptiques. En affichant une certaine fermeté sur les engagements des entreprises en matière de formation, d'emploi des seniors ou sur le contrat de génération, Michel Sapin tente de les rassurer. Pas certain que l'opération réussisse.

Michel Sapin traverse donc une mauvaise passe mais l'homme est solide et doté d'un calme à toute épreuve. Surtout, il a l'oreille du patronat. Les dirigeants du Medef, de la CGPME et de l'UPA (artisans employeurs) ne cachent pas leur satisfaction de l'avoir comme interlocuteur au ministère du Travail. " Il travaille et il connaît ses dossiers, mieux vaut lui qu'un plus excité" confie ainsi un cacique de l'UPA. Dans ces conditions, à l'heure où le gouvernement fait tout pour séduire les entreprises, pas sûr que le "Sapin bashing" continue très longtemps.