La tragédie politique de Zapatero

Après une première législature sous le signe des réformes civiles et sociales, la crise économique a marqué le calendrier du leader socialiste qui s'apprête à quitter le pouvoir en 2012. Lui qui n'avait pas voulu voir, avant 2008, la fragilité de la croissance espagnole n'a reconnu que tardivement l'ampleur de la crise. D'où des réformes dures et incomprises.
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José Luis Rodríguez Zapatero a tout d'un héros tragique. Élu à la tête du gouvernement espagnol en 2004 à la suite des attentats du 11 mars (200 morts à Madrid), il portait en lui l'espoir de renouveau des électeurs après huit ans de règne de José María Aznar. Sept ans plus tard, le chef du gouvernement socialiste s'apprête à quitter le pouvoir en mars 2012, conspué par l'opposition qui réclame des élections anticipées, discrédité par les électeurs... et rejeté par toute une génération de jeunes qui le classent parmi les politiques cyniques vendus aux intérêts du marché. « Zapatero est un personnage tragique. La fin de son mandat est dramatique : ce que revendiquent les protestataires de la Puerta del Sol est exactement ce qu'il demandait quand il est arrivé au pouvoir », analyse Fernando Vallespín, politologue et ancien directeur du Centre d'investigations sociologiques (CIS).

Le mouvement de protestation qui a pris les places des grandes villes espagnoles, pour exprimer son ras-le-bol de la politique telle qu'elle est pratiquée et des effets de la crise sur les plus vulnérables, illustre la rupture entre la rue et le leader de gauche. Celui qui assurait en 2004 que « le pouvoir ne [le] changerait pas » a reconnu dernièrement que, s'il avait 25 ans aujourd'hui, il serait lui aussi « sûrement » dans la rue. Tout un constat d'échec.

Le dirigeant espagnol a annoncé le 2 avril qu'il ne briguerait pas de troisième mandat. Il espérait, ce faisant, que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) fût mieux à même d'affronter les élections locales du 22 mai, sans le poids de l'impopularité de son secrétaire général sur les épaules. La stratégie a échoué : la débâcle du PSOE a été sans appel, avec deux millions de voix de moins que le Parti populaire (PP), le principal parti de droite.

Le comité central du parti se réunira samedi pour déterminer les modalités de la succession de Zapatero. Une page se tourne, après onze ans sous la direction du politicien de León, élu à 40 ans secrétaire général du parti en 2000, et chef du gouvernement depuis 2004.

Ses succès passés ne laissaient pas entrevoir une telle débandade. Victorieux aux élections de 2004 alors que le PP était donné grand vainqueur, Zapatero a rendu le pouvoir à un PSOE en veine de sang neuf depuis la fin de l'ère de Felipe González (1982-1996). Sa jeunesse, son optimisme et ses ambitions réformatrices lui avaient attiré le soutien des militants. « Ne nous déçois pas ! » criaient-ils le soir de sa victoire en 2004.

Lors de son premier mandat, la société espagnole se modernise à un rythme effréné. Le dirigeant promeut un socialisme fondé sur les droits civils. Outre le divorce express et le mariage homosexuel, il fait voter la loi sur l'égalité, qui oblige les partis à présenter des listes électorales avec au moins 40 % de femmes. Ce féministe engagé est d'ailleurs le premier dirigeant espagnol à s'entourer d'un gouvernement paritaire. Hausse du salaire minimum, loi sur la dépendance... les droits sociaux ne sont pas en reste.

Certaines de ces réformes, comme, sous son second mandat, la réforme du droit à l'avortement, ont suscité de violentes réactions de la part des secteurs traditionalistes. « Pour la première fois, les catholiques sont descendus dans la rue », rappelle Fernando Vallespín. La politique de décentralisation de l'État sur le modèle impulsé par la Catalogne est aussi mal perçue par la droite.

De même, la volonté du leader socialiste de mettre l'Espagne face à ses vieux démons a provoqué le rejet des milieux conservateurs. En 2007, la loi sur la mémoire historique reconnaît le droit à réparation des victimes de la guerre civile et du franquisme. Enfin, la tentative avortée de dialogue avec l'ETA, soldée par un attentat meurtrier fin 2006, provoque de violentes attaques de la droite.

Malgré cet échec, le chef de l'exécutif achève son premier mandat en fanfare : par une réélection. Régulièrement taxé d'ingénuité, d'optimisme impénitent, Zapatero avait réussi à gagner la confiance des électeurs à coups de réformes progressistes audacieuses. Durant son second mandat, il allait toutefois suivre une tout autre voie, imposée par la crise économique. « Zapatero est un gestionnaire de l'abondance. Toute sa vision politique repose sur un système où il y a des ressources à redistribuer », explique Fernando Vallespín. « Quand il est arrivé au pouvoir, l'économie était en forte expansion, mais la croissance était fondée sur des secteurs à faible valeur ajoutée comme la construction et l'immobilier. Il n'a pas su voir et corriger les déséquilibres de ce système », estime Rafael Pampillón, économiste à l'IE Business School.

En 2008, la crise financière internationale est aggravée en Espagne par la chute de l'immobilier. Le dirigeant se retrouve confronté à une situation économique calamiteuse, marquée par la hausse constante du taux de chômage jusqu'aux 21 % actuels. Les politiques keynésiennes lancées en 2009 pour dynamiser l'activité ne font qu'aggraver les choses : avec un déficit public de plus de 11 % en 2009, les excédents budgétaires de la première législature ne sont plus qu'un lointain souvenir. Zapatero est happé par une crise économique dont il a tardé à reconnaître l'existence. Il opère alors un revirement radical, reléguant aux oubliettes sa promesse de ne pas toucher aux acquis sociaux.

Le 12 mai 2010, d'un ton solennel, il dévoile un plan de rigueur : baisse de 5 % des salaires des fonctionnaires, gel des retraites et suppression de l'aide aux parents pour chaque naissance, entre autres. Il s'agissait d'éviter à l'Espagne de plonger dans le sillage de la Grèce. Deux mois plus tard, il impose une hausse de la TVA de 2 %. À l'automne, la crise irlandaise le pousse à annoncer une nouvelle série de mesures, comme la hausse de la taxe sur le tabac et la privatisation partielle des aéroports. Réformes du marché du travail, des retraites, du secteur financier, les changements structurels se succèdent, sous la pression constante de l'Union européenne. Malgré une grève générale en septembre 2010, M. Zapatero s'est dit prêt à aller jusqu'au bout des réformes, quoi qu'il lui en coûte. La sanction des urnes, dimanche dernier, et le Mouvement du 15-M sont à la mesure de la désillusion des Espagnols. Ce désamour n'est pas sans rappeler celui dont souffrent deux autres leaders socialistes, Georges Papandréou et José Socrates, auprès de leurs propres électeurs.

Dates Clés :

22 juillet 2000 : élu secrétaire général du PSOE.

11 mars 2004 : attentat islamiste à Madrid (191 morts).

14 mars 2004 : élection à la tête du gouvernement.

Avril 2004 : retrait des troupes espagnoles d'Irak.

Juin 2005 : loi sur le mariage homosexuel.

Décembre 2007 : loi sur la mémoire historique.

9 mars 2008 : réélection.

Novembre 2009 : réforme du financement des régions.

Mai 2010 : plan de rigueur.

29 septembre 2010 : grève générale.

Janvier 2011 : accord sur la réforme des retraites avec les partenaires sociaux.

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