Le Soudan et le Soudan du Sud trouvent un terrain d'entente sur le pétrole

Au grand soulagement des États-Unis, le Soudan et le Soudan du Sud ont trouvé un accord sur leur différend pétrolier qui les avait conduit au bord de la guerre au printemps dernier. Mais selon certains analystes cet accord ne parviendra pas à lui seul à relever l'économie soudanaise, en pleine tourmente.
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Le Soudan et le Soudan du Sud ont trouvé une solution au différend pétrolier qui empoisonnait toujours leurs relations un an après l'accès à l'indépendance de Juba. Le Soudan du Sud, a hérité des trois quarts des ressources pétrolières du Soudan d'avant la partition (juillet 2011), mais dépend entièrement des oléoducs du Nord pour exporter.Le président américain Barack Obama a salué cet accord qui "ouvre la porte à une plus grande prospérité pour les peuples des deux pays", selon un communiqué de la Maison Blanche. Et à Londres, le chef de la diplomatie britannique, William Hague, a qualifié cet accord de "percée" qui va "dynamiser l'économie des deux pays" tout en louant "l'esprit de compromis" des parties. Barack Obama a ajouté qu'il était particulièrement "reconnaissant" envers les efforts de l'Union africaine (UA) dirigée par l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui a assuré la médiation entre les deux pays.

Selon le Soudan du Sud, l'accord conclu à Addis Abeba (Ethiopie) prévoit que Juba paie à Khartoum 9,48 dollars par baril de pétrole exporté via le Soudan au cours des trois ans et demi à venir. Le Sud a en plus accepté de payer une somme forfaitaire de quelque trois milliards de dollars au Soudan, pour compenser ses pertes de revenu depuis la partition. Des responsables soudanais cités par l'agence officielle Suna ont, sans donner leur version de l'accord, estimé qu'il était "raisonnable". Mais selon le politologue El Chafie Mohammed el-Makki, de l'Université de Khartoum, ces sommes ne seront pas suffisantes, même s'"il vaut mieux quelque chose que rien: la crise économique est très, très, très sérieuse, je ne pense pas qu'une telle somme d'argent pourra résoudre les problèmes".

Le Soudan du Sud a hérité des trois quarts des ressources pétrolières du Soudan d'avant partition. Mais il reste entièrement tributaire des oléoducs du Nord pour exporter. Faute d'accord sur la redevance à payer par Juba à Khartoum sur le pétrole sud-soudanais qui transite par le territoire soudanais, le Nord avait décidé de se payer en nature en prélevant du brut à son passage. Furieux, le Sud avait alors stoppé sa production. L'accord conclu prévoit donc une reprise de la production du Sud Soudan.

Nouvelle rencontre en septembre

Au-delà de la question pétrolière, parmi les litiges opposant encore les deux Soudans, figurent la démarcation de leur frontière et le statut de zones contestées. Les deux pays s'accusent aussi mutuellement de soutenir des groupes rebelles sur le territoire de l'autre. Les pourparlers entre les deux parties engagés à Addis Abeba sous l'égide de l'UA piétinaient jusque là à tel point que Juba et Khartoum avaient dû laisser passer, sans accord, la date butoir du 2 août que leur avait donnée, sous peine de sanctions, le Conseil de sécurité de l'ONU pour régler leurs différends. M. Mbeki a précisé que les deux pays avaient désormais jusqu'au 22 septembre pour résoudre les contentieux encore en suspens et prévoit une rencontre en septembre des présidents soudanais, Omar el-Béchir, et sud-soudanais, Salva Kiir, pour discuter notamment du statut d'Abyei, une région disputée grande comme le Liban.

Signe pourtant de tensions persistantes entre le Nord et le Sud, qui - avant les accords de paix de 2005 qui ont ouvert la voie à la sécession - se sont livré des décennies de guerre civile, le négociateur en chef de Juba Pagan Amum a encore accusé Khartoum de vouloir saper les pourparlers. M. Amum a notamment accusé le Nord de poursuivre les bombardements aériens sur le Sud, "en totale violation de la feuille de route" définie en avril par l'UA pour sortir de la crise. M. Mbeki a quant à lui malgré tout annoncé un autre accord à Addis Abeba : cette fois entre le Soudan, l'UA, l'ONU et la Ligue arabe sur l'accès humanitaire aux Etats soudanais du Kordofan-Sud et du Nil Bleu. Dans ces deux Etats, des affrontements répétés entre les forces soudanaises et des groupes rebelles ont plongé, selon l'ONU, des milliers de personnes dans une grave crise humanitaire. Nombreux sont même ceux qui fuient la situation vers le Soudan du Sud.

Un accord encore fragile

L'accord sur le pétrole conclu samedi entre le Soudan et le Soudan du Sud ne permettra pas à lui seul de relever l'économie soudanaise, en pleine tourmente, d'autant que sa mise en oeuvre reste tributaire des progrès en matière de sécurité, selon des analystes.

Le pétrole représentait 85% des revenus issus des exportations du Soudan, qui avaient atteint 7,5 milliards de dollars au premier semestre 2011, selon la Banque mondiale. Sans cette source majeure de devises, nécessaires pour payer ses importations, l'inflation a bondi et la livre soudanaise vu sa valeur s'effondrer, tandis que Khartoum tentait de développer ses exportations d'or et de produits non pétroliers. Le budget du gouvernement soudanais a pris de surcroît un nouveau coup de massue en raison de l'impossibilité de parvenir à un accord sur les droits de passage du pétrole, sur lequel il comptait. Le ministre soudanais des Finances, Ali Mahmoud al-Rasoul, avait estimé en mai les pertes liées à l'absence d'accord à 6,5 milliards de livres soudanaises (2,4 milliards de dollars) à l'époque. Le gouvernement avait ensuite dévalué le taux de change et commencé à supprimer le système très coûteux de subventions au carburant. Parallèlement, les taxes, notamment la TVA, avaient été augmentées, les salaires des ministres réduits et des postes supprimés, des mesures jugées insuffisantes par Mohammed Eljack Ahmed, économiste à l'Université de Khartoum.

Si l'accord pétrolier contribuera à augmenter les recettes publiques, son impact sur la crise économique dépendra de la volonté du gouvernement à réduire encore plus sérieusement les dépenses, a souligné M. Ahmed. "Le gouvernement, jusqu'ici, n'a pas été capable de réduire ses dépenses" et celles-ci ont même augmenté en raison de l'inflation, qui a atteint 37% en juin, a-t-il souligné. Des craintes entourent parallèlement la mise en oeuvre de l'accord, qui pourrait ne pas être appliqué en cas de désaccord sur d'autres questions, "notamment de sécurité", a encore indiqué l'économiste. "Pour être honnête, c'est plus une offre sur la table qu'un accord final", note l'analyste Magdi el-Gizouli, de l'ONG Rift Valley Institute. "Tant qu'il n'y aura pas d'accord sur la sécurité, les discussions sur le pétrole resteront provisoires". Il n'exclut cependant pas que cette annonce puisse faire partie d'un accord sur la sécurité, comme le soutient également le politologue Makki qui n'écarte pas non plus un compromis de Juba dans ce sens. Khartoum, qui accuse Juba de soutenir des rébellions armées dans les provinces frontalières du Nil Bleu et du Kordofan-Sud, a réaffirmé que tout accord sur le pétrole est conditionné au préalable à un "accord total et final" sur la sécurité.

 

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