Maghreb : comment les entreprises françaises s'adaptent à des marchés fort incertains

Si la Turquie et le Maroc restent dynamiques, de nombreux pays bordant la Grande Bleue ont vu leur économie ralentir. Contraignant les sociétés françaises présentes sur place à adapter leur offre ou à s'appuyer sur leurs bases locales pour exporter plus loin. Suite de notre dossier Spécial Méditerrannée.
Publicité marocaine du groupe Bel pour La Vache qui rit / DR

Entre une Europe du Sud assommée par les plans d'austérité et une Afrique du Nord bousculée par les « printemps arabes », les entreprises françaises se retrouvent parfois à la peine sur le pourtour méditerranéen. En Grèce, par exemple, les travaux de construction de deux autoroutes dans lesquelles Vinci Concessions détenait des participations (Athènes-Corinthe-Patras et Maliakos-Kleidi) ont été interrompus à cause de la crise financière. Le groupe assure cependant être en train de finaliser des négociations avec les syndicats bancaires de chacun de ces deux chantiers.

En Espagne, « de grands projets autoroutiers ou ferroviaires, en concessions ou en partenariats public-privé, connaissent des difficultés financières, car le trafic n'est pas au rendez-vous », constate Virginie Grand, responsable pour l'Europe du financement de projets chez HSBC. En Égypte, « notre unité de production, au nord du Caire, tourne à 50 % de ses capacités, se désole Frédéric Vincent, PDG du fabricant de câbles Nexans.

Les clients privés ont presque disparu. Il ne reste quasiment plus que des commandes publiques, mais nous avons beaucoup de mal à nous faire payer nos livraisons. Notre chiffre d'affaires dans ce pays a chuté de moitié. »

Dans la plupart des pays bordant la Méditerranée, « le niveau de risque est globalement élevé pour les entreprises, à cause du manque de croissance, ou à cause des problèmes de change et de paiements », analyse Thierry Apoteker, président et fondateur du petit groupe de recherche économique TAC, spécialiste des risques pays.

Le fort potentiel des produits laitiers

Pour autant, certains marchés restent porteurs. « La Turquie est un pays très intéressant, avec un taux de croissance important et de grands projets d'infrastructures. Il lui reste toutefois à s'organiser, à se sophistiquer en termes de financement de projets », note Virginie Grand, chez HSBC. « C'est un pays très dynamique dans lequel les besoins sont importants en matière d'assainissement d'eau ou de voies ferrées, par exemple », confirme Alexandre Marchetta, directeur général délégué de Mecalac, un fabricant d'engins de chantiers basé à Annecy, et qui vient de mettre en service une usine en Turquie.

Sur l'autre ve de la Méditerranée, « le Maroc bénéficie d'une croissance potentielle plutôt solide et d'une stratégie de diversification économique forte, note Thierry Apoteker.

Quant à l'Algérie, les risques économiques et financiers y sont très faibles et sa croissance est de 4 à 5 % par an. » Danone est très actif dans toute cette région d'Afrique du Nord, notamment au Maroc, où il est monté l'an dernier à hauteur de 67 % dans le capital de la Compagnie laitière du Maroc (600 millions d'euros de CA). « Le potentiel de croissance y reste fort, car la consommation de produits laitiers frais au Maroc, en Algérie et en Tunisie est de 10 à 11 kg par habitant et par an, contre 36 kg en France », précise un porte-parole du groupe, en indiquant que le marché tunisien demeure bien orienté.

Le groupe fromager Bel (Kiri, La Vache qui rit, etc.) connaît lui aussi une jolie réussite dans la région. De ses trois sites industriels de Tanger (Maroc), du Caire (Égypte) et de Koléa (Algérie) sortent 90 000 tonnes de fromage chaque année, soit 23 % de la production totale du groupe. Et l'Algérie est aujourd'hui son premier marché mondial en volume pour La Vache qui rit !

Innover pour tirer son épingle du jeu

Faute de marchés intérieurs porteurs, certains pays de la Méditerranée restent appréciés comme bases d'exportation vers des régions plus lointaines. « Nous arrivons à charger notre usine grecque, qui emploie 200 salariés, grâce à l'export, vers la Libye en particulier, indique Frédéric Vincent, chez Nexans.

De même en Turquie, notre activité est très tournée vers l'exportation à destination de l'Angleterre, des anciennes républiques soviétiques du CIS et du nord de l'Irak. Enfin, au Maroc, où nous avons deux grosses usines et 580 salariés, le marché intérieur est un peu atone, mais notre activité reste dynamique parce que nous exportons vers l'Afrique de l'Ouest. »

Dernière recette, enfin, pour tirer son épingle du jeu dans un contexte morose : apporter des solutions innovantes. « En Espagne, nous avons enregistré une croissance de 7 % en 2011, puis de 10 % en 2012 », se félicite Ivan de Ponteves, directeur général de la filiale espagnole d'Edenred, spécialiste des tickets restaurant et des cartes cadeaux, qui compte 10 000 entreprises clientes dans le pays.

Pourquoi ce dynamisme ? « En période de crise, nous apportons du pouvoir d'achat aux salariés, analyse le dirigeant. Et nous garantissons à nos affiliés [restaurants, crèches, commerçants, ndlr] une clientèle quotidienne et solvable. Nous répondons aussi très vite aux attentes des pouvoirs publics. Quand le gouvernement a décidé de favoriser l'accès des femmes au marché du travail, puis l'usage des transports en commun, nous avons créé Ticket Guarderia puis Ticket Transporte. Ces titres papier sont de plus en plus souvent remplacés par des cartes qui permettent des services supplémentaires, comme la géolocalisation et l'offre de promotions pour les restaurants, ou bien la possibilité de payer sur Internet pour les crèches. Nous avons aussi développé une plateforme de gestion des frais professionnels. De plus en plus de PME, en effet, ont des difficultés financières et les distributeurs pétroliers, par exemple, leur refusent les cartes de paiement de carburant, de peur de ne pas être payés à la fin du mois. Nous avons donc lancé une plate-forme, utilisée par un millier de PME, qui permet à l'entreprise de prépayer chaque mois les frais estimés et de définir exactement les critères et limites applicables à chacun. Quand le salarié atteint le plafond qui lui est fixé, sa carte se bloque. Cette carte est acceptée par les principales stations-service du pays et par de nombreux hôtels qui offrent une réduction aux détenteurs. C'est un produit parfaitement adapté à la crise. »

Finalement, la Méditerranée offre donc encore beaucoup d'opportunités pour les entreprises françaises. D'autant que certains pays, comme l'Espagne ou l'Italie, pourraient assez vite sortir de leur marasme actuel, estiment en ch?ur les économistes interrogés. Au risque alors que leurs entreprises, restructurées durant la crise, deviennent des concurrentes redoutables pour les sociétés hexagonales.

Commentaire 1
à écrit le 30/07/2013 à 18:38
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La zone euro jette des regards envieux vers ce beau et vaste pays qu'est la Turquie , et se dit "comment pourrait-on faire pour ... etc..." : je plaisante !

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