Pourquoi les Anglo-saxons snobent-ils les livres français ?

La littérature française contemporaine peine à trouvers son marché au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Au-delà des coûts de traduction, elle est surtout pénalisée par son image élitiste, selon un article de la BBC.
Giulietta Gamberini
Beaucoup d'auteurs primés en France n'ont jamais été traduits en anglais.

Ils connaissent Voltaire, Flaubert et Proust… parfois même Dumas et Hugo. Mais s'ils doivent mentionner le nom d'un écrivain français de l'après-guerre, les lecteurs anglo-saxons, même les plus gourmands, ne savent guère quoi répondre… Pourquoi, malgré son histoire, la littérature française ne se vend plus guère au-delà de la Manche et de l'Atlantique ? Pourquoi les Français eux-mêmes, tout en étant très fiers de leur tradition littéraire, lisent autant de livres traduits d'autres langues ? Ce sont les questions un rien provocatrices que pose un article de la BBC.

Les écrivains français contemporains sont méconnus par les Britanniques et les Américains

Selon les calculs du site Top Ten Books, qui invite les auteurs anglo-saxons célèbres à indiquer leurs livres préférés, Madame Bovary de Flaubert remporte la deuxième place tant dans le classement du 19e siècle que dans celui de « tous les temps ». Pour 18e siècle, Candide de Voltaire se place en 5e position et Les liaisons dangereuses  de Choderlos de Laclos en 10e, alors qu'au 20e siècle A la recherche du temps perdu de Proust remporte la 3e place. Mais parmi les écrivains vivants, aucun Français n'est cité.

A l'exception de Michel Houellebecq et de Laurent Binet (avec HHhH), aucun auteur français ne peut se vanter d'avoir percé le marché anglo-saxon: même Jean-Marie Gustave Le Clezio, qui a pourtant gagné le prix Nobel de la littérature en 2008, y est inconnu, constate l'article. Et pour ce qui est des habitudes françaises,

"l'observation certes non scientifique des lecteurs dans la ligne 1 du métro parisien depuis La Défense montre clairement que quatre personnes sur cinq lisent plutôt de la littérature américaine ou britannique", écrit la BBC. Pourtant, il existe 2000 prix littéraires en France…

La littérature française française pâtit d'un problème d'image

"Je souffre, vraiment, car les agents anglo-saxons ignorent tout simplement le marché du livre français", se plaint Christophe Ono-dit-Biot, qui vient de gagner le Grand Prix du roman de l'Académie française.

Alors qu'il a déjà publié cinq livres en France, il n'a pas encore été traduit au Royaume-Uni ou aux US et, selon la BBC, la même plainte est partagée par Marie Darrieussecq, Nelly Alard, Philippe Labro…

"Notre problème est l'image. Aux Etats-Unis, nous sommes connus pour le déconstructionnisme français. Ils nous considèrent trop intellectuels. Ils pensent que nous sommes fixés avec la théorie, et que nous ne sommes pas capables d'écrire des histoires… alors que nous savons le faire !", explique Christophe Ono-dit-Biot.

Pour vendre, mieux vaut-il se faire passer pour un écrivain espagnol

L'analyse de Marc Levy, qui a pourtant vendu plus de 40 millions de copies dans le monde, et dont le premier livre (Et si c'était vrai...) a inspire un film hollywoodien (au même titre) en 2005, est assez proche:

"Voici la caricature d'un éditeur britannique: quelqu'un d'absolument persuadé que si un livre est français, alors il ne pourra pas fonctionner au Royaume-Uni. Je plaisante souvent en disant que la seule manière d'être publié au Royaume-Uni, si on est français, c'est de faire semblant d'être espagnol… Avoir publié un best-seller en France est une recette infaillible pour ne pas conclure de marché dans ce pays. Quant aux éditeurs américains, ils sont convaincus qu'avec 350 millions de lecteurs potentiels et une large écurie d'écrivains américains, ils ont tout ce qu'il faut: tous les genres, tous les styles. Donc, pourquoi s'embêter ?"

"En France, environ 45% des romans vendus sont traduits d'une langue étrangère. Dans les pays anglo-saxons, c'est 3%", regrette Marie Darrieussecq, qui a gagné cette année le prix Medicis. "Cela prouve que les Français sont curieux des autres peuples et des autres cultures. Les anglo-saxons devraient l'être aussi".

Le marché du livre français est trop élitiste

Mais s'agit-il vraiment de manque de curiosité et de préjugés, se demande la BBC? Pas vraiment, répond David Rey, qui gère la librairie Atout Livre dans le 12e arrondissement de Paris et qui a vécu quelques années à Londres. En plus des coûts qu'implique la traduction des livres français, les différences de culture sont réelles.

"Les livres proposés en France sont très différents de ceux vendus au Royaume-Uni. Ils sont précieux, intellectuels: élitistes. Et trop souvent les librairies sont intimidantes. Les gens ordinaires son effrayés par l'ensemble de la culture du livre".

Le design n'est pas vraiment considéré comme un atout, et certains genres sont visiblement mésestimés: la vulgarisation historique et scientifique, les biographies, l'humour, le sport…

"Les livres en dehors du domaine de la fiction sont très académiques en France. Ils ressemblent à des thèses universitaires. Nous n'avons pas le talent anglo-saxon de la vulgarisation", regrette David Rey.

La tradition du roman social a été oubliée

Selon l'auteur américain Douglas Kennedy, qui fréquente beaucoup la France et y est très populaire, le roman français ne s'est jamais remis de la phase expérimentale de l'après-guerre.

"Si mes livres sont très populaires en France, c'est parce que je combine un style accessible avec des observations sérieuses sur le "style de vie contemporain". Et il y a clairement une grande demande pour ce que je fais. C'est ironique parce que ce sont les Français qui ont inventé le roman social au 19e siècle. Mais après la Seconde Guerre mondiale, cette tradition a disparu, remplacé par le "nouveau roman", qui était délibérément difficile. Aujourd'hui, alors qu'au Royaume-Uni ou aux US il est assez normal d'écrire sur l'état du pays, personne ne le fait en France".

Giulietta Gamberini
Commentaires 6
à écrit le 10/12/2013 à 9:46
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Il faut patiemment attendre que la culture Chinoise balaye cette horrible culture anglo-saxonne qui a mis moins d'un siècle pour bousiller la planète et qui a malheureusement lobotomisé la plupart d'entre nous.

le 21/12/2013 à 5:44
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Ah, vous pensez sincèrement que la culture chinoise n'est pas capable de lobotomiser la planète entière ?

à écrit le 10/12/2013 à 9:13
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Je suis moi même écrivain. Mes livres se sont vendus dans le monde entier en quelques millions d'exemplaires. Comment je fais : sur la m^me ligne, j'écris le mot en Francais et le mot en anglais. L'histoire n'est pas passionnante, mais je vends. Mes ...

à écrit le 09/12/2013 à 22:53
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J'ai trouvé l'astuce; je suis français, mais j'écris en anglais. Mon livre 2039 A preventive Fiction qui existe dans les deux langues (En français édité par moi-même et en anglais, sans avoir à être traduit par un éditeur). Il se vend mieux à l'étran...

le 10/12/2013 à 18:11
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L'anglais est une langue internationale, rien de surprenant dans ce que vous énoncé. La francophonie achetée à coût de millions n'y changera rien.

à écrit le 09/12/2013 à 20:34
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La même analyse pourrait s'appliquer à tous les produits culturels, cinéma, série TV, musique, voire même peinture si on se réfère aux ventes ces dernières années. Nos productions trouvent bien peu d'échos auprès des anglo-saxons... Ayant vécu à Lon...

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