Chine : le pari de l’économie socialiste de marché

[70 ANS DE LA CHINE. NB : à l'occasion de l'anniversaire de la République populaire de Chine, "La Tribune" republie certains articles qui éclairent le contexte historique de cet événement.] Comment gérer le ralentissement inéluctable d’une économie qui se « normalise », tout en restant l’un des plus gros moteurs de la croissance mondiale ? Tel est le défi de la transition chinoise vers un modèle plus orienté vers la consommation, les services et les TIC.
L'objectif de Xi Jinping est de parvenir à des règles de fonctionnement du marché plus transparentes, et la campagne contre la corruption en est une première illustration.
L'objectif de Xi Jinping est de parvenir à des règles de fonctionnement du marché plus transparentes, et la campagne contre la corruption en est une première illustration. (Crédits : Reuters)

En 2014, l'économie chinoise a enregistré son plus faible taux de croissance depuis vingt-cinq ans : 7,4% d'augmentation du PIB, contre 7,7% en 2012 et 2013, et une moyenne de 10% au cours des vingt-cinq années précédentes. En apparence, cette baisse est parfaitement en concordance avec les messages envoyés ces derniers mois par le gouvernement chinois, indiquant que le taux de croissance moyen au cours des prochaines années serait plus proche de 6,5% que de 7%. Toute la question est de savoir si ce ralentissement est « géré » par le gouvernement, qui entend faire migrer l'économie chinoise vers davantage de services, de technologie et de consommation, ou s'il est subi et annonce des jours difficiles, comme le pensent un certain nombre d'économistes.

Un gouvernement qui pilote à vue

Beaucoup d'indicateurs montrent que la Chine est entrée dans une période de ralentissement. Toutes les provinces ont annoncé une baisse de leurs objectifs de croissance, sauf le Tibet, qui vit sous perfusion d'investissements publics. Les chiffres de la production industrielle ont été médiocres pour le mois de janvier. Et la perspective d'un ralentissement plus prononcé que ne l'anticipent les autorités, se profile à l'horizon. La Banque centrale a même décidé de réduire le ratio de réserves obligatoires des banques, afin de les encourager à prêter davantage, une décision qui vient quelques semaines après une baisse des taux directeurs et des mesures de soutien direct (80 milliards de dollars de prêts) à un certain nombre de banques.

Le gouvernement et les autorités monétaires chinoises sont entrés dans une phase de d'assouplissement quantitatif (quantitative easing) encore mesurée, mais qui devrait se poursuivre dans les prochains mois. En outre, un élément nouveau s'invite dans le paysage, l'augmentation des sorties de capitaux : 91 milliards de dollars de déficit au cours du quatrième trimestre 2014, soit le montant le plus élevé depuis 1998. Pour la première fois depuis le lancement des grandes réformes économiques chinoises, le montant des investissements directs hors de Chine a dépassé celui des investissements étrangers sur le sol chinois. Et cette tendance devrait encore s'accentuer dans les prochains mois, vu l'attrait des entreprises chinoises pour les acquisitions et les investissements internationaux.

Vu d'Europe, ce ralentissement de la croissance chinoise apparaît bien modeste, et n'est, somme toute, que le reflet d'une conjoncture mondiale encore médiocre. Mais le Premier ministre chinois, Li Keqiang, a récemment rappelé l'ardente obligation de la Chine à maintenir un rythme élevé de croissance pour que le chiffre de 10 millions de créations d'emplois par an soit maintenu. Xi Jinping est en réalité confronté à trois difficultés : piloter la conjoncture à court terme, corriger les maux endémiques de l'économie chinoise, engager les réformes structurelles qu'il a annoncées ces derniers mois, au cours des différentes sessions du XVIIIe Congrès. Concernant la conjoncture, le gouvernement pilote à vue, lâchant du lest vers les banques afin qu'elles continuent de financer l'économie, laissant filer le renminbi afin de donner un peu d'air aux entreprises exportatrices.

Quant aux problèmes structurels de l'économie chinoise, ils sont connus. Ils sont le fruit de la combinaison d'une bulle immobilière et d'une bulle de crédit. L'immobilier représenterait aujourd'hui environ 25% de l'activité économique, une proportion plus importante qu'aux États-Unis, en Irlande ou en Espagne, lorsque ces pays étaient au sommet de la spéculation immobilière, avant 2008. Et cette frénésie de construction ne ralentit pas : l'investissement dans l'immobilier a augmenté de plus de 10% en 2014, cela alors que selon les statistiques officielles, 26% des surfaces neuves étaient inoccupées à fin décembre 2014. La baisse des cours de l'acier et du cuivre, aujourd'hui au niveau de ceux observés au coeur de la crise financière de 2008-2009, sont un premier indicateur d'une baisse programmée de la construction. Mais les risques d'un éclatement de la bulle immobilière, récemment relevés par la Banque mondiale, seraient d'une telle ampleur, que l'ensemble de l'économie chinoise en serait gravement affecté. Car une bonne partie de cette activité repose sur de la dette.

Dans toutes les provinces chinoises, même les plus éloignées, les gouvernements locaux ont multiplié les constructions, qu'il s'agisse d'infrastructures, de locaux industriels ou d'immobilier. Entre 2011 et 2013, la dette des régions a augmenté de 80%, en dépit des objurgations de Pékin qui a interdit aux gouvernements provinciaux de lever des montants excessifs d'emprunts. Selon des statistiques encore partielles, les gouvernements locaux auraient émis l'équivalent de 256 milliards de dollars d'obligations en 2014, contre 144 milliards pour chacune des deux années précédentes. Faire diminuer ces deux bulles est une opération si périlleuse que le gouvernement central ne s'y est pas encore réellement attelé. La vente de terrains à construire représente 35 % des revenus des gouvernements locaux. D'où leur soif d'en acquérir toujours davantage, au moyen de véhicules financiers souvent peu transparents et non régulés, qui concourent à la part irraisonnable de la finance de l'ombre (shadow banking). Si les tendances à la baisse des prix de l'immobilier se confirment, si l'acquisition de terrains par les promoteurs privés continue de diminuer, le risque d'insolvabilité de certains gouvernements locaux va devenir patent, entraînant avec lui la déconfiture de véhicules spécialisés, qui se répercutera sur les investisseurs qui les ont financés, qu'il s'agisse des banques publiques ou privées.

 Xi Jinping veut devenir  "le grand réformateur"

Reste le grand projet de Xi Jinping, de construire une économie socialiste de marché en accélérant le processus de réformes d'ici à 2020. Son objectif est de parvenir à des règles de fonctionnement du marché plus transparentes, et la campagne contre la corruption en est une première illustration. Il vise à faire prospérer de façon homogène les grandes entreprises publiques, dont la gouvernance doit être réformée et les relations avec l'État revues, et le capitalisme privé. Figurent aussi dans le programme des réformes la libéralisation des marchés financiers, la réforme de la propriété foncière et agricole, l'accélération de l'effort de recherche, le développement des sciences et des technologies, la modernisation de l'appareil de planification, la réduction du contrôle de l'État sur l'économie, le développement des zones de libre-échange...

Prises à la lettre, ces réformes sont d'une ampleur comparable à celles de Deng Xiaoping dans les années 1980. À l'image de son légendaire prédécesseur, Xi Jinping entend devenir le Grand réformateur de la Chine, dans un environnement plus complexe, encore plus mondialisé, et dans une conjoncture économique moins porteuse. Un défi à la taille de la Chine...

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