François Hollande, un champion du fédéralisme européen bien isolé

Par Romaric Godin  |   |  1861  mots
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Dans son discours devant le parlement européen, le président français a opposé un fédéralisme accru au libéralisme nordique. Un discours de rupture qui n'en constitue pas moins un pari assez risqué.

Le discours de François Hollande devant le parlement de Strasbourg ce mardi avait beau être un des plus fédéralistes qu'ait prononcé un chef d'Etat européen depuis fort longtemps, il n'en a pas moins pris acte d'un fossé qui ne cesse de se creuser depuis quelques mois au c?ur du vieux continent entre son « nord » et son « sud ».

La faille européenne perdure

Plus qu'un fossé, il s'agit en fait d'une faille géologique. Une sorte de grand rift comme celui qui traverse l'Afrique orientale. Economiquement, politiquement, culturellement, cette faille a toujours séparé les pays anti-inflationnistes, exportateurs, libéraux, des pays consommateurs, étatistes et inflationnistes. Mais ces différences sont restées longtemps insensibles ou indicibles, dissimulées par des compromis subtils qui reportaient les décisions à plus tard. Mais en réalité, les deux plaques de l'Europe n'ont cessé de s'éloigner l'une de l'autre. Aujourd'hui, la faille ne peut plus être cachée. Depuis l'automne dernier, les discours britanniques, néerlandais, finlandais, allemands sont de plus en plus éloignés de ceux des Français, des Italiens ou des Espagnols. L'union bancaire, le budget européen, l'avenir institutionnel du continent, la sortie du cercle vicieux de l'austérité et de la déflation sont autant de discussions dans lesquelles prospèrent désormais les soubresauts tectoniques de cette faille.

Attaques contre David Cameron et Angela Merkel

Le sommet européen de jeudi et vendredi prochains devra donc se tenir sur ce bien incommode fossé. Et si François Hollande a affirmé qu'il voulait « chercher un accord », il a néanmoins décidé de prendre la tête de la partie sud de la faille. D'abord sur la forme. David Cameron et Angela Merkel se sont sans doute souvent sentis visés par les allusions du président français. Lorsqu'il a défendu l'aide européenne contre la pauvreté ou demander que l'on ouvrît le « chantier du salaire minimum européen », la chancelière qui réclame l'abandon de la première aide et tente de réduire la portée de tout salaire minimum en Allemagne, a dû grincer des dents. Quant à David Cameron, il a été une cible quasi constante de François Hollande qui a fustigé son comportement pendant la prise d'otages algérienne et repoussé avec mépris cette «Europe à la carte »  tant défendue voici quelques jours par le premier ministre néerlandais qui, lui, il est vrai, est de l'autre côté de la faille. François Hollande a aussi affirmé que son ambition était la défaite « de la conception de Margareth Thatcher », l'icône du premier ministre britannique.

Mais il y a en réalité plus que ces querelles personnelles. La logique de François Hollande sur les grands sujets qui engagent l'avenir de l'Europe semble entrer en collision frontale avec celle de David Cameron, mais aussi avec celle d'Angela Merkel. Un rapide tour d'horizon le prouvera.

La bataille du budget

Sur le budget européen, l'Allemagne et le Royaume-Uni, mais aussi la plupart des pays du nord du continent (Pays-Bas, Danemark, Suède, Finlande, Autriche...) réclame une limitation ou une baisse du budget de l'Union sur la période 2014-2020. La logique avancée est que l'Union européenne ne peut échapper à l'austérité générale qui est mise en place sur l'ensemble du continent. Puisque les Etats doivent limiter leurs dépenses, il faut que leurs contributions à l'UE soient réduites et que les prestations européennes subissent le même sort. Sur ce point, la position développée par le président français est entièrement inverse : il a présenté le budget européen comme le « prolongement du pacte de croissance » décidé en juin dernier. Et d'ajouter : « à quoi bon avoir accepté un pacte de croissance si on doit mettre en place un budget de déflation ? »

Pour François Hollande, le budget européen est donc un « barrage » contre l'austérité et non un « complément » de cette austérité. C'est pourquoi il ne semble vouloir céder sur rien : la PAC, les fonds de cohésion, les budgets de la recherche, celui de la lutte contre la pauvreté. Il faut tout conserver et même augmenter. « Il faudra raisonner ceux qui veulent réduire le budget européen », a-t-il martelé. Autrement dit, dans le choc des deux logiques, pas question de céder.

Désaccords sur la politique économique

Sur la politique économique, les pays du Nord, Allemagne et Royaume-Uni compris, plaident toujours pour des politiques d'ajustements nationales permettant d'améliorer la compétitivité des pays concernés. David Cameron a appelé à des réformes d'envergure des marchés du travail, Angela Merkel a salué les « premiers succès » (contestables) des politiques d'austérité. Ces pays ne souhaitent pas de coordination des politiques européennes qui prendraient en compte le tout européen. Ils souhaitent que l'Europe soit une zone de compétition où les pays améliorent leurs compétitivités relatives.

A l'inverse, François Hollande a réclamé une politique économique pensée au niveau européen. Il a repris l'argument de la relance par la demande intérieure des pays à fort excédent pour aider les exportations des pays en déficit. Réclamée par Mario Monti à l'été 2012, c'est une pierre dans le jardin d'Angela Merkel.  Ce que souhaite le président français, c'est clairement que l'Allemagne renonce à une partie de sa compétitivité pour améliorer celle des autres. Une politique que l'on rejette depuis toujours à Berlin.

Un conception très différente de la solidarité

Sur la solidarité, les Allemands ont toujours eu une position très restrictive. En bons libéraux, ils n'envisagent aucune solidarité sans responsabilité. La vision de la solidarité est celle qui s'est imposée dans la politique européenne : c'est une aide ponctuelle sous les conditions les plus strictes. C'est la logique qui a présidée à la création du Mécanisme européen de Stabilité. Tout ceci vise à empêcher toute « union des transferts. » La position de François Hollande est différente : elle repose sur des politiques communes qui sous-entendent forcément des financements communs. D'où la rapide allusion aux « Eurobonds », qui est un véritable casus belli pour l'Allemagne et que la France avait abandonnés par la voix de son premier ministre dès juin. Elle repose également sur des politiques sociales (financement de la transition professionnelle, salaires minimums, lutte contre le chômage) qui sont autant d'éléments inacceptables pour les pays du Nord qui y laisseraient une partie de leurs avantages compétitifs. Là encore, cette conception de la solidarité a peu de chances de s'imposer. Mais c'est désormais un élément de ce fossé entre nord et sud.

La réforme des institutions en panne

Sur l'architecture institutionnelle future de l'Europe, François Hollande s'oppose à la fois à la position britannique et à la position allemande. A « l'Europe à la carte » de David Cameron, Paris oppose une « Europe différenciée. » Cette conception, dont le président français fait remonter l'origine à Jacques Delors consiste à faire tenir l'Europe sur un « socle commun indiscutable », puis à approfondir des éléments précis avec les pays volontaires, afin que chacun puisse y entrer ensuite. L'exemple, c'est l'euro, mais aussi Schengen. Autant de choix que n'a pas fait le Royaume-Uni qui entend, lui, négocier jusqu'au « socle commun. »

Mais la divergence est encore plus frappante avec l'Allemagne. François Hollande s'est avancé très loin devant les députés européens, réclamant une « union politique » de la zone euro avec un « gouvernement de la zone euro doté d'un budget et des instruments financiers. » Il a même proposé de réviser les traités après les élections européennes de 2014. En Allemagne, on parle certes aussi d'union politique, mais ce stade est toujours présenté comme ultime, une fois que les pays du sud auront achevé leur rattrapage. La seule proposition concrète faite sur ce point par Berlin a été celle de Wolfgang Schäuble à l'automne d'un « super commissaire » aux affaires financière. Mais l'Allemagne refuse toujours le renforcement des moyens de la Commission européenne et on la voit clairement mal abandonner sa souveraineté. Ce serait, du reste, bloqué immédiatement par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

L'euro

Enfin, le véritable casus belli contenu dans le discours de François Hollande concerne la BCE et l'euro. En réclamant une « vrai politique de change » pour la zone euro, le président français a provoqué ouvertement l'Allemagne. Certes, il s'est empressé de corriger, affirmant qu'il ne voulait pas toucher à l'indépendance de la BCE, mais comment autrement empêcher « l'euro de fluctuer au gré des marchés. » Pour stabiliser l'euro à un « niveau conforme à la réalité économique », il faut clairement agir sur le marché, soit par une politique monétaire, soit par un contrôle des changes. Si François Hollande souhaite imposer une valeur de l'euro que la BCE devra faire respecter, il faudra modifier les statuts de cette dernière. Mais l'objectif d'inflation pourra-t-il alors être maintenu ? Et quelle sera la « bonne valeur de l'euro ? Sera-ce celle qui bénéficie à la France, à la Grèce ou à l'Allemagne ? Qui décidera de cette valeur et comment ? Autant de questions qui devraient provoquer l'ire des Allemands intransigeants sur la politique de lutte contre l'inflation qui détermine le bon taux de change de l'euro et sur l'indépendance de la BCE n'est pas discutable. La stabilité de la monnaie ne se décrète pas, pour les Allemands, elle s'impose par la politique monétaire. Pas besoin donc de fixer un taux pivot à l'euro.

Un jeu risqué pour le président français

 pour mFrançois Hollande a donc clairement pris acte de la faille européenne. Son discours constitue une vraie rupture. Il a ainsi retrouvé les accents du tout début de son quinquennat. Accents qu'il avait abandonnés avant le sommet de la fin juin 2012. Mais le président français semble déterminé à contrebalancer l'influence des pays du nord. L'enjeu n'est pas mince. Il s'agit pour lui, comme il l'a souligné, de bloquer le projet d'une Europe « addition de nations et d'intérêts », pour en revenir à une vraie solidarité. Mais, objectivement, ses leviers sont faibles. Les pays du nord sont en position de force, les pays du sud faibles. L'Italie est en pleine campagne électorale et peine à définir une ligne, le gouvernement espagnol est allé chercher l'appui d'Angela Merkel pour renforcer sa position affaiblie par la corruption. François Hollande a cherché l'appui des députés européens en se présentant comme le champion de la cause fédéraliste, mais sera-ce suffisant ? Rien n'est moins sûr. La France reste affaiblie par sa position précaire sur les marchés. Et surtout, le durcissement du discours de François Hollande pourrait conduire à jeter l'Allemagne dans une alliance avec le Royaume-Uni. Une alliance qui aurait des conséquences importantes pour l'avenir de l'Europe. Et pas celles voulues par le président français.