Quand Mario Draghi fait la leçon aux Américains sur l'euro

Par Romaric Godin  |   |  803  mots
Le président de la BCE a défendu mercredi à Harvard la monnaie unique et a répondu aux habituelles critiques américaines. Mais a-t-il vu juste ?

 L'histoire est parfois ironique. Voici un peu plus d'un an, le président de la BCE Mario Draghi aurait sans doute reçu des leçons aux Etats-Unis. On lui aurait opposé la solidité politique et économique américaine avec le chaos instable de la zone euro. Mais mercredi soir à Harvard, c'est l'ancien directeur du Trésor italien qui a fait la leçon à ses auditeurs américains.

L'incompréhension américaine sur l'euro

« Dans les jours sombres de la crise, beaucoup de commentateurs de ce côté-ci de l'Atlantique regardaient la zone euro et étaient convaincus qu'elle échouerait », a rappelé Mario Draghi. « Ils avaient tort », conclut-il.

D'abord, sur le plan macroéconomique. « La zone euro a créé 600.000 emplois de plus que les Etats-Unis depuis 1999. » mais surtout « sur un plan plus fondamental, ils ont sous-estimés la profondeur de l'engagement des Européens dans l'euro. » « Ils ont pris l'euro pour un régime de taux de change fixe, alors que c'est une monnaie unique irréversible. Et elle est irréversible, parce qu'elle est née de l'engagement des Européens pour une intégration plus forte des nations européennes. »

Réponse aux arguments américains

Autrement dit, la force de l'euro, c'est, pour Mario Draghi, moins son fondement économique que son fondement politique. Dans son discours, le président de la BCE s'est, du reste, efforcé de comparer l'intégration européenne et celle des Etats-Unis, en montrant combien la première n'avait rien à envier à la seconde.

La vieille Europe serait incapable de s'unir comme l'a fait la jeune Amérique ? « Les Etats-Unis sont souvent présentés comme un pays jeune, mais l'institution que j'ai l'honneur de diriger est encore plus jeune », répond Mario Draghi. Les institutions européennes sont inefficaces ? Mais, rappelle le président de la BCE, la Fed n'est née qu'en 1913 et a eu bien du mal à s'imposer outre-Atlantique. L'Union économique et monétaire n'est pas « parfaite » ?

Certes, répond le banquier central, mais l'UE est engagée dans un processus d'une « union plus parfaite », termes qu'il tire du… préambule de la constitution des Etats-Unis !

Une situation rêvée pour la BCE

Bref, Mario Draghi a pris une certaine revanche. Il est vrai que la situation actuelle lui est bien plus favorable. Alors que les Etats-Unis sont paralysés par leur système institutionnel qui menace de les pousser au défaut, l'euro ne semble plus remis en cause par les marchés.

L'OMT, l'arme magique de « Super Mario » a mis fin aux spéculations de démembrement de la zone euro. L'économie européenne repart progressivement, l'architecture de l'union bancaire commence à se mettre en place.

Mario Draghi est allé un peu vite en besogne

La vérité oblige cependant à constater que le président de la BCE a peut-être été un peu vite en besogne. On sait la reprise fragile et faible en zone euro. Du reste, lui-même l'a reconnu lors de sa dernière conférence de presse et c'est précisément pour cela qu'il reste l'arme au pied, se disant « prêt à agir. »

L'union bancaire a-t-il affirmé sera bouclée d'ici à 2015… C'est un scénario bien optimiste quand on sait que le mécanisme de résolution unique, le cœur du réacteur de cette union bancaire, est encore dans les limbes et que les divergences entre Européens à ce sujet sont encore très fortes.

L'engagement des Européens pour l'euro ? Oui, mais…

Enfin, il est un peu hardi de faire de l'attachement des Européens à l'euro le socle de l'immortalité de la monnaie unique. La dernière enquête Eurobaromètre de juillet 2013 montre que le soutien à l'euro dans la population n'est plus que de 51 %. C'est dix points de moins qu'il y a deux ans.

Parallèlement, les Européens opposés à l'euro sont 42 % soit neuf points de plus qu'en 2009. Certes, les citoyens des pays membres de la zone euro sont largement favorables à l'euro et la proportion au niveau de l'UE est surtout abaissée par l'hostilité des pays qui n'ont pas encore l'euro comme monnaie. Mais la tendance est partout la même.

Et certains faits sont inquiétants. L'entrée de la Lettonie dans l'UEM le premier janvier prochain va se faire dans un climat d'hostilité générale à l'égard de l'euro. Dans la plupart des grands pays de la zone euro, les partis anti-européens ont le vent en poupe : ils sont majoritaires dans la population aux Pays-Bas, ils dépassent les 20 -% en Grèce, en Italie et en France…

Il est vrai que Mario Draghi a déjà affirmé la semaine dernière que la poursuite de l'austérité était le bon moyen de rétablir et de renforcer cet engagement des Européens pour l'euro.