Europe : Manuel Valls relance la machine infernale

Par Romaric Godin  |   |  1146  mots
Manuel Valls a lancé la France dans une dévaluation compétitive interne fort risquée
Avec son plan, le gouvernement français a tenté une dévaluation interne d'envergure. Une tentative qui est risquée pour toute l'Europe.

L'obsession du saint Graal européen des 3 % du PIB de déficit budgétaire le fait un peu oublier, mais les mesures annoncées par Manuel Valls mercredi 16 avril ne sont pas que de simples mesures de consolidation budgétaire. Du reste, l'annonce que Bruxelles était prête à accorder quelque délai le prouve. Paris a voulu en réalité franchir une nouvelle étape dans une politique économique entamée en 2011 et qui désormais s'accélère. La logique de cette politique est la suivante : libérer des capacités budgétaires pour « améliorer la compétitivité externe » du pays par une baisse des charges. Une logique nettement plus franche que celle des précédentes, notamment celle du CICE puisque les marges budgétaires se font non pas sur un alourdissement de la fiscalité qui rendait de fait le CICE moins performant, mais sur la baisse des dépenses publiques. C'est donc clairement une accélération dans cette stratégie qu'il faut bien qualifier de « dévaluation interne. »

La nécessité de la dévaluation interne

En réalité, le gouvernement français n'avait guère le choix. Incapable d'utiliser l'arme budgétaire pour relancer la croissance, Paris ne peut pas davantage jouer sur l'arme monétaire qui est entre les mains de la BCE. Du reste, même si l'euro baissait, cette baisse ne jouerait que sur 45 % des exportations françaises et ne permettrait pas de combler l'écart de compétitivité hors coût qui sépare la France de l'Allemagne puisque les deux pays ont la même monnaie. On peut même imaginer que la baisse des prix des produits allemands à l'export dans la foulée de la baisse de l'euro  entraîne un effet de fuite depuis les produits concurrents français jugés moins attractifs. Bref, même en cas de baisse de l'euro (ce qui est loin d'être acquis), il faudra, puisque l'euro « gèle » les écarts entre la France et les pays de la zone euro, acquérir un avantage coût supplémentaire pour « faire la différence. » D'autant que le renchérissement des importations obligera à faire porter l'effort sur les autres coûts de production. Voilà pourquoi la dévaluation interne est inévitable.

Une politique efficace pour la France ?

L'ennui, c'est que cette voie semble bien peu adaptée à son économie. Davantage désindustrialisée que l'Espagne et l'Italie, la France aura bien plus de mal à « profiter » de l'effet positif de l'amélioration de sa compétitivité externe, alors que la pression sur la demande interne jouera très nettement de façon négative. Le cas des exemples de 2010-2011 est frappant : l'Irlande, très fortement industrialisée a ainsi retrouvé beaucoup plus rapidement la croissance que la Grèce, peu industrialisée et peu tournée vers l'exportation. La facture sociale et économique est très différente dans les deux cas. Bref, cette stratégie de simple amélioration de la compétitivité coût ne semble pas la plus adaptée à la France. Si l'on en voulait une preuve, on pourrait observer le coût moyen horaire du travail dans l'industrie manufacturière. Selon Eurostat, ce coût, entre 2010 et 2013 a progressé de 6,7 %, contre 8,9 % en Italie et 9,9 % en Allemagne. Et pourtant, ce ne sont pas les exportations qui ont maintenu l'économie française hors de l'eau durant cette période. 

Course à l'échalote européenne

Mais, pourtant, la France est aujourd'hui encore menacée d'être décrochée en termes de compétitivité coûts. L'état des prix à la production en zone euro est fort inquiétant. Certes, en février, les prix à la production industrielle ont reculé de 0,1 % sur un an, mais c'est très insuffisant au regard des principaux concurrents européens. En Allemagne, le recul est de 0,9 %, en Italie de 1,4 %, en Espagne de 2,7 % ! La France est donc menacée d'être débordée sur ses coûts de production. Voilà pourquoi aussi le gouvernement Valls a décidé d'accélérer et de se lancer dans une dévaluation interne. Mais cette logique est redoutable, il faut faire baisser les prix plus vite que nos « partenaires » au risque d'entraîner le reste de l'économie intérieure dans cette logique et de provoquer la déflation. Car, dans cette lutte à la baisse des prix, l'investissement a peu de chance de repartir et la baisse des charges risquent de ne pas suffire. Il faudra encore baisser les coûts en licenciant et pressant les salaires. Et donc transmettre cette baisse des prix à une économie intérieure déjà comprimée par la consolidation budgétaire. D'autant que, on l'imagine bien, si la France commence à rattraper son retard, nos partenaires ne manqueront pas de réagir, notamment l'Italie et l'Espagne qui disposent de produits en concurrence directe avec les produits français.

Le retour des dévaluations compétitives… en pire !

Cela ne vous rappelle rien ? Mais si, bien entendu ! C'est la même logique que celle des dévaluations compétitives des années 1970-90. Celles dont l'euro était censé nous prémunir pour le restant de nos jours. Et ces dévaluations internes sont tout aussi dangereuses que les dévaluations externes, car elles produisent potentiellement de la déflation. Un phénomène dont il est très difficile de sortir. D'autant qu'elle est alimentée par la compétition interne à la zone euro et que l'arme budgétaire est inexploitable (souvenez-vous du pacte budgétaire et de sa « règle d'or »). Certes, il peut y avoir des effets positifs, notamment sur les investissements étrangers. Mais ce sera un phénomène lent (là aussi la concurrence va jouer à plein) et pour réindustrialiser la France, il faudra beaucoup de temps et une baisse très marquée du coût de production. 

La BCE face à sa propre impuissance

La route sur laquelle Manuel Valls vient de faire accélérer la France est donc une route sinueuse et extrêmement dangereuse. Certains estiment que le contre-feu de la BCE pourrait venir apaiser ce danger. Sans doute en partie, mais il ne règlera pas la question de la compétitivité interne à la zone euro et la nécessité de baisser les prix. Face à une telle machine infernale, Mario Draghi devra choisir un outil efficace pour agir non seulement sur l'euro, mais aussi, et puissamment, sur l'investissement. Il n'est pas certain qu'il en ait à sa disposition et l'on a vu que l'effet au final risque d'être peu probant. Et pendant ce temps-là, les dégâts sur les sociétés européennes de cette politique de contraction de la demande interne continueront de saper les systèmes politiques, rajoutant du risque au risque. Plus que jamais, l'Europe doit réagir face à cette logique. Mais le peut-elle ?