Victoire du "non" en Ecosse : les leçons pour l'Europe

Le refus des Ecossais de s'engager dans la voie de l'indépendance est perçue comme une victoire par les Européens. Mais l'Union européenne doit réfléchir à sa stratégie face aux régionalistes.
L'Ecosse ne sera pas indépendante.

Ce sera donc « non, merci. » Les électeurs écossais ont en effet, avec une majorité assez nette, rejeté l'option de l'indépendance. Ce résultat a dû provoquer un large soupir de soulagement dans la plupart des chancelleries européennes et à Bruxelles, où l'on s'était presque ouvertement déclaré en faveur du maintien du Royaume-Uni dans sa forme actuelle. Mais il se pourrait que ce soulagement ne soit que passager. Que l'affaire écossaise, plus qu'une fin ne soit qu'un début. Les conséquences de la tenue de ce référendum ouvrent en effet de nouveaux défis.

Le Royaume-Uni va devoir changer

Pour le Royaume-Uni, d'abord. Devant la poussée indépendantiste, Londres a dû accepter de promettre plus de pouvoir au gouvernement régional écossais. Il va falloir que les actes suivent. Dans la nouvelle répartition des pouvoirs au sein du Royaume-Uni, quel sera le poids des régions ?  Dans la campagne, les questions européennes et de politique étrangère ont joué un rôle important. Beaucoup d'Ecossais se sont sentis « victimes » du choix de la majorité anglaise sur ces questions. Ils se sont souvenus de l'entrée en guerre en Irak en 2003 et ils ont pensé à l'éventuel référendum de 2017 sur le maintien du Royaume-Uni dans l'UE. Londres acceptera-t-elle de donner plus de pouvoir à Edimbourg (mais aussi à Belfast et Cardiff) sur ce sujet ? La question qui se posera est de savoir si cette nouvelle « constitution » britannique peut in fine influencer la position du Royaume-Uni en Europe. Autre point : celle de l'austérité. Le « oui » s'est appuyé sur un refus de la politique de la coalition qui gouverne à Londres. La dévolution ira-t-elle jusqu'à permettre à l'Ecosse de pouvoir faire un autre choix ? Cela paraît difficile, mais déjà les leaders britanniques ont promis plus de pouvoir à Edimbourg sur le système de santé.

Une chose est sûre : si les autorités britanniques refusent plus de dévolution à l'Ecosse, alors la question de l'indépendance reviendra. L'écart entre les derniers sondages et le résultat final prouve que le choix de beaucoup d'électeurs s'est fait au dernier moment. Autrement dit : les Ecossais ont pris conscience de ce qui les séparaient du reste du Royaume où le parti eurosceptique UKIP a triomphé le 25 mai, mais les scénarios catastrophistes tissés par les « experts » en tous genres ont finalement été les plus forts. La majorité des Ecossais a refusé de lâcher la proie pour l'ombre. Mais si Londres refuse d'entendre le message, si la position plus europhile et plus sociale des Ecossais n'est pas entendue, les Nationalistes écossais ne pourront qu'en profiter. Et, dans quelques années, ils seront de nouveau en mesure de proposer un autre vote sur l'indépendance. C'est ce qui s'est passé au Québec après le référendum de 1980, largement gagné (à 55 %) par les fédéralistes. En 1982, Ottawa a « rapatrié » la constitution canadienne en isolant le Québec au sein de la discussion sur le pouvoir des provinces. Les Indépendantistes québécois ont alors pu imposer un second référendum en 1994 où le choix du maintien dans le Canada s'est joué sur une poignée de votes.

Inconséquence européenne

Pour l'Europe, ce référendum écossais est lourd d'enseignements. D'abord, il a prouvé l'impréparation des institutions européennes à une telle situation et leur inconséquence. Bruxelles a clairement pris le parti du « non. » Durant toute la dernière semaine de campagne, les responsables de la Commission ont prévenu que l'Ecosse serait de facto exclue de l'UE en cas d'indépendance et que sa réintégration serait difficile, longue, voire impossible. Mais ce choix est des plus risqués. Le parti nationaliste écossais, le SNP, était un parti plutôt favorable à l'UE. Il entendait faire de l'indépendance une défense contre la montée de l'UKIP et contre la tentation eurosceptique des Tories. Désormais, le SNP sait ce qu'il peut attendre en retour de ce dévouement à l'UE. Bruxelles a très clairement jeté le nationalisme écossais dans le camp eurosceptique et il y a fort à parier que, désormais, le SNP développe encore davantage l'idée du modèle norvégien. Dans le contexte britannique, les dirigeants européens ont clairement joué avec le feu.

D'autant que Bruxelles va désormais devoir faire face à un autre référendum, celui sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'UE qui pourrait être prévue en 2017. Quel sera le choix des Ecossais à ce moment-là ? Ceux qui ont voté « oui » à l'indépendance seront-ils tentés de voter pour le maintien dans une UE qui les a menacés d'exclusion en 2014 ? Rien n'est moins sûr. Désormais, l'UE risque de ne pas avoir bonne presse en Ecosse, la seule région du Royaume-Uni où elle était populaire. Or, le résultat du référendum de 2017 risque d'être encore plus serré que celui de ce jeudi en Ecosse. Les voix des partisans du « oui » à l'indépendance écossaise ne seront donc pas de trop. La prudence aurait voulu que l'UE se montre prudente au pire, neutre au mieux dans cette affaire. Le choix qui a été fait risque de coûter bien plus cher en 2017 à l'Europe que ne l'aurait été l'indépendance écossaise.

La contagion stoppée ?

Le seul moteur de l'attitude de l'UE a été la crainte de la contagion. De ce point de vue, le « non » écossais est-il un succès qui découragera les Nationalistes catalans, basques ou vénitiens ? Rien n'est moins sûr. L'existence même du référendum, autrement dit de la possibilité du choix est un succès pour ces mouvements. Les Catalans qui se battent pour pouvoir organiser un tel scrutin le 9 novembre prochain peuvent toujours se prévaloir de ce référendum écossais pour que Madrid leur donne le droit de s'exprimer. Le résultat de ce jeudi est loin, du reste, d'être décourageant pour les autres mouvements régionalistes. L'Ecosse est un cas particulier. Son nationalisme est récent et il ne s'appuie pas sur une langue « nationale. » Et pourtant, le choix de l'indépendance a été celui de 44 % des électeurs. Dans les cas catalan ou basque (pour ne citer qu'eux), où l'on peut s'appuyer sur une vieille tradition, sur une résistance à l'oppression récente et sur une langue « nationale » vivante, on peut penser que ce choix soit plus fort. Bref, le vote de ce jeudi ne met certes pas fin à la poussée régionaliste en Europe.

Là encore, l'attitude de l'UE sur l'Ecosse peut se révéler contre-productive en affaiblissant les mouvements régionalistes pro-UE (PNV au Pays Basque et CiU en Catalogne) au profit des mouvements les plus radicaux qui sont prêts s'il le faut à quitter l'UE pour obtenir un Etat (Bildu en Euskadi et ERC en Catalogne). Il est donc urgent que l'UE se prépare à la possibilité d'une sécession d'un de ces Etats dans son cadre. Nier le problème ou le caricaturer comme l'a fait François Hollande jeudi soir (en faisant de l'indépendance un repli sur soi quand précisément les Nationalistes écossais combattaient le repli sur soi britannique) ne pourra qu'inciter à faire de l'UE ce qu'elle n'a pas été jusqu'ici : un ennemi des régionalistes. Bruxelles et les Etats membres non concernés ferait mieux d'adopter un principe de neutralité en prévoyant une procédure de réadmission rapide des nouveaux Etats dans une UE dont ils ont été une part avant leur indépendance. Alors, la question de l'indépendance pourra se décider calmement, sans drame et façon maîtrisée, en respectant la volonté des peuples concernés.

Le pouvoir par la peur ?

La dernière leçon pour l'Europe de ce référendum écossais concerne la question de la démocratie. La campagne écossaise a été marquée, dès que la possibilité d'une victoire du « oui » est devenue réelle, par un déferlement incontrôlable d'analyses catastrophistes. L'indépendance de l'Ecosse allait déclencher les pires maux sur le nouveau pays. Ces analyses reposaient en réalité sur des scénarios irréels, notamment en ce qui concerne la monnaie. L'Ecosse, n'en déplaise à ces brillants experts, n'eût pas été le premier pays à sortir de l'empire britannique, il n'eût pas été non plus le premier pays à prendre son indépendance. Or, la littérature économique n'a jamais été capable de prouver que de tels processus provoquent à coup sûr une catastrophe. Mais il fallait faire peur. Cette façon de faire rappelle ce qui s'est passé en juin 2012 en Grèce lorsque l'on promettait aux Grecs, si Syriza arrivait en tête, les pires maux : des pénuries alimentaires ou sanitaires, le rationnement de l'essence, etc. Telle semble donc être l'état de la démocratie européenne. Pour obtenir le « bon » résultat, on semble prêt à jouer sur la terreur, sur la peur à coup de « savantes analyses. » L'ennui, c'est que ce canon n'est peut-être pas indéfiniment efficace. Lorsque les peuples sont mécontents de leur sort, les scénarios les plus sombres leur font moins peur. On le voit en Grèce où Syriza caracole désormais en tête des sondages parce que nulle étude bancaire, nulle menace de « bank run » ne fera plus croire aux Grecs qu'il peut leur arriver pire que ce qu'ils ont subi depuis 2010. Si Londres et Bruxelles persistent donc dans leurs politiques austéritaires suicidaires, non seulement les tentations régionalistes ne se tariront pas, mais la recette utilisée en Grèce en 2012 et en Ecosse cette année risque d'être largement émoussée.

La victoire du « oui » ne clôt donc pas la question du régionalisme pour l'UE. Bruxelles et les Etats membres n'ont clairement pas été à la hauteur de l'enjeu face à la question écossaise. Il leur revient désormais de préparer l'avenir. En seront-ils capables ?

Commentaires 30
à écrit le 20/09/2014 à 18:50
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L'EU ne fait plus rêver! Et c'est un européen qui l'écrit! C'est dire!

à écrit le 19/09/2014 à 20:57
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Nous les catalans on sera plus courageux pour faire un état indépendant avec les espagnols.

à écrit le 19/09/2014 à 20:47
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Des tres bonnes analyses,concernant la Grece (et l Ecosse ). C est le mythe du _Berger et du Loup _

à écrit le 19/09/2014 à 18:31
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La seule leçon que l'on peut tirer du résultat de ce référendum est qu'il faut laisser s'exprimer les sensibilités régionales et donner plus de pouvoir et de ressources aux régions, les Etats conservant les missions régaliennes (défense, police, just...

à écrit le 19/09/2014 à 17:21
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Cameron , peut faire des concessions ...2017 approche et l' UKIP aussi , avec une pensée diamétralement opposée aux Ecossais .

à écrit le 19/09/2014 à 16:57
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Les bureaucrates de Bruxelles auraient-ils un problème avec la démocratie ? En constatant l'influence des lobbies (doit on dire des mafias?) sur ces gens, nous sommes en droit de nous inquiéter pour l'avenir des Européens. Un exemple : la négociati...

à écrit le 19/09/2014 à 16:31
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La réponse négative des ECOSSAIS. au referendu qui leur étaot propose, constitue la dernière des plus grandes défaites de l'UNION EUROPEENNE, qui repose à l'origine sur l'independance de ses membres, k

à écrit le 19/09/2014 à 16:23
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Ne diriger que par la peur l'Europe, enfin ses dirigeants, n'est pas crédible. Si vous quitter, si …l'excommunication est l'antienne préférée des pouvoirs absolus qui tremblent d'une remise en cause qu'ils ne pourraient supporter. Mais faire partie d...

à écrit le 19/09/2014 à 14:36
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Bravo les britanniques ! Un grand peuple reste toujours uni

à écrit le 19/09/2014 à 14:22
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La place que réserve La Tribune à cet évènement de portée mondiale est très instructive quant à la hiérarchie que ce journal attribue aux actualités! Quel aveuglement!

le 19/09/2014 à 17:09
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Je ne comprends pas votre commentaire...

à écrit le 19/09/2014 à 14:11
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Déçu absence de courage, rester toute sa vie à la botte d'un pays.

à écrit le 19/09/2014 à 13:21
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Le calcul de bruxelles était très mauvais. Le royaume uni a toujours été une épine dans le pied de l'Europe et ils pourraient même décider eux-même d'en sortir en 2017. Un Royaume Uni affaibli aurait justement renforcé Bruxelles avec sa nouvelle all...

à écrit le 19/09/2014 à 12:54
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étrange de gouverner par la menace8 l'Europe n'a pas d'unité ça se saurait. Les politiques français ont bafoué la démocratie niant la victoire du non et de nous faire toujours et encore la morale.

à écrit le 19/09/2014 à 12:37
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Echec cuisant pour les europeistes qui esperaient demanteler le royaume uni qui va bientot quitter l'union!!

à écrit le 19/09/2014 à 12:13
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Je n'ai nul doute que si le royaume-uni sort de l'europe en 2017( à cause de Cameron et de l'UKIP), le parlement écossais ne prendra en compte que les résultats de l'écosse( et non de tout le royaume) et fera peut-être sécession( si majorité) et peut...

à écrit le 19/09/2014 à 11:26
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Dissolution des compagnies de CRS et création du maintient de l ordre par des troupes fédérales. Voilà la suite.

à écrit le 19/09/2014 à 11:24
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Toute ma sympathie aux 45% d'écossais qui ont droit à une équipe de foot nationale, mais pas à leur indépendance. Je verrais bien une équipe de Bretagne, Corse, Alsace, PACA ou autre participer à la coupe du monde :-)

à écrit le 19/09/2014 à 11:12
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Votre analyse est parfaitement rationnelle, mais je pense que vous négligez la dimension passionnelle d'une indépendance. Les peuples ont une âme. C'est un peu comme dans un divorce. Dans un monde idéal, les deux partenaires se sépareraient en bonne ...

le 19/09/2014 à 11:41
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Dans le cas de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, les "partenaires" se sont aussi séparés sans trop de mal à l'époque (1991). Il est possible d'étudier aussi ce cas de séparation sans conflit.

le 19/09/2014 à 12:14
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Le cas soviétique est intéressant aussi. Et avec la crise ukrainienne on peut observer les conséquences d'une séparation hâtive....

à écrit le 19/09/2014 à 11:08
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Très bonne mise en perspective Romaric Godin. @PME Oui, le nationalisme écossais est récent... en tant que mouvement politique. Cela n'exclut pas ses racines profondes, que vous citez. Il n'empêche, il n'y a pas eu de mouvement nationaliste const...

le 19/09/2014 à 12:46
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1746, bataille de Culloden perdue par les écossais contre les anglais, la répression est terrible, des dizaines de milliers de civils assassinés pour casser le sentiment nationaliste écossais, cela forcera l'émigration de nombre d'entre eux vers les ...

à écrit le 19/09/2014 à 10:57
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"Le nationalisme écossais est récent" ??? Mr Godin, vous devriez lire "the very bloody history of Britain". William Wallace doit se retourner dans sa tombe.

le 19/09/2014 à 14:32
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EXACT!!

à écrit le 19/09/2014 à 10:33
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Le vrai référendum britannique est à venir . C'est celui qui dira si oui ou non , le Royaume-Uni veut rester dans l'U.E.

à écrit le 19/09/2014 à 10:14
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tres bon point sur l'europe.

à écrit le 19/09/2014 à 10:08
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Merci pour votre article, enfin du journalisme intelligent qui analyse avec sérieux ce qui s'est passé et l'avenir. Et pas simplement la petite phrase d'un tel ou de tel autre. Merci

à écrit le 19/09/2014 à 9:50
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les etats-nations! Vive l'Europe des Régions, par delà les frontières actuelles qui sont une résurgence de 1815...

le 19/09/2014 à 17:13
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Votre commentaire n'est que du vent, tout comme la notion d'Europe des région. Cela n'existe pas et n'existera jamais car les cultures sont différentes et sont liées aux nations, ne vous en déplaise.

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